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Le traitement des tri et tétrachloroéthylènes par filtration sur charbon actif en grain

05 janvier 2018 Paru dans le N°407 ( mots)
Rédigé par : Ivan BOLJANIC de VEOLIA EAU, Stéphane DASSONNEVILLE de VEOLIA EAU, Philippe CLéMENT de OPALIUM et 1 autres personnes

Depuis plusieurs années, un des trois forages alimentant en eau potable la commune de Senlis (Oise) contient du trichloroéthylène (TCE) et du tétrachloroéthylène (PCE). La dilution des eaux de ce forage avec les eaux des deux autres forages a permis de produire, jusqu’à présent, une eau répondant aux exigences de qualité des eaux destinées à la consommation humaine. Mais cette situation entraîne une réduction de la capacité de production d’eau et crée des tensions lors des périodes de fortes consommations. Afin d’améliorer sa sécurité d’approvisionnement en eau, la commune de Senlis a défini un plan d’actions visant à renforcer la préservation des ressources et à améliorer la qualité de l’eau produite. Dans le cadre de ce plan d’actions, une solution de traitement des TCE et PCE par filtration sur Charbon Actif en Grain (CAG) a été mise en œuvre. Cette première installation en France de traitement spécifique et permanent du TCE et du PCE est en service depuis l’été 2015. Le présent article vise à faire un bilan sur les performances observées après 18 mois de fonctionnement.

Le trichloroéthylène (TCE) et le tétrachloroéthylène (également appelé perchloroéthylène - PCE) sont des composés organochlorés d’origine humaine. 

La problématique des tri et tétrachloroéthylène

Ils sont principalement utilisés comme solvants dans l’industrie (nettoyage à sec, nettoyage de pièces métalliques…). Bien que volatils, ces composés anthropiques lorsqu’ils sont rejetés dans le milieu naturel s’accumulent au fond des nappes phréatiques en raison de leur densité importante. Ces molécules présentent alors une grande stabilité entraînant une pollution durable des horizons hydrogéologiques.

L’exposition humaine au trichloroéthylène et au tétrachloroéthylène peut s’effectuer au travers de 3 sources :

  • l’air ambiant et surtout l’air intérieur des logements,
  • les aliments,
  • l’eau de boisson.

Ces molécules sont classées comme « cancérigène probable » pour l’homme par le Centre International de Recherche sur le Cancer.

La limite de qualité pour des eaux destinées à la consommation humaine fixée par le Code de la Santé Publique est de 10 µg/l pour la somme des concentrations en trichloroéthylène et tétrachloroéthylène.

Les solutions de traitement de l’eau

Deux principaux procédés sont actuellement autorisés pour le traitement de ces paramètres présents dans l’eau :

Le dégazage forcé par aération ou stripping : ce procédé utilise le caractère volatil important des molécules de TCE et PCE. L’eau s’écoule gravitairement dans une tour d’aération munie d’un garnissage du type anneau Raschig.

Une aération forcée à contre-courant au sein de cette tour permet de transférer les composés organiques volatils dissous de l’eau vers l’air. Un ventilateur alimente en permanence la tour de stripping. Compte tenu de la toxicité de ces composés volatils, un traitement d’air est ensuite nécessaire.

Ce dispositif nécessite un rapport air/eau élevé (de l’ordre de 10 à 30 Nm³ d’air/m³ d’eau) pour permettre une élimination efficace.

Ce rapport dépend directement de la teneur en TCE et PCE de l’eau brute et de l’objectif visé.

Dans le cas d’eau présentant un TH élevé, le dégazage de l’eau peut rendre l’eau très entartrante et provoquer des dépôts de calcaire importants dans le garnissage et à l’aval du traitement (réservoirs, réseau de distribution). Un ajustement de l’équilibre calco-carbonique de l’eau sera alors nécessaire.

L’adsorption sur charbon actif : le charbon actif présente des propriétés physiques (microporosité, surface spécifique…) qui lui confère une capacité d’adsorption importante vis-à-vis de certaines molécules organiques. Les molécules de TCE et PCE sont bien retenues sur le charbon actif avec une efficacité plus grande pour le TCE que pour le PCE. La capacité d’adsorption du charbon actif varie en fonction de sa nature (base de Houille, base de noix de coco…) de son degré d’activation, de sa granulométrie et des caractéristiques de l’eau (température, composition…).

Le traitement s’effectue par :

Passage de l’eau à travers un lit de charbon actif en grain dans des filtres ouverts ou sous pression. Afin de limiter les phénomènes de tassement et les colmatages par les matières en suspension présentes dans l’eau brute, le charbon fait l’objet d’un détassage régulier. Lors de cette phase, les molécules adsorbées ne sont pas désorbées. Le traitement s’effectue jusqu’à saturation du charbon qui doit alors être remplacé pour recouvrer l'efficacité initiale.

Apport de charbon actif en poudre dans une bâche de contact avant séparation par décantation ou filtration membranaire. Un dosage régulé de charbon actif neuf permet de traiter l’eau.

La situation à Senlis

Qualité de l’eau

Le réseau d’alimentation en eau potable de Senlis dessert près de 16 500 habitants pour un volume moyen annuel mis en distribution de 1 100 000 m³. La production est issue de 3 forages : le forage Bonsecours 1 : 100 m³/h, le forage Bonsecours 2 : 90 m³/h et le forage d’Aumont : 100 m³/h.

L’eau issue des 3 forages est une eau fortement minéralisée ne présentant pas de pesticides et très peu de nitrates. Elle est très dure avec des teneurs élevées en Calcium et en Magnésium pour un Titre Hydrotimétrique de l’ordre de 40 °f.

Globalement, ces forages produisent des eaux de très bonne qualité physico-chimique et microbiologique (cf. tableau 1).

Toutefois, le forage Bonsecours 1 situé au sein de la zone urbanisée de Senlis présente des teneurs TCE + PCE comprises entre 15 et 30 µg/l avec des pics pouvant atteindre près de 50 µg/l. La pollution est composée, de façon stable, à près de 90 % de trichloroéthylène. La figure 1 montre la variabilité des teneurs en TCE+PCE de l’eau du forage Bonsecours 1 sur la période 2010 - 2016.

Les fortes teneurs observées en TCE + PCE sur ce forage correspondent à des périodes de plus fortes sollicitations de la nappe du fait de volumes pompés plus conséquents.

Solution mise en œuvre

Figure 1 : Suivi de qualité de l’eau brute en sortie du forage Bonsecours 1.

L’unité de production est composée du forage Bonsecours 1 puisant l’eau dans les sables du cuisien, profond de 78 m et produisant 100 m³/h, et d’un réservoir sur tour de 1.000 m³ se situant au sein d’une zone pavillonnaire.

La solution de traitement par stripping (tour de dégazage) a été rapidement exclue compte tenu des contraintes environnementales et notamment de l’impact sonore du ventilateur de la tour de dégazage et de la nécessité de retraiter les TCE et PCE dans l’air avant rejet.

En revanche, la solution d’adsorption sur charbon actif en grain en filtres fermés présentait de multiples avantages dans le contexte urbain de Senlis :

  • absence de bruit : absence de moteurs dans le bâtiment contenant les filtres. Le refoulement de l’eau s’effectue par les pompes de forages qui alimentent les filtres sous pression pour refouler l’eau jusqu’à la cuve du réservoir située à 25 m au-dessus du sol,
  • pas de rejet d’air ambiant contenant TCE et PCE,
  • absence de pompage de reprise et d’accès direct à l’eau. L’utilisation des pompes en place est possible avec une perte de charge supplémentaire ne dépassant pas 0,5 bar.

Description

Figure 2 : Filtres à charbon actif en grain.

L’installation comporte 2 filtres fermés contenant une charge de charbon actif en grain (figure 2). Chaque filtre a une capacité de traitement de 50 m³/h. L’eau du forage est directement filtrée sous pression avant d’être stockée dans le réservoir sur tour de 1.000 m³. 

Pour permettre une mise en œuvre rapide, cette solution a été construite sous la forme d’une unité modulaire composée de deux filtres mis en place sur une dalle, avec caniveau technique, et d’un bâtiment préfabriqué en structure métallique.

Figure 3 : Construction de l’unité de traitement.

Dimensionnement

Cette unité permet de produire 100 m³/h. Afin d’assurer un temps de contact minimal de 12 minutes entre le charbon actif en grain et l’eau contenant TCE + PCE, chaque filtre comporte une charge de 11 m³ de CAG. Le charbon retenu est l’AquacarbTM 207C de Chemviron Carbon. Il s’agit d’un charbon actif en grain fabriqué à partir de noix de coco. Il dispose d’un indice d’iode élevé (1.100 mg/g) et présente une forte capacité d’adsorption des TCE et PCE.

Principe de fonctionnement

L’eau est pompée dans le forage de Bonsecours 1 pour être envoyée directement sur les filtres à CAG sous pression. Au cours de la filtration, les TCE et PCE sont adsorbés sur le CAG.

Figure 4 : Bâtiment de traitement.

Après traitement, l’eau est envoyée dans le réservoir sur tour de 1.000 m³ où elle est mélangée avec l’eau provenant du forage Bonsecours 2. Les filtres font l’objet d’un lavage périodique (environ 1 par semaine) afin de décompacter le média filtrant et de limiter les passages préférentiels (cf. figure 5).

Résultats

Avant la mise en service de l’unité de traitement, le suivi analytique de la qualité des eaux était réalisé mensuellement en sortie de réservoir après dilution avec les eaux du forage Bonsecours 2 afin de vérifier la conformité de l’eau mise en distribution. Le dosage des TCE et TPE se faisant selon la méthode NF EN ISO 15680 (Dosage par chromatographie en phase gazeuse).

Figure 5 : Schéma du système de production.

Depuis la mise en service de l’unité de traitement, un suivi analytique renforcé sur les paramètres Trichloroéthylène et Tétrachloroéthylène est réalisé :

  • en sortie de production de chaque filtre à charbon actif en grain,
  • sur l’eau mise en distribution.

Les résultats du suivi depuis 4 ans sont reportés dans le tableau 2.

L’ensemble des résultats montre une totale efficacité du traitement par CAG et ce dès la mise en service des filtres.

Après 16 mois de fonctionnement, aucune fuite en TCE+PCE n’est observée en sortie de l’unité de traitement.

La production d’une eau exempte de TCE et PCE permet depuis lors d’utiliser pleinement la ressource Bonsecours 1 et ainsi de sécuriser la capacité de production en eau de la Ville de Senlis.

Dans le cas présent, le charbon actif va se saturer progressivement en retenant les molécules de Trichloroéthylène et Tétrachloroéthylène. Le maintien du suivi analytique renforcé permettra d’observer une évolution des concentrations en sortie des filtres CAG et d’évaluer le niveau de saturation du CAG.

Le renouvellement de celui-ci sera réalisé dès l’apparition de traces de TCE + PCE en sortie des filtres. Le charbon actif sera extrait des filtres pour être incinéré. Un charbon actif neuf sera mis en place dans les filtres pour un nouveau cycle de production.

Conclusion

Suite à présence de Trichloroéthylène et Tétrachloroéthylène dans un forage alimentant la ville de Senlis, une unité de traitement par filtration sur charbon actif en grain a été mise en service en septembre 2015. Dès sa mise en service, cette unité a permis de produire une eau exempte de TCE+PCE tout en répondant à de fortes contraintes environnementales du fait de l’implantation de l’installation en zone pavillonnaire.

Un suivi régulier de la qualité de l’eau à l’amont et à l’aval de chaque filtre permet de constater le maintien des performances de traitement après plus de 16 mois de production.


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