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Petite histoire d’un bien étrange ouvrage : le puits aérien

01 mars 2018 Paru dans le N°409 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET

Obtenir de l’eau à partir de l’air?? La découverte d’un réseau antique de canalisations prenant sa source à partir de grands pierriers situés autour de l’ancienne cité de Théodosia, en Crimée, a conduit plusieurs ingénieurs à reconstituer un condensateur naturel, le puits aérien. Le principe est simple?: l’air chaud entre librement dans le puits en journée et s’y accumule?; La nuit, l’air froid provoque la condensation de la vapeur d’eau qui était contenue dans l’air chaud.

La récupération des eaux de rosée est une ressource bien modeste mais qui peut s’avérer précieuse là ou l’eau douce manque le plus. Paradoxalement, beaucoup de régions du monde souffrent d’importants stress hydriques alors même que l’eau est présente dans l’atmosphère en quantité considérable. On estime que globalement, l’atmosphère contient plus de 12.000 km³ d’eau douce, un chiffre à peine inférieur aux ressources en eau liquide renouvelables sur les terres habitées. D’où les nombreuses tentatives visant à tenter d’exploiter ce possible apport. Tentatives retranscrites dans plusieurs légendes ou récits dont la véracité reste, bien souvent, à établir.

Les étangs de rosée (ci-dessus) ne doivent pas être confondus avec d’autres marres intentionnellement creusées au sommet d’une colline pour les besoins du bétail et qui étaient alimentés par la pluie plutôt que par la rosée ou la brume.

On sait pourtant aujourd’hui que l’homme essaie d’exploiter cet apport potentiel d’eau douce depuis longtemps. Dès le moyen-âge, des étangs ont été construits dans certaines régions d’Angleterre pour récupérer l’eau de rosée : des bassins de quelques mètres cubes dont le fond était couvert d’une première couche de paille sèche puis d’une couche d’argile. L’ensemble était tassé puis couvert de pierres. L’étang de rosée était alors prêt à fonctionner. Chaque matin, les habitants les vidaient et les trouvaient le lendemain à nouveau rempli d’eau. Ces étangs de rosée ne doivent pas être confondus avec d’autres marres intentionnellement creusées au sommet d’une colline pour les besoins du bétail et qui étaient alimentés par la pluie plutôt que par la rosée ou la brume. On trouve d’ailleurs en France des ouvrages similaires sur les Causses et sur les points de passage des troupeaux.

Plus près de nous, un homme s’est intéressé de près à la récupération des eaux de rosée. Cet homme, c’est Achille Knapen, un ingénieur Belge membre de l’Académie des sciences de Belgique et de la Société des ingénieurs civils de France. Spécialiste renommé des questions d’hygrométrie, l’homme a révolutionné l’assainissement des bâtiments sur la base d’une théorie simplissime : au lieu de s’opposer à l’évacuation de l’humidité naturelle contenue dans les murs en s’échinant à les imperméabiliser comme il était alors d’usage de le faire, il s’attacha au contraire à la faire sortir. Achille Knapen conçut alors une cartouche en terre cuite destinée à être insérée dans l’épaisseur du mur pour drainer et extraire l’humidité qu’il contient. Le siphon Knapen venait de naître. Il permet, aujourd’hui encore, d’assainir et finalement de sauver de nombreux châteaux, abbayes et autres bâtiments qui n’auraient pas survécu aux méthodes de conservation de l’époque.

Le puits aérien d’Achille Knapen se présente sous la forme d’une construction ovoïde constituée de plusieurs tonnes de roches calcaires assemblées selon la technique des pierres apparentes.

Mais bien qu’unanimement reconnu par ses pairs pour ce succès, l’homme ne s’arrête pas là. En janvier 1928 à Alger, il émet une idée assez iconoclaste en apparence qui consiste à mettre au point un dispositif qui serait l’exact inverse du siphon Knapen : un dispositif qui permettrait de capter l’humidité de l’air pour la condenser et la ramener à l’état liquide. L’idée du puits aérien venait de s’imposer.

Un puits aérien pour capter l’humidité de l’air

En 1928, l’idée, pour originale qu’elle soit, n’est pas tout à fait nouvelle. Mais la notoriété d’Achille Knapen lui redonne du lustre. D’autant qu’il reçoit un soutien de poids de la part d’un autre ingénieur qui mène une expérience semblable. Cet ingénieur, Léon Chaptal, construit au début de l’année 1929 une pyramide tronquée haute de 2,50 mètres et large de 3 mètres dans le quartier du Petit Bard à Montpellier. L’ensemble, constitué de pierres calcaires non marneuses, est recouvert par un revêtement en béton dans lequel sont ménagés, à la base et au sommet, des trous d’aération. Sa forme est légèrement inclinée vers le centre et de la partie la plus basse part un conduit aboutissant à un réservoir étanche creusé dans le sol. Chaptal espère récupérer à l’aide de ce condenseur l’eau de rosée au cours des six mois les plus chauds de l’année, entre mai et octobre.

En recherchant un dispositif susceptible de récupérer l’eau de rosée, les deux hommes ne partent pas tout à fait dans l’inconnu. Ils s’appuient largement sur les travaux menés en Crimée 20 ans auparavant par un ingénieur russe du nom Friedrich Zibold.

Une enveloppe extérieure d’un diamètre de 12 mètres, d’une hauteur de 13 mètres et d’une épaisseur à la base de 2,5 mètres, percée de nombreuses ouvertures abrite le puits proprement dit.

Friedrich Zibold effectue alors des travaux de terrassement autour de l’ancienne cité de Théodosia en Crimée, devenue aujourd’hui Féodosiya (Ukraine), quand il découvre sur les collines entourant la cité une douzaine de pierriers coniques d’environ 500 m3 de volume mesurant 25 mètres de long sur 20 de large et 8 de hauteur. Certains d’entre eux sont entourés de tuyaux en terre cuite relayés par un réseau de canalisations menant à l’ancienne cité. Celle-ci ne disposant d’aucune ressource en eau ni souterraine ni superficielle, Friedrich Zibold tire la conclusion que ces ouvrages sont des condenseurs de rosée qui servaient à alimenter en eau potable l’ancienne Théodosia. Selon ses calculs basés sur le nombre de fontaines et la section des canalisations, chacun de ces condenseurs devait fournir environ 55 m3 par jour d’eau potable à la cité antique. Pour prouver ces dires, l’homme se mit en tête de construire sur le site même de Théodosia un condenseur conique de 20 m de diamètre à la base, 8 mètres de diamètre au sommet et de 6 m de haut. Le condenseur commença à fonctionner en 1913, et donna jusqu’à 370 litres d’eau par jour. Mais le résultat n’était pas à la hauteur des attentes et le condenseur dû cesser de fonctionner deux années plus tard pour cause de fuites. Toujours est-il que cette réalisation servit de base au projet d’Achille Knapen qui décida de bâtir son propre puits aérien en France, à Trans-en-Provence.

Le puits aérien de Trans-en-Provence

Initialement, Achille Knapen avait conçu le projet de bâtir son puits aérien en Algérie ou le climat se caractérise par de grandes différences thermiques entre le jour et la nuit et d’importantes variations hygrométriques nécessaires au fonctionnement de son ouvrage. Mais des difficultés d’ordre politique l’obligeront à choisir un autre emplacement. Ce sera finalement à Trans-en-Provence sur un terrain situé à 180 mètres d’altitude à l’abri du mistral mais exposé aux vents marins. La construction commence en juillet 1930 et s’achève à la fin de l’année 1931. Le puits aérien se présente sous la forme d’une construction ovoïde constituée de plusieurs tonnes de roches calcaires assemblées selon la technique des pierres apparentes. Une enveloppe extérieure d’un diamètre de 12 mètres, d’une hauteur de 13 mètres et d’une épaisseur à la base de 2,5 mètres, percée de nombreuses ouvertures abrite le puits proprement dit. Celui-ci est construit en béton. Son diamètre extérieur est de 3,20 mètres et sa hauteur de 9 mètres. Sa face externe est recouverte de 3.000 ardoises pour augmenter la surface de condensation. L’axe du puits est occupé par un tube métallique de 30 cm de diamètre. Le principe de son fonctionnement est des plus simples : la nuit, l’air froid pénètre dans le tube métallique central et remonte dans le vide annulaire entourant ce tube. Il circule le long de la masse externe en béton et sort par les orifices inférieurs de la cloche. Le jour, l’air pénètre par les orifices supérieurs de l’enveloppe. Il arrive au contact des ardoises de la masse interne à basse température, se refroidit et dépose une partie de son humidité. Les gouttelettes formées tombent alors sur le plancher et ruissellent vers une citerne enterrée.

La face externe du puits aérien de Trans-en-Provence est recouverte de 3.000 ardoises pour augmenter la surface de condensation.

Au Congrès des Ingénieurs Civils qui se tient à Paris en septembre 1931, Achille Knapen fait savoir que la construction de son puits est à peu près terminée mais qu’il faut attendre que les maçonneries échauffées par la carbonatation des mortiers aient repris leur température normale. Il table sur une production d’environ 30.000 litres par jour. Il n’obtiendra finalement qu’à peine 10 litres…

Ruiné, Knapen décède en 1941 laissant son œuvre inachevée. Mais son puits, toujours debout, peut encore être observé aujourd’hui. Il a même été restauré après avoir servi de vespasienne pendant quelques années…

Les résultats obtenus par la pyramide tronquée de Chaptal ne sont guère meilleurs : son installation ne recueillera qu’une centaine de litres en 1930, année climatiquement favorable, mais son rendement baissera de moitié les années suivantes. L’ouvrage sera finalement détruit en 1969, avant que l’INRA n’abandonne la Station de physique et de bioclimatologie agricoles de Bel-Air.

Quant au dispositif d’alimentation de la cité antique de Théodosia par des condenseurs de rosée, il s’avérera finalement qu’il ne s’agissait que de simples nécropoles antiques…

Suite à ces échecs et du fait des deux guerres mondiales, les recherches sur la récupération des eaux de rosée seront provisoirement mises entre parenthèses. Jusqu’à ce que certains scientifiques, observant de près le fonctionnement de la nature, comprennent les causes de l’échec de Zibold, Knapen et Chaptal. Leurs condenseurs, de masse calorifique trop importante, ne permettaient pas un refroidissement suffisamment efficace. Et si Friedrich Zibold a obtenu des résultats supérieurs à Knapen et Chaptal, c’est tout simplement parce que son condenseur était composé de galets ronds, permettait ainsi un refroidissement rapide des couches externes et que cet empilement n’autorisait que de faibles contacts thermiques entre galets.

Aujourd’hui, nous savons que le condenseur de rosée idéal se trouve finalement à l’exact opposé des théories du siècle dernier qui se fondaient sur des constructions massives. Pour fonctionner correctement, le condenseur doit être léger pour se refroidir rapidement la nuit, à l’image de l’herbe que nous découvrons couverte de rosée le matin….



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