Your browser does not support JavaScript!

Trait d'union entre deux océans : le canal de Panamá (1ère partie)

28 février 2017 Paru dans le N°399 à la page 99 ( mots)

Avec la Tour Eiffel, le Golden Gate de San Francisco ou le Tunnel sous la Manche, le canal de Panamá fait partie des ouvrages les plus célèbres au monde. Mais son percement qui a révolutionné les échanges maritimes mondiaux en permettant à des milliers de bateaux d'éviter de contourner le Cap Horn a aussi coûté de très nombreuses vies humaines.

Nous sommes le 15 mai 1879. Encore auréolé par le succès du canal de Suez, Ferdinand de Lesseps préside à l’hôtel de ville de Paris, le Congrès international d'études du tunnel interocéanique. Il s’agit de désigner le projet le plus à même de parvenir à relier en Amérique Centrale les deux océans, atlantique et pacifique.

L’idée d’une liaison maritime à l'endroit le plus étroit de l'isthme qui unit le continent nord au continent sud-américain n’est pas vraiment nouvelle. En 1534 déjà, Charles Quint avait déjà fait étudier la possibilité de construire un canal dans l'isthme de Panamá. 

Depuis, les projets se sont multipliés. Mais ce jour là, parmi de multiples projets concurrents - tunnels, canaux à écluses, etc. - c’est la proposition de Ferdinand de Lesseps qui est retenue. C’est donc à lui que revient la tâche de relier les deux océans. Son projet repose sur la construction d’un canal similaire à celui de Suez, à savoir un canal sans écluse. 

Les conditions climatiques caractérisées par un climat tropical et des précipitations abondantes sont exécrables. Et les conditions sanitaires sont pires encore.

C’est une option d’autant plus ambitieuse que l'isthme est traversé par la Cordillères des Andes…. Mais Lesseps n’en à cure. Rien ne peut lui résister. Le succès du canal de Suez ouvert dix ans plus tôt a encore renforcé sa réputation d’ingénieur. 

Père de douze enfants, Lesseps est admiré par nombre d'intellectuels de l'époque. Il travaille d’ailleurs sur plusieurs autres projets dont celui de « rétablir » une mer intérieure en plein cœur du Sahara. Il n’est pas homme à reculer devant la difficulté, encore moins à se plier à quelques contingences géologiques. 

Il construira donc un canal sans écluses d’une longueur de 74 kilomètres, pour une profondeur de 8 mètres et une largeur de 22 mètres. Le Comité géographique international d'études évalue le coût du projet à 1.174 millions de francs or. Le canal devra être percé en 12 ans.

 

L’aventure française

Après un premier voyage à Panamá et aux États-Unis, Lesseps, qui a choisi comme pour le canal de Suez de ne pas faire appel aux banques, lance un premier emprunt qui rapporte plus de 300 millions de francs. Les souscripteurs sont en majorité de petits épargnants : sur un total de 104.500 porteurs, 80.500 ont acquis moins de cinq actions. Le 20 octobre 1880, il crée la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panamá. Les travaux débutent en janvier de l'année suivante : le 10 janvier 1880, l'une de ses douze enfants, Fernanda, creuse la première pelle de sable et inaugure officiellement le chantier.

Suite au scandale du Panamá, les petits actionnaires, deviendront suspicieux face aux projets industriels et se tourneront vers des placements réputés sans risques. Les emprunts russes faisaient partis de ceux-là…

On fait venir des ouvriers chinois puis des Noirs de la Jamaïque. Mais d’emblée, les travaux se révèlent éprouvants. Les premiers obstacles liés à la géologie, à la configuration des zones traversées et à la nature des sols se multiplient à l’image du col de la Culebra situé à une altitude de 87 mètres. Mais le plus dur est ailleurs. Les conditions climatiques caractérisées par un climat tropical et des précipitations abondantes sont exécrables. Et les conditions sanitaires sont pires encore. 

A Panamá, comme dans tout l'isthme, l'eau de pluie stagne sous une végétation rase et serrée. Il ne faut pas s’aventurer hors des routes et des sentiers battus autant pour s'épargner les piqûres de moustiques qui inoculent la fièvre que les morsures de serpents, presque toujours mortelles. 

De nombreux ouvriers meurent de malaria, de la dengue ou du le choléra sans qu’on en connaisse la raison, ou encore de pneumonie ou d'accidents dus aux très nombreux glissements de terrain sur le chantier. Bien qu'aucune donnée officielle ne soit disponible, on estime à 22.000 le nombre d’ouvriers morts pendant la principale période de construction sur la période 1881-1889. Résultat, en juillet 1885, seul un dixième du parcours a pu être creusé. Ces difficultés ne sont pas sans conséquences financières. Le canal s’avère être un gouffre financier.

 

 

Un gouffre financier

Le journal de Lesseps, le « Bulletin du canal interocéanique » ainsi que la presse, corrompue, entretiennent cependant l'optimisme. Lesseps multiplie les souscriptions auprès du public français. Mais il utilise l’essentiel des fonds recueillis pour corrompre quelques journaux chargés de travestir la réalité. Au total, sept nouveaux emprunts seront lancés sans qu’aucun d’entre eux ne soit totalement couvert. 

Le 10 octobre 1913, le percement du canal de Panama s’achève. 

L'enthousiasme des débuts n’est plus là. Car Lesseps a péché par orgueil en voulant construire le canal au niveau de la mer, sans tenir compte de la cordillère montagneuse qui traverse l'isthme. Pire, loin de faire amende honorable, il s’entête. Il faudra deux ans pour qu’il se laisse persuader que la solution passe par un canal à écluses. A la fin de l’année 1887, il fait enfin appel à Gustave Eiffel pour construire des écluses. 

Mais il est trop tard. La situation financière s’est considérablement aggravée et la liquidation de la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panamá est inévitable. Elle est prononcée le 4 février 1889. Pour les 85.000 souscripteurs, c’est la ruine ! Le scandale qui en résulte aura de graves conséquences pour l’ensemble des épargnants français. 

Dans les années qui suivent, les petits actionnaires, devenus très suspicieux face aux projets industriels, se tourneront vers des placements réputés sans risques. A l’image des emprunts russes, par exemple…

Le 15 août 1914, le vapeur Ancón, un cargo de 10.000 tonneaux, est le premier navire à traverser l'isthme. Il mettra moins de 10 heures.


Pour Ferdinand de Lesseps, c’est la fin de l’histoire. Les plaintes, très nombreuses, et le travail rapide des juges français aboutissent à l’ouverture d’un procès dès le mois de janvier 1893. Mais les principaux acteurs du dossier sont acquittés, bénéficient de vice de forme ou profitent de prescriptions. Ferdinand de Lesseps et son fils, Charles, seront bien condamnés à de la prison pour escroquerie mais ils n'en franchiront jamais l’entrée. Lesseps meurt en 1895, après avoir sombré dans la sénilité.

 

(Fin de la première partie)


Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements