Les représentants de 130 gouvernements ont approuvé le 4 mai dernier un rapport scientifique qui montre que l'agriculture, la pêche et le changement climatique sont en train de provoquer l'extinction d'un million d'espèces, et appelle à un remaniement radical de la société.
« La
nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l'histoire humaine
et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des
effets graves sur les populations humaines du monde entier », alerte
le rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les
services écosystémiques (IPBES), dont le résumé a été approuvé début mai à
Paris.
« Les preuves
accablantes contenues dans l’évaluation globale publiée par l’IPBES et obtenues
à partir d'un large éventail de domaines de connaissance, présentent un
panorama inquiétant, a déclaré le président de l’IPBES, Sir Robert Watson. La santé des écosystèmes dont nous
dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que
jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies,
nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de
vie dans le monde entier ».
« Le rapport
nous dit aussi qu'il n’est pas trop tard pour agir, mais seulement si nous
commençons à le faire maintenant à tous les niveaux, du local au mondial »,
a-t-il ajouté. « Grâce au « changement
transformateur », la nature peut encore être conservée, restaurée et utilisée
de manière durable, ce qui est également essentiel pour répondre à la plupart
des autres objectifs mondiaux ». Par « changement transformateur »,
on entend un changement fondamental à l’échelle
d’un système, qui
prend en considération les facteurs technologiques, économiques et sociaux, y
compris en termes de paradigmes, objectifs et valeurs.
Le rapport d’évaluation mondiale sur la biodiversité
et les services écosystémiques est le document le plus exhaustif réalisé à ce
jour. Élaboré par 145 experts issus de 50 pays au cours des trois dernières
années, il évalue les changements intervenus au cours des cinq dernières
décennies et fournit un aperçu complet de la relation entre les trajectoires de
développement économique et leurs impacts sur la nature. Il propose également
un éventail de scénarios possibles pour les décennies à venir.
Le rapport estime qu’environ 1 million d'espèces
animales et végétales sont aujourd'hui menacées d'extinction, notamment au
cours des prochaines décennies, ce qui n’est jamais arrivé dans l'histoire de
l’humanité.
Depuis 1900, l'abondance moyenne des espèces
locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué d'au moins
20 % en moyenne. Plus de 40 % des espèces d’amphibiens, près de 33 %
des récifs coralliens et plus d'un tiers de tous les mammifères marins sont
menacés. La situation est moins claire pour les espèces d'insectes, mais les données
disponibles conduisent à une estimation provisoire de 10 % d’espèces
menacées. Au moins 680 espèces de vertébrés ont disparu depuis le 16ème siècle
et plus de 9 % de toutes les races domestiquées de mammifères utilisées pour
l’alimentation et l’agriculture avaient disparu en 2016, et 1 000 races de plus
sont menacées.
« Les
écosystèmes, les espèces, les populations sauvages, les variétés locales de
plantes et les races locales d’animaux domestiques diminuent, se réduisent ou
disparaissent. Le tissu vivant de la Terre, essentiel et interconnecté, se
réduit et s’effiloche de plus en plus », a déclaré le professeur Settele.
« Cette perte est la conséquence
directe de l'activité humaine et constitue une menace directe pour le bien-être
de l’humanité dans toutes les régions du monde. »
Cinq
facteurs de changement
Pour accroître la pertinence du rapport, les
auteurs ont classé sur la base d’une analyse approfondie des données
disponibles, les cinq facteurs directs de changement qui affectent la nature et
qui ont les plus forts impacts à l’échelle mondiale. Ces facteurs sont, par
ordre décroissant : (1) les changements d’usage des terres et de la
mer ; (2) l'exploitation directe de certains organismes ; (3) le
changement climatique ; (4) la pollution et (5) les espèces exotiques
envahissantes.
Le rapport souligne que, depuis 1980, les émissions
de gaz à effet de serre ont été multipliées par deux, provoquant une
augmentation des températures moyennes mondiales d'au moins 0,7°C. Le
changement climatique a déjà un impact sur la nature, depuis le niveau des
écosystèmes jusqu’à celui de la diversité génétique, impact qui devrait
augmenter au cours des décennies à venir et, dans certains cas, surpasser
l'impact dû au changement d’usage des terres et de la mer et des autres facteurs
de pression.
En dépit des politiques en faveur de la nature, le
rapport met aussi en évidence que les trajectoires actuelles ne permettent pas
d’atteindre les objectifs mondiaux visant à conserver et exploiter durablement
la nature. Les objectifs pour 2030 et au-delà ne pourront être atteints que par
un changement transformateur dans les domaines de l’économie, de la société, de
la politique et de la technologie.
Les trois quarts de l'environnement terrestre et
environ 66 % du milieu marin ont été significativement modifiés par
l’action humaine. Plus d'un tiers de la surface terrestre du monde et près de
75 % des ressources en eau douce sont maintenant destinées à l’agriculture
ou à l’élevage.
La valeur de la production agricole a augmenté d'environ
300 % depuis 1970, la récolte de bois brut a augmenté de 45 % et
environ 60 milliards de tonnes de ressources renouvelables et non renouvelables
sont maintenant extraites chaque année dans le monde, quantité qui a presque
doublé depuis 1980.
La dégradation des sols a réduit de 23 % la
productivité de l’ensemble de la surface terrestre mondiale. Une partie de
la production agricole annuelle mondiale, d’une valeur estimée à 577 milliards
de dollars US, est confrontée au risque de disparition des pollinisateurs et de
100 à 300 millions de personnes sont exposées à un risque accru d'inondations
et d’ouragans en raison de la perte d'habitats côtiers et de leur protection.
En 2015, 33 % des stocks de poissons marins
ont été exploités à des niveaux non durables ; 60 % l’ont
été au niveau maximum de pêche durable, et seulement 7 % à un niveau inférieur à celui estimé comme étant durable.
Les zones
urbaines ont plus que doublé depuis 1992
La pollution par les plastiques a été multipliée
par dix depuis 1980. Environ 300-400 millions de tonnes de métaux lourds,
solvants, boues toxiques et autres déchets issus des sites industriels sont
déversés chaque année dans les eaux du monde, et les engrais qui arrivent dans
les écosystèmes côtiers ont produit plus de 400 « zones mortes » dans les
océans, ce qui représente environ 245.000 km², soit une superficie totale plus
grande que le Royaume-Uni.
Ces tendances négatives continueront jusqu’en 2050
et au-delà, dans tous les scénarios politiques explorés dans le rapport, sauf
dans ceux qui proposent un changement transformateur.
Le rapport présente également des exemples d'actions en faveur du développement durable et les trajectoires pour les réaliser dans des secteurs tels que l'agriculture, la foresterie, les écosystèmes marins, les écosystèmes d'eau douce, les zones urbaines, l'énergie, les finances et bien d'autres. Il souligne combien il est important, entre autres, d'adopter une gestion intégrée et des approches intersectorielles qui prennent en compte les compromis entre la production alimentaire et celle de l’énergie, les infrastructures, la gestion de l’eau douce et des zones côtières, ainsi que la conservation de la biodiversité.
En vue de créer une
économie mondiale durable, l'évolution des systèmes financiers et économiques
mondiaux a également été identifiée comme un élément clé des politiques futures
plus durables. Elle s'éloigne du paradigme actuel trop limité de la croissance
économique.