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Ce que doit l’assainissement à Serge Winogradsky

29 avril 2019 Paru dans le N°421 à la page 106 ( mots)
Rédigé par : Bernard VEDRY de Editions

Serge Nikolaiévitch Winogradsky a apporté à l’assainissement des eaux usées, grâce à ces nombreux travaux, les bases fondamentales qui sont les siennes aujourd’hui. Retour sur ce qui reste encore actuellement un apport considérable.

Sergeï Nikolaévitch Winogradsky est né à Kiev en 1856 d’une famille très aisée, propriétaire terrienne en Podolie. Son père dirigeait une banque spécialisée dans le négoce des produits agricoles de la riche Ukraine, alors exportatrice de céréales. Est-ce dans cet environnement familial qu’il acquit cet intérêt, cette curiosité, ce goût profond pour les causes de la fertilité des sols, qui feront le but de ses recherches ? 
Serge Winogradsky publie en 1888 en allemand une monographie sur la morphologie des sulfobactéries
qui fait date.

Études secondaires classiques achevées, il tâte de la faculté de droit, puis des sciences et décide de monter à Saint Pétersbourg pour s’inscrire au Conservatoire Impérial de Musique, car il est très bon pianiste. Il sera l’un des élèves de l’illustre pédagogue de piano Théodore Lechetitsky (1830-1915), qui forma de grands virtuoses dont Paderewski. Toute sa vie, Serge Winogradsky aura son piano pour confident. Il était par ailleurs bon violoniste. Il avait reçu une éducation polyglotte, outre le russe et l’ukrainien, il parlait couramment le français, l’anglais et l’allemand, inculqués par des gouvernantes, et avait appris le latin et le grec au lycée. A ce propos, rappelons son extraordinaire maîtrise du français, choix des mots, élégance des formes, précision de sa pensée, ton ardent dans la défense de ses idées.

L’appel des sciences biologiques

En 1877, il s’inscrit à la Faculté des sciences impériales, Mendeleïev y enseignait. C’est là qu’il prend connaissance des travaux encyclopédiques de Ferdinand Cohn et de son ouvrage alors révolutionnaire sur les micro-organismes. Il lit les publications de Robert Koch, celles de Louis Pasteur. Ses propres travaux portent sur le Mycoderma aceti, genre créé par Pasteur, la bactérie du vinaigre. Il entre ainsi en bactériologie sur un thème agro-alimentaire. Il obtient une place d’étudiant doctorant en 1885 à Strasbourg, alors ville allemande, chez le Professeur Anton de Bary qui avait déjà guidé le doctorat de son professeur de botanique Famintsyne.
De Bary était un botaniste mycologue de grand renom, directeur de l’Institut Botanique de cette ville.
Il était célèbre pour avoir identifié l’origine américaine de l’Oïdium, une maladie fongique de la vigne qui fit des ravages dans les années 1850, découverte qui conduisit au greffage de plants américains pour conférer la résistance à l’oïdium aux plants indigènes. Ceci malheureusement fut la cause de la diffusion du phylloxéra, puceron d’origine américaine dont les dégâts dépassèrent, et de loin, ceux de l’oïdium. On lui doit la découverte du cycle des parasites mycéliens des céréales « la rouille des feuilles ». C’est lui qui créa la notion de « symbiose ». Il découvrit que certaines espèces mycéliennes parasitent successivement plusieurs hôtes au cours de leur cycle de développement et que la morphologie et physiologie du parasite change avec l’hôte qu’il infeste : il appela cette propriété l’« Hétérécie ».
Tel était le prestige intellectuel de l’Institut dirigé par Anton de Bary au moment où Serge Winogradsky y entrait.

Recherches

Le thème principal des recherches était alors la question de la stabilité de la morphologie des micro-organismes sous l’influence du milieu. Anton de Bary avec Robert Koch et le vénérable Ferdinand Cohn, penchaient pour le monomorphisme (invariabilité), le camp opposé avec Naegeli militait en faveur du pléomorphisme (variabilité morphologique des espèces). Leptothrix, Crenothrix et Beggiatoa1, trois organismes filamenteux morphologiquement différents, mais que l’on suspectait être une même espèce, font l’objet des études de Serge Winogradsky.

1 Beggiatoa est un microorganisme excellent bioindicateur de milieu où convergent soufre réduit, oxygène plus une certaine pollution organique. Il est rencontré dans les biomasses épuratrices des biofiltres encrassés et des boues activées foisonnantes pour cause d’effluent exagérément septique.

Relativement faciles à observer in vivo au microscope entre lame et lamelle, ces trois genres sont fréquents dans les eaux naturelles ferrugineuses ou sulfureuses où elles donnent lieu dans certains cas à des proliférations exubérantes, d’où le nom de « conferve », qui leur est donné (du latin : confervus = foisonnement). Ces boues, appelées indifféremment « Barégine » ou « Péloïde » sont onctueuses au toucher, de couleur crème à blanc et sentent le soufre ; elles sont en fait un mélange d’eau, d’argile et de « conferves », depuis toujours reconnues, dotées de propriétés cicatrisantes. Pour cette raison, on appelait les sources qui possédaient de telles boues, les eaux d’arquebuse car on y venait soigner les blessures de guerre souvent mortelles du fait du tétanos. Ces bactéries filamenteuses ont la propriété remarquable de vivre en présence de H2S, d’eau et d’oxygène dissous. La méthode d’étude que Winogradsky adopta fut le suivi au microscope, pendant plusieurs semaines de la culture de quelques longs filaments de Beggiatoa entre lame et lamelle baignant dans une solution minérale à composition choisie. Serge Winogradsky découvrit que Beggiatoa pouvait se développer sans substrat organique ; il suffisait de substrats minéraux, d’oxygène et de soufre réduit pour assurer une croissance exubérante du filament : Serge Winogradsky découvrait et créait la notion de micro-organisme « inorgoxydant » - nous disons aujourd’hui « autotrophe », mais le terme « inorgoxydant », quoique difficile à prononcer, est beaucoup plus évocateur que le terme actuel « autotrophe » qui est particulièrement impropre.

Colonne de Winogradsky successivement depuis le bas noir – vert – pourpre – vert des algues. Colonne vieille avec dépôt de cristaux opacifiant les parois de la colonne.

Cette découverte parut une hérésie parce que la bactériologie de son temps, toujours sous la coupe des pères fondateurs Pasteur et Koch et consorts, ne connaissait que les organismes assimilant le carbone organique, les bactéries appelées actuellement « hétérotrophes ».

Janvier 1888 : Anton de Bary meurt. Serge Winogradsky part en Suisse se perfectionner en chimie minérale près de l’illustre professeur Ernst Schulze. La même année, il publie en allemand à Leipzig une monographie sur la morphologie des sulfobactéries qui fait date. Il y décrit et baptise les genres « Thiothrix2 », puis les bactéries sulfo-oxydantes photosynthétiques « Thiocystis », « Thiosarcina », « Chromatium », « Thiospirillum », tous micro-organismes d’une très grande importance dans la nature mais aussi dans les écosystèmes épurateurs des lagunes naturelles. C’est un travail gigantesque accompli dans des temps exceptionnellement courts.

2 Thiothrix est un microorganisme non mobile bioindicateur de présence de soufre réduit.

Un remarquable outil pédagogique est né de ces travaux : la « Colonne de Winogradsky »3

qui mériterait d’être répandue dans tous les établissements scolaires. Il s’agit dans son principe d’une colonne en verre contenant à la base un générateur de H2S consistant en un mélange de vase noire de rivière polluée et de plâtre CaSO4. La colonne est ensuite remplie d’eau de rivière ou d’étang. Elle est constamment éclairée par une ampoule de 80 W environ ou simplement exposée à la lumière du jour pendant la journée. La lumière de l’ampoule accélère beaucoup les réactions. La lumière provoque la croissance d’algues planctoniques dans l’eau ainsi que d’algues fixées sur les parois, qui conduisent à une production intense d’oxygène naissant. On a ainsi réalisé un réacteur d’oxygène pur d’origine photosynthétique algale qui porte l’eau de la partie supérieure de la colonne à des valeurs d’oxygénation de sursaturation. Le long de la colonne s’établit, après quelques semaines, un gradient d’oxydo-réduction stable, en bas très négatif, en haut très positif, entre les deux des valeurs intermédiaires. Les différentes espèces de bactéries sulfo-oxydantes (celles identifiées et décrites par Winogradsky) se positionnent dans le potentiel redox qui leur convient, ce que l’on observe par la succession des couleurs des bactéries photosynthétiques, du bas vers le haut, noir pour les bactéries sulfato-réductrices du plâtre et redox négatif, puis vert couleur des Chlorobium, puis violet couleur des Thiorhodobactéries, enfin beige clair des Beggiatoa et Thiothrix en milieu aérobie redox positif. Le haut de la colonne est vert, couleur de la chlorophylle des algues planctoniques.

3 La " colonne de Winogradsky " a pour but de cultiver dans une même éprouvette éclairée les bactéries sulfooxydantes ont les photosynthétiques.

Nitrification bactérienne

A Zurich en 1889, il se penche sur la question de la nitrification, et c’est là qu’il trouvera la réponse en 1890.
Que savait-on en 1889 sur la nitrification ?
On savait beaucoup de choses empiriques et depuis longtemps, mais les causes de la nitrification n’étaient pas connues. On savait fabriquer depuis le XVIème siècle du salpêtre, produit stratégique pour la poudre de guerre, à partir de l’urine et du fumier. Le rendement de la nitrification était même excellent. C’était l’art des nitrières artificielles qui étaient en somme des serres où le fumier, enrichi en pierre calcaire et en urine, mûrissait sous l’effet de retournements fréquents. Le salpêtre (NO3)2Ca se formait alors assez rapidement. On savait extraire le nitrate des sels contenus dans le fumier mûr avec un rendement, lui aussi, excellent. On savait, de façon industrielle, procéder à la transformation du nitrate de calcium (salpêtre) extrait du sol en nitrate de potassium NO3K, forme utile du nitrate pour la fabrication de la poudre. Le salpêtre était un produit stratégique et les responsables salpêtriers les plus grands chimistes (voir Lavoisier en France). D’autre part, le salpêtre était connu comme nutriment azoté des plantes depuis les travaux des agronomes du début du XIXème siècle : Alfred Thaer, Mathieu de Dombasle, Boussingault et des chimistes Justus von Liebig, Raulin. L’explication de la nitrification était qu’en présence d’ammoniaque, de matière organique bien évoluée, d’une certaine humidité, de calcaire et sous abri, une réaction chimique avait lieu par laquelle NH4+ était oxydé en NO3-. Jusqu’en 1877 on pensait que ce phénomène était purement chimique. La théorie pastorienne montrant que les bactéries sont de puissants agents de transformations chimiques de la matière invitait à reconsidérer les causes de la nitrification.
Nitrosomonas cultivé par Serge Winogradsky sur sol des champs d’épandage de Gennevilliers, envoyé par Duclaux en 1890.

On savait d’autre part que la percolation des eaux d’égout sur un sol sableux s’accompagnait de dépollution et de nitrification de l’ammoniaque. C’était même la présence de nitrate qui était le critère d’une bonne qualité d’épuration (travaux d’Adolphe Mille du service des Eaux de la Ville de Paris). Schlœsing et Müntz, deux chimistes français dans le cadre des recherches pour améliorer l’épuration des eaux usées de la Ville de Paris par irrigation, démontraient en 1877 que la nitrification était l’œuvre de bactéries du sol, expérience mémorable qui consistait à comparer la nitrification dans une colonne de sol normal et une colonne de sol soumis à divers traitements de stérilisation : formol, chaleur. Réensemencé, le sol stérilisé reprenait son pouvoir nitrifiant.

Les germes en cause n’étaient pas connus, mais il semblait évident aux expérimentateurs qu’il s’agissait de germes normaux des sols au métabolisme habituel basé sur l’assimilation du carbone, la nitrification étant une réaction simultanée à l’assimilation du carbone. On pensait ainsi parce qu’il était d’une très grande évidence que les terres nitrifiantes étaient précisément des terres riches en matière organique, en humus. Les eaux d’égout elles-mêmes, qui nitrifiaient si bien sur les champs d’épandage de Gennevilliers, n’étaient-elles pas avant tout des eaux chargées en pollution organique ?
Au cours des années 1889-18904, Serge Winogradsky trouve des germes du sol dans ses cultures sur milieu minéral enrichi en ammoniaque, mais sans matière organique. Ce sont des bactéries très visibles au microscope, en forme de bâtonnets courbées. L’ammoniaque est transformé en nitrite NO2. Il vient de découvrir les bactéries de la nitritation, qu’il baptise Nitrosomonas (1890). Mais d’où proviennent les nitrates ? En multipliant les cultures et en les examinant soigneusement, il découvre sur le fond de certains ballons de culture, qui présentaient des nitrates un dépôt imperceptible de bactéries très petites se colorant mal. Il venait de trouver le deuxième chaînon de la transformation ammoniaque-nitrate. Cette deuxième espèce, qui ne pousse qu’à partir de nitrite, il l’appellera Nitrobacter europea (1892). Ces travaux bien que critiqués par ses pairs ont un retentissement immédiat. Sur sa lancée il décrit d’autres espèces nitritifiantes : Nitrococcus (1892), et nitrifiantes Nitrocystis (1892), Nitrospira (1931).

4 On notera que parmi les différents échantillons de sols étudiés pour la recherche de germes nitrifiants figurent en bonne place les sols des champs d’épandage de Gennevilliers envoyés par les soins de l’excellent Duclaux de l’Institut Pasteur. C’est que ces sols, irrigués continuellement par de l’eau d’égout ont des concentrations particulièrement élevées en bactéries nitrifiantes. Les champs d’épandage de Gennevilliers ont été les seuls traitements des eaux usées de la Ville de Paris de 1872 à 1895. Ils ont été largement augmentés après 1895 par les champs d’épandage d’Achères, Méry, Pierrelaye et Triel.

Le concept d’autotrophie, c’est-à-dire le développement bactérien à partir de nutriments minéraux seuls était maintenant bien étayé. Il ouvrait des perspectives considérables pour l’explication de la vie sur terre. On pouvait imaginer que les bactéries autotrophes étaient la première apparition de la matière vivante sur terre se développant à partir de CO2 gazeux ou Ca CO3 et N2 gazeux. Metchnikoff (prix Nobel en 1918), un des assistants de Louis Pasteur d’origine russe comme Serge Winogradsky, fit le déplacement à Zürich pour proposer en vain à Serge Winogradsky de rallier l’équipe de l’Institut Pasteur (1890).

A la tête d’un institut de bactériologie

L’empire russe offre alors à Serge Winogradsky le poste de chef de service de bactériologie du sol créé spécialement pour lui à l’Institut Impérial de Médecine Expérimentale, un équivalent russe en somme de l’Institut Pasteur à Saint Pétersbourg. Il dirigera cet institut de 1902 à 1912. Son activité portera sur la nitrification, la méthanogénèse, la fixation de l’azote atmosphérique par les bactéries, Azotobacter en milieu aérobie et Clostridium en milieu anaérobie, la bactériologie de la cellulolyse et de la ligninolyse dans le sol, qui rend compte de la dégradation des végétaux morts.
Son assistant Omeliansky travaille sur la cellulolyse en condition aérobie et anaérobie. Il montre le mécanisme de la méthanisation de la matière organique sous l’action de bactéries anaérobies du sol.
Au cours des années 1889-1890, Serge Winogradsky trouve des germes du sol dans ses cultures sur milieu minéral enrichi en ammoniaque, mais sans matière organique.

Travaux fondamentaux qui arrivent au bon moment pour les techniques de l’épuration des eaux usées puisque le développement tout à fait empirique des digesteurs, c’est-à-dire des réacteurs à boues provenant de la décantation d’eau d’égout a lieu à partir de 1900. Les digesteurs du Dr. Travis en Angleterre datent de 1904 environ, les fosses du Dr. Imhoff, les « Emscherbrunnen », datent de 1906. La technique des digesteurs méthanifères à haut rendement peut alors prendre son essor.

Une retraite agricole

En 1912 Serge Winogradsky, qui n’a que 56 ans, à l’abri des soucis financiers, cependant aigri par le manque de moyens accordés à son Institut, mais aussi par des frictions avec son autorité de tutelle, qui souhaiterait plus de recherche dans le domaine médical que dans le domaine de la bactériologie du sol prend sa retraite. Il est vrai que la Russie d’alors est ravagée par des successions de pandémies, choléra, typhus et la guerre russo-japonaise amenant des désordres sociaux (pogroms, révoltes)
Il se retire en ses terres à Gorodok en Podolie sur les bords du Prout, près de la Roumanie actuelle et de la Galicie province autrichienne de langue slave. Il mène pendant douze années une vie de gentilhomme fermier, observateur et innovateur en agriculture.

Le temps des catastrophes

Une épouvantable période d’événements tragiques marquent alors la Russie et notamment l’Ukraine : la guerre de 14-18 se déroule à ses portes, la frontière avec l’Autriche en Galicie (capitale Lemberg, Lvov en Russe) est très proche. Il reste dans son domaine menacé en permanence par les combats mais sa famille est dispersée, son épouse est à Kiev, ses filles infirmières au front. La paix de Brest-Litovsk en 1818 cède provisoirement aux alliés austro-allemands l’Ukraine. La révolution russe se déchaîne avec des partisans de tous bords, blancs, nationalistes ukrainiens, le terrible Petlioura, l’audacieux Makhno bolchévique. La France envoie une escadre en mer Noire, à Odessa pour appuyer les troupes loyalistes mais la victoire des bolchéviques suspend la mission devenue inutile. Winogradsky en 1919 réussit à prendre le dernier bateau de guerre français à Odessa. Les troubles ne sont pas finis : l’escadre française, travaillée par le communisme, se révolte. Il arrive enfin à Marseille et rejoint sa villa en Suisse à Clarens.

Une renaissance scientifique

Il trouve un asile à Belgrade comme professeur de Chimie à l’Institut agronomique dans la nouvelle Yougoslavie dont le roi, ancien du corps des gardes du tzar, est un soutien des anciens compagnons.
C’est là qu’Emile Roux, directeur de l’Institut Pasteur de Paris, réitère en 1920 son offre de collaboration. Serge Winogradsky, qui a conservé l’instinct de la recherche, peut être aussi par nécessité financière, s’installe dans une de ces donations, que possède l’Institut Pasteur. Il s’agit du domaine de Brie-Comte Robert. Serge Winogradsky s’y installe avec sa famille qu’il réussit à rassembler en partie avec les plus grandes difficultés. Il y travaillera environ 30 ans en collaboration avec sa fille cadette Hélène. Il fondera un laboratoire des sciences du sol, plus particulièrement axé sur l’écologie bactérienne des sols. Il étudie entre autres la fixation bactérienne de l’azote atmosphérique. Il montre qu’un excès d’engrais minéral inhibe l’action bactérienne fixatrice d’azote. Il découvre, décrit et baptise de nombreuses espèces cellulolytiques : Cellfalcicula, Cellvibrio, Cytophaga5, ouvrant ainsi le chemin à la compréhension de l’humigénèse. Sa fille Hélène publie en 1937 une étude sur les boues activées du bassin combiné Simplex6 de la station expérimentale de la ville de Paris à Colombes. Elle met en évidence pour la première fois dans des boues activées par culture sur le milieu Winogradsky au gel de silice, la présence de bactéries nitrifiantes. C’est alors que Serge Winogradsky fait le bilan des bactéries du sol qu’il a découvertes. Il étudie la communauté de ces bactéries dans leur environnement, leurs rapports entre elles, leurs interactions, les inhibitions et stimulations. Les derniers travaux de Winogradsky s’avèrent fondamentaux également en technique de l’assainissement des eaux usées, car ils sont précurseurs de l’étude des biomasses épuratrices qui, elles aussi, sont un consortium de bactéries aux interactions multiples.
La deuxième guerre mondiale fait ressurgir des perspectives inquiétantes, l’occupation, la restriction des déplacements, sa « russité », des moyens minimum de recherche. Ce fut le moment de synthétiser ses travaux. Ce qui pourra être fait après la guerre grâce à un admirateur inconditionnel Selman Abraham Waksman, prix Nobel, biologiste du sol, spécialiste des actinomycètes, découvreur de la streptomycine, professeur influent aux États-Unis, qui soutint financièrement et moralement la publication des œuvres complètes de Serge Winogradsky. Waksman était originaire de Kiev, émigré et naturalisé aux USA, il avait eu des informations et son attention attirée sur Winogradsky par un agronome français admirateur de Winogradsky, René Dubos, qui fit carrière aux États-Unis et en devint citoyen. Dubos est le premier concepteur et réalisateur d’un antibiotique bactérien avec la gramicidine inhibiteur des bactéries gram positif.

Le personnage et ses legs

Serge Winogradsky meurt le 24 février 1953 à Brie Comte Robert. Il avait 97 ans. Privé de cette personnalité hors pair, le domaine de l’Institut Pasteur à Brie Comte Robert, où il a vécu et travaillé plus de trente ans, sera mis en vente.
Inauguration de la rue Serge Winogradsky avec Jean Rousseau à l’origine de ce baptême avec l’auteur, rappelant la signification des découvertes winogradskiennes dans le domaine de l’assainissement avec en arrière-plan
sa demeure et ses laboratoires à gauche et à droite.

L’apport de Serge Winogradsky est considérable dans la discipline de la bactériologie du sol, dont il est le fondateur.

Serge Winogradsky a apporté en assainissement des eaux usées les bases fondamentales :
  • 1. de la connaissance des bactéries sulfooxydantes du cycle du soufre, composantes permanentes parfois indésirables des biomasses épuratrices, mais excellents bioindicateurs de la présence de soufre réduit ;
  • 2. du mécanisme bactériologique de la nitrification de l’ammoniaque, étape essentielle de l’assainissement des eaux usées,
  • 3. du mécanisme de la digestion anaérobie, étape indispensable dans les stations d’épuration des grandes villes pour le traitement des boues,
  • 4. de la notion de sociologie bactérienne, essentielle dans les biomasses épuratrices,
Serge Winogradsky, connu comme le père de la biologie du sol, nous apparaît aujourd’hui également comme un des piliers de la biologie de l’environnement. Par son apport à la connaissance de la cellulolyse et ligninolyse et donc de l’humigénèse, par ses travaux sur les bactéries fixatrices d’azote dans les sols aérobies et anaérobies, il soulevait le voile philosophique de la vie sur Terre, l’expansion du règne végétal grâce à la fixation inéluctable d’azote de l’air dans le sol par des bactéries adaptées malgré un épuisement inévitable du dit azote par la propre croissance végétale. Ce qui entraînait une expansion du règne animal consommateur, des végétaux, des herbivores et de leurs prédateurs, les carnivores.
Serge Winogradsky meurt le 24 février 1953 à Brie-Comte Robert. Il avait 97 ans. Il a été enterré religieusement à Brie Comte Robert selon le rite orthodoxe.

L’homme Serge Winogradsky était, d’après des témoins de sa vie, taciturne, volontiers solitaire, indépendant, allergique aux sentiers battus. Émile Roux avait bien compris l’impossibilité pour Serge Winogradsky de travailler en équipe. Il n’a donc pas eu de disciple direct à Brie Comte Robert. Il avait un collaborateur russe, sa fille Hélène, et une ou deux autres aides. Son laboratoire, une ancienne remise du château était à deux pas de son domicile où son piano ne restait pas un jour sans sonner sous ses doigts.

Serge Winogradsky n’a pas voulu changer de nationalité malgré les offres de ses amis français et sans doute américains.
Il n’a évidemment jamais renié sa religion orthodoxe bien qu’il ne fût pas pratiquant, il respectait les rites et les fêtes de son pays. Il a été enterré religieusement à Brie Comte Robert selon le rite orthodoxe.
Serge Winogradsky avait trois filles, dont l’une est morte suicidée pendant la révolution bolchévique. Les deux autres ont pu rejoindre la France et s’y fixer. Une seule a laissé une descendance. Il avait un neveu dont l’épouse Irène, née von Hirsch auf Gereuth, nous a livré les souvenirs de son oncle.
Un tel homme découvreur d’univers nouveaux, tel un Galilée, a peu de rues portant son nom. Il en est deux toutefois, les seules peut-être en France. Elles sont dues à la reconnaissance du SIAAP, l’une à Brie Comte Robert en face de son pavillon d’habitation et de son laboratoire dans la propriété de l’Institut Pasteur et l’autre à Valenton, c’est le nom de la rue d’accès à la station d’épuration. 
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