Eau potable : vers une reconfiguration des filières de traitement
29 novembre 2019Paru dans le N°426
à la page 35 ( mots)
Rédigé par : Patrick PHILIPON
La filière classique de potabilisation des eaux brutes (décantation, filtration, désinfection) rencontre de plus en plus souvent ses limites, confrontées d’une part à la prise en compte de nouveaux polluants, d’autre part aux conséquences du changement climatique. Les solutions technologiques existent, leur déploiement est d’ores et déjà entamé.
Les eaux de surface ou souterraines regorgent de substances plus ou moins problématiques pour la santé des consommateurs. Aux polluants désormais classiques (MES, microorganismes, nitrates, pesticides…) s’ajoutent des molécules plus récemment surveillées : métaux, résidus médicamenteux, détergents, microplastiques, colorants, antioxydants, conservateurs… La politique de limitation des émissions à la source, bien qu’indispensable, trouve ses limites, ne serait-ce que parce qu’elle ne peut concerner les usages domestiques. Or les stations d’épuration ne peuvent pas tout éliminer. Comme l’explique Cécile Miège, chercheuse en écotoxicologie à l’unité Riverly du centre Irstea Lyon, « certains traitements avancés utilisés en STEP, comme l’ozonation, ne sont pas complètement efficaces sur les micropolluants. Ces derniers se retrouvent probablement dans les ressources utilisées pour l’eau potable, même en faibles concentrations ». A cela s’ajoutent, outre la pollution naturelle, les substances d’origines agricole et industrielle qui continuent à se déverser dans les milieux.
Le changement climatique apporte également sa pierre : même si ses principaux effets sont quantitatifs, il affecte la qualité des eaux. « La baisse du débit de certaines ressources tend à augmenter les concentrations de polluants. Les températures plus élevées peuvent aussi impacter le traitement de l'eau » souligne Estelle Desarnaud, Directrice générale adjointe d’Eau de Paris. Risques que confirme Laurent Brunet, directeur technique chez Suez, qui rappelle que la température de la Seine a augmenté de 3 °C en 150 ans. « Lorsque la température augmente, l’oxygène dissous diminue, signe d’une eutrophisation » précise-t-il. Lui aussi évoque la concentration des substances gênantes en situation d'étiage, ainsi que le risque de lessivage de polluants lors des premières grosses précipitations après un épisode de sécheresse. Les réseaux de distribution pourraient également être affectés, une température supérieure entraînant un risque accru de re-croissance bactérienne, de vieillissement (à terme) des canalisation composites (PE), voire de relarguage de chlorure de vinyle monomère (un polluant réglementé) dans certaines situations sur des réseaux en PVC antérieurs à 1980.
Boris David, manager du Pôle environnement & santé à la Direction technique & performance de Veolia, insiste également sur la question des épisodes de pluies intenses, qui mettent en danger les installations et peuvent provoquer une contamination microbiologique par intrusion d’eaux de surface. Une situation que l’on rencontre déjà dans certaines parties du monde. Tout en rappelant tout de même qu’en France (et dans les autres pays tempérés), sauf évènements extrêmes, « ce n’est pas le changement climatique qui change la donne mais la perception des consommateurs ». Et l’évolution de la réglementation, pourrait-on ajouter…
Réglementation : des évolutions prévisibles
La Commission européenne élabore actuellement une nouvelle directive sur les eaux potables. « Elle va probablement ajouter des paramètres à détecter et éliminer comme les perfluorés et quelques perturbateurs endocriniens : œstrogènes de synthèse et autres » prévoit Fabrice Nauleau chez Saur. Laurent Brunet, directeur technique chez Suez, estime qu’elle inclura peu de paramètres nouveaux, hormis les composés perfluorés, mais que le seuil acceptable pour le plomb pourrait être abaissé. Au-delà de la directive à venir, de nombreuses molécules sont déjà à l'étude et pourraient dans l'avenir être réglementées en France, s’il s’avère qu’elles présentent un risque pour la santé des consommateurs.
Il en va ainsi, par exemple, pour les métabolites de pesticides organochlorés déjà eux-mêmes normalisés (limités à 0,1 µg/l). La Direction Générale de la Santé a en effet demandé une étude dans ce sens à l’Anses, qui, en janvier 2019, a classé l’alachlore OXA, le métolachlore ESA et le métolachlore OXA comme “pertinents”, donc devant être soumis à la limite de 0,1 µg/l dans les eaux destinées à la consommation humaine. « Ce sont des molécules difficiles à analyser et traiter. Il existe des moyens mais il faudra modifier les réglages des usines existantes sur les eaux de surface. Dans les installations traitant des eaux souterraines, souvent beaucoup plus simples, il faudra mettre en place de nouveaux systèmes » estime Fabrice Nauleau à propos de ces dérivés d’herbicides. Une réflexion qui peut se généraliser à tous les micropolluants.
Les microplastiques font également parler d’eux, même s’il reste encore beaucoup à apprendre sur leur toxicité et sur la manière de les analyser.
Les perchlorates sont également dans le viseur. Ces anions font déjà l’objet de normes aux États-Unis, en Australie, et à l'OMS. Pas en France, où pourtant on en retrouve dans l’environnement, que ce soit dans les zones où abondent les obus de la première guerre mondiale (et près des usines d’explosifs) ou dans certaines régions agricoles, comme la Beauce, ayant utilisé les nitrates du Chili comme engrais au début du XXème siècle. « Au total, cela ne représente tout de même pas beaucoup de points de captage » tempère Laurent Brunet. Les perchlorates se traitent par adsorption sur résines échangeuses d’ions, qu’il s’agisse de résines classiques (utilisées pour les nitrates) ou spécifiques des perchlorates, lesquelles ne sont pour l’instant ni fabriquées ni agréées en France. « Cela changera rapidement si la DGS décide de les limiter dans l’eau potable » estime Fabrice Nauleau. Saisie à ce sujet par la DGS, l’Anses recommandait fin 2018 le “maintien d’une surveillance dans les eaux”, sans plus. Les fabricants de membranes sont en tout cas prêts, forts de l’expérience des marchés étrangers, en particulier américain.
Par ailleurs, plusieurs de ces substances, outre leur toxicité, pourraient avoir un rôle de perturbateurs endocrinien, même à dose faibles. « C’est un grand point d’interrogation : des substances (pesticides par exemple) peuvent être réglementées au titre d’autres effets mais, à doses faibles, sont suspectées d’induire des perturbations endocriniennes. Ces produits changent le paradigme de la toxicologie classique » souligne Boris David.
Au total, la recherche de polluants dans l’eau destinée à la consommation humaine semble une course sans fin. « Nous sommes face à une situation où les connaissances augmentent, les méthodes analytiques s’affinent, et finalement on “découvre” des polluants là où on ne les cherchait pas » sourit Laurent Brunet.
Heureusement, et même si la liste des polluants s’allonge, « nous avons déjà tous les outils pour les traiter si la réglementation l’exige », comme l’affirme Fabrice Nauleau. Deux grandes solutions se détachent : l’adsorption – essentiellement sur charbon actif mais des résines peuvent être nécessaires dans certains cas – et l’oxydation, essentiellement par ozonation. Deux techniques déjà très utilisées en STEP pour limiter les rejets, et que l’on trouve de plus en plus souvent en usine de potabilisation pour traiter les pesticides (et la MO en général). Il ne faut pas oublier les membranes, nouvelles venues qui complètent la trilogie.
Détecter avant de traiter
Certains opérateurs d’usines de potabilisation, qu’ils soient publics ou délégataires, se mettent d’ores et déjà en ordre de marche pour traiter des polluants ne faisant pas (encore) l’objet d’une norme. Encore faut-il savoir les détecter pour ajuster les traitements… « Nous surveillons en permanence une soixantaine de paramètres, au-delà de ce que préconisent les autorités. Des perturbateurs endocriniens, par exemple. Ils ne sont pas forcément normés mais nous anticipons car un jour ou l’autre les normes vont tomber. De même pour les perchlorates » précise Philippe Knusmann, Directeur général des services au Sedif. Analysant en ligne des paramètres comme les nitrates, la conductivité ou la turbidité (entre autres), Eaux de Paris déploie également un programme de surveillance portant sur toutes les substances entrant dans la réglementation comme sur celles appelées à être intégrées dans les réglementations à venir. Le service utilise également un chromatographe à très haute résolution qui permet de stocker les pics caractéristiques des molécules présentes dans l'eau (masse molaire, charge électrique, etc.) créant ainsi une sorte de “signature”.
« Cela nous permettra de remonter la chronique si un jour survient une alerte sanitaire sur une nouvelle molécule » affirme Estelle Desarnaud. Le laboratoire de recherche d’Eau de Paris étudie en parallèle les moyens de compléter la surveillance ponctuelle dans le temps de la qualité des ressources en testant des capteurs intégratifs qui permettent d'améliorer la détection de micropolluants présents ponctuellement ou à de faibles concentrations en "filtrant" de grands volumes d'eau sur des périodes longues.
Suez déploie de plus en plus de systèmes en ligne, en particulier des capteurs multi-paramètres. « A partir de la mesure de plusieurs paramètres, et avec un peu d’intelligence artificielle, on peut détecter des évènements comme un retour d’eau dans le réseau ou l’arrivée d’une pollution particulière. Plutôt qu’un paramètre en soi, nous travaillons sur des combinaisons qui permettent d’identifier un évènement pour pouvoir réagir », explique Laurent Brunet. Au titre des nouveautés, Boris David, chez Veolia, signale également des systèmes de détection microbiologique en temps réel. « Il y a beaucoup d’innovation dans la détection rapide de paramètres indicateurs de contamination fécale ou d’activité microbienne (par ATPmétrie), qu’il s’agisse de kits de terrain ou, de plus en plus, d’analyseurs en ligne » révèle-t-il.
Les techniques d’analyse deviennent tellement pointues qu’on peut détecter de très faibles doses de polluants. Pour traduire ces résultats chiffrés en termes d’effets sanitaires potentiels, Veolia participe à des travaux de recherche sur les indicateurs biologiques. « Les acteurs de l’eau veulent faire émerger ce type d’outils mais cela doit rentrer dans un cadre réglementaire », estime Boris David. Eau de Paris travaille également avec des entreprises proposant des indicateurs biologiques. « Ils sont cependant plus adaptés à la protection du milieu qu’à la surveillance en sortie d’usine de potabilisation : nous ne savons actuellement pas lier ce qui est observé à un quelconque risque sanitaire » précise Estelle Desarnaud. Fabrice Nauleau, chez Saur, se montre plus sceptique, estimant que la sensibilité de ces tests sera insuffisante pour le niveau de pureté des eaux sortant des usines, et surtout que l’ajout de chlore masquera immanquablement les éventuels effets biologiques dus à la présence d’une quantité infime de polluant. « La mesure en continu de l’absorbance UV, beaucoup plus simple, permet de détecter la quantité de matière organique restante, et donc de suivre l’efficacité globale du traitement. Toutes les usines devraient en être équipées », plaide-t-il.
Autre paramètre à suivre, qui ne résulte pas d’une évolution réglementaire mais pourrait bien être un signe du réchauffement climatique : la fréquence de plus en plus élevée des épisodes de prolifération d’algues ou de cyanobactéries dans les retenues de surface. Les usines existantes peuvent faire face… à condition de pouvoir s’y préparer. « Nous avons développé des bouées à positionner dans la retenue, capables de mesurer les algues pour anticiper les blooms » explique Fabrice Nauleau.
A chaque eau brute son usine
« Nous n’avons pas de problème de qualité, nos eaux contiennent essentiellement des MES et des produits phytosanitaires que nous savons traiter » se réjouit Sophie Rapenne, qui dirige le service de traitement et transfert des eaux du Grand Besançon - Métropole. L’agglomération est alimentée par des forages karstiques, des forages en nappe alluviale et une rivière, la Loue. A chacun son traitement : un forage profond à la qualité stable (Neuvillars) n’en requiert tout simplement pas, hormis une chloration avant injection dans le réseau. Les autres sont traités de manière classique avec des filtres à sable, auxquels s’ajoute soit du charbon actif pour l’usine de Chenecey-Buillon (eaux de la Loue), soit une ozonation pour les eaux de source, en particulier celles de la source d’Arcier, traitées à l’usine de la Malate qui alimente la moitié de la ville. L’ozoneur est automatiquement asservi au taux d’azote résiduel dans l’eau traitée. Seuls moments un peu difficiles : les premières pluies d’automne qui drainent des nitrates dans certaines sources karstiques. Les usines peuvent en général absorber ce pic, sinon le recours aux autres ressources permet de passer le cap. Pas étonnant donc que les stations bisontines, récemment renouvelées (Chenecey-Buillon) ou en passe de l’être (La Malate), en restent aux techniques classiques, avec toutefois l’adoption d’une désinfection finale aux UV pour la future usine de La Malate. « La question des membranes s’est posée pour la rénovation de Chenecey-Buillon mais, ayant déjà le génie civil, nous avons conservé les filtres à sable, avec du charbon actif » explique Sophie Rapenne.
Situation très différente en Ile-de-France, où le Sedif puise essentiellement dans la Seine, la Marne et l’Oise. « A chaque eau son usine » précise Philippe Knusmann. Ainsi l’Oise, qui traverse des régions agricoles avant d’arriver dans l’agglomération, a-t-elle des caractéristiques de pollution très différentes de la Seine et de la Marne, qui traversent des régions industrielles. Réalisée par OTV (Veolia), l’usine de Méry-sur-Oise utilise depuis 1999 la nanofiltration, qui arrête des éléments dissous comme les pesticides, les micropolluants, la matière organique (acides humiques par exemple). Les eaux sont ensuite désinfectées aux UV. En revanche, les usines de Neuilly (Seine) et Choisy (Marne) déploient des traitements classiques complets, plus du charbon actif et une ozonation, le tout étant suivi d’une désinfection UV.
La ville de Paris, qui gère ses eaux en régie directe, est alimentée à la fois par des eaux de surface (la Seine, traitée à Orly et la Marne, traitée à Joinville) et des affleurements de nappes captés à distance et amenés par aqueducs. « Nos eaux proviennent de régions agricoles, donc sont affectées par des nitrates - généralement en dessous des normes - et de temps en temps des pics de pesticides. Certaines sources karstiques, très réactives en cas de pluie, ont des pics de turbidité » énumère Estelle Desarnaud. Les eaux souterraines passent par des membranes d’ultrafiltration, que ce soit à L’Haÿ-les-Roses (eaux de la Vanne) ou à Saint-Cloud (eaux de l’Avre). Traitées localement au charbon actif, les eaux souterraines du Loing sont en plus ozonées à Arcueil avant d’entrer dans Paris. Les eaux de la Seine et de la Marne subissent un traitement classique complet, auquel s’ajoutent le charbon actif (injection de charbon actif en micrograins à renouvellement continu à la future usine d'Orly 2) et l’ozone. « Avec les travaux en cours, nous sommes confiants sur l'adéquation de nos filières de traitement pour les prochaines années, au regard notamment de l'évolution attendue de la directive eau potable » affirme Estelle Desarnaud.
« Il n’y a pas de recette unique pour le traitement. Certaines molécules seront mieux traitées sur charbon actif, d’autres sur membranes. Cela se détermine paramètre par paramètre, dans chaque situation » insiste Laurent Brunet. Suez a par exemple rénové en 2018 l'usine du Mont Valérien, pour le compte du Syndicat des eaux de la Presqu’île de Gennevilliers, qui traite de l’eau de Seine captée en aval de Paris. Le syndicat souhaitait dépasser les normes de qualité réglementaires, et en particulier diminuer fortement la dureté et éliminer des micropolluants “émergents” comme les résidus médicamenteux. Conservant le génie civil existant, faute de place en milieu urbain, Suez a utilisé un décanteur Densadeg pour assurer une décarbonatation à la soude, puis des décanteurs équipés de lamelles avec ajout continu de charbon actif en grains. Une étape de désinfection par UV parachève le traitement.
A Verneuil l’Etang (Seine et Marne), Aqualter a construit une usine traitant les eaux des forages de Yèbles et Verneuil l’Etang. « Nous avons renforcé la filière classique avec du charbon actif, une solution que je préfère à l’ozonation qui peut créer des sous-produits » précise Vincent Darras Directeur général études.
Depuis quelques années, Jacobi Carbons France travaille sur la problématique des métabolites du métolachlore. « Le charbon actif est l’un des traitements privilégiés dans la mesure où il présente l’avantage d’éliminer les polluants en les retenant (et non en les transformant en sous-produits) contrairement à l’ozonation. Par ailleurs, il ne produit pas d’effluent à retraiter comme cela peut être le cas avec un traitement par membrane », explique Isabelle Laidin, applications manager. « Cependant les métabolites du métolachlore sont assez réfractaires à l’adsorption sur charbon actif. Ils requièrent des taux de traitement en charbon actif en poudre plus élevés que traditionnellement (ex : traitement de l’atrazine) et/ou des renouvellements de charbon actif en grain potentiellement plus fréquents. En conséquence, le traitement des métabolites peut peser lourdement sur le budget d’exploitation des usines de potabilisation. Afin de limiter les coûts, nous proposons la réactivation du charbon actif en grain saturé (c’est-à-dire ne disposant plus de capacité d’adsorption résiduelle), ce qui permet de restaurer sa porosité et ainsi de lui redonner une deuxième vie. Notre expertise et nos nombreux retours d’expérience sur ce sujet nous permettent d’apporter des recommandations aux exploitants, notamment en les encourageant à adopter une stratégie de protection de leurs filtres à charbon actif en grain par la mise en place d’un traitement par charbon actif en poudre en amont de la filière. Grâce à son expertise technique transverse et sa présence sur le marché du traitement de l’eau aux États-Unis ou la problématique des perfluorés est critique, Jacobi Carbons France a réalisé plusieurs essais en laboratoire et dispose de nombreux de retours d’expérience satisfaisants ».
L’osmose inverse, solution d’avenir ?
L’osmose inverse “basse pression” (10 à 12 bar), technologie membranaire permettant d’éliminer les ions monovalents (nitrates, fluorures…), est de plus en plus souvent évoquée. « Nous voyons d’ores et déjà apparaître des appels d’offre dans ce sens. Les maîtres d’ouvrage se posent la question de multiplier les étapes de traitement pour éliminer séquentiellement tous les nouveaux polluants réglementés, ou de déployer une seule technologie qui enlèverait tout. C’est l’intérêt de l’osmose inverse, qui a de plus fait des progrès en termes de consommation énergétique, de durée de vie des membranes, etc. » expose Fabrice Nauleau. Résultat : la Saur essaie, sur un pilote installé à Nemours, les différents types de membranes agréées arrivant sur le marché. « Nous testons l’élimination des nitrates, des perchlorates, de la dureté et de quelques pesticides, tous présents dans cette ressource. Cela nous permet de donner des garanties dans nos réponses aux appels d’offre », explique Fabrice Nauleau. « Le graal de l’osmose inverse, ce serait non seulement d’éliminer les polluants mais de pouvoir également se passer de chlore », ajoute-t-il.
Eau de Paris teste la solution sur un pilote à échelle semi industrielle dans son usine de Saint Cloud. « Il n’est pas exclu d’en construire une autre dans les années à venir, sur un autre de nos vecteurs d’eaux souterraines. Nous prendrons en compte le retour d’expérience sur ces pilotes, ainsi que l’évolution hydrogéologique prévisible de nos ressources souterraines, pour décider de l'avenir de nos filières » explique Estelle Desarnaud. Le Sedif explore également cette voie. Pensant à terme équiper les usines de Neuilly et Choisy en osmose inverse basse pression, le syndicat a mis en place un pilote semi-industriel dans son site d’Arvigny. « Nous attendons beaucoup de l’osmose inverse dans le cadre de notre projet “Une eau pure, sans chlore et sans calcaire”, prévu pour 2028. Restera à convaincre les autorités sanitaires qu’on peut se passer de chlore, mais après tout Grenoble l’a déjà fait, ainsi que Rotterdam et Amsterdam que nous sommes allés voir récemment » précise Philippe Knusmann. Mais le principe de précaution incite à rester prudent sur la nécessité de désinfecter l'eau potable. Par exemple, en Isère à côté de Grenoble, les communes de Vif et Le Gua ont connu en mars 2016 une contamination bactériologique de l'eau potable qui a provoqué une forte épidémie de gastro-entérite parmi la population, résolue par l'augmentation des taux de chloration et des travaux importants jusqu'en septembre 2018.
En septembre 2019, Suez a mis en service à Valenciennes – pour le Syndicat des Eaux du valenciennois – la toute première usine à osmose inverse de France. Devant traiter des eaux très fortement calcaires (plus de 40 °F), très chargées en matières organiques et comportant des perchlorates, l’usine de Thiant résout ces trois problèmes grâce à la seule osmose inverse.
Un bémol : l’osmose inverse consomme de l’énergie, ce qui se répercute sur le coût de traitement. Philippe Knusmann du Sedif estime toutefois que l’éventuelle augmentation du prix de l’eau sera largement compensée par les économies que réaliseront les foyers grâce à la diminution du calcaire. Suez calcule ainsi qu’en moyenne, les améliorations apportées à la qualité de l’eau par l’usine de Thiant entraîneront une économie annuelle de 130 euros par foyer. « L’osmose inverse fera tôt ou tard partie du paysage habituel des traiteurs d’eau » prévoit donc Fabrice Nauleau.
Prévenir plutôt que guérir
Tout en investissant dans de nouvelles technologies de potabilisation, les traiteurs d’eau s’intéressent de plus en plus à la surveillance amont et la protection des ressources. « Depuis les années 1990, nous travaillons avec la profession agricole pour faire évoluer les pratiques et préserver les zones de captage. Nous sommes un des services d’eau les plus avancés en la matière » affirme ainsi Estelle Desarnaud, chez Eau de Paris. Grâce à sa bonne connaissance des usages agricoles, Eau de Paris peut également mettre en place un programme de surveillance dynamique de la qualité des eaux brutes.
Il en va de même chez Veolia. « Nous surveillons déjà les ressources via les plans de gestion de la sécurité sanitaire de l’eau (PGSSE) que nous avons mis en place à travers notre démarche HACCP ISO 22000. Nous assurons une veille permanente sur les dangers émergents » explique ainsi Boris David. Laurent Brunet, chez Suez, partage la même vision. « Il faut partir de la vulnérabilité de la ressource pour choisir le meilleur traitement. En fonction de sa situation, une ressource recevra tel ou tel type de polluants. On utilise des polluants traceurs pour savoir quelle ressource est vulnérable et on choisira le traitement en fonction » explique-t-il. Tout cela va dans le sens de la future directive européenne, qui rendra probablement obligatoires les PGSSE, lesquels représentent une traduction des recommandations de l’OMS avec ses Water safety plans.
En termes d’outils, Aquaconsulting, la filiale informatique d’Aqualter, a déjà développé un logiciel de diagnostic permanent pour l’assainissement. « Nous travaillons à un système similaire pour l’eau potable, avec une visualisation de toutes les ressources d’eau brute d’un territoire, une sorte de SIG donnant en temps réel le niveau des nappes et la qualité des eaux, au moins sur les paramètres les plus importants comme les nitrates. Nous consolidons les données qui sont en opendata , et les résultats de nos propres analyses de la qualité de l’eau » révèle Vincent Darras chez Aqualter.
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