Un an après la publication des arrêtés du 7 septembre 2009 qui constituent le nouveau cadre réglementaire de l'assainissement non collectif, de nombreuses incertitudes demeurent sur les modalités auxquelles seront assujetties les 5 millions d'installations recensées sur le territoire national. Même si la filière tend à se structurer et à se professionnaliser, l'écart entre les ambitions affichées par les pouvoirs publics et les réalités du terrain reste inquiétant. Bien que disposant d'un potentiel impressionnant, l'avenir de la filière reste incertain et lié à des arbitrages qui tardent à venir. Rencontre avec Stéphane Bavavéas, Vice-président de l'IFAA (Industriels Français de l'Assainissement Autonome) et Président directeur général du groupe Eparco, spécialisé dans les solutions d'assainissement non collectif (fosse septique toutes eaux, filtre compact et système de réutilisation des eaux traitées).
Revue L?Eau, L?Industrie, Les Nuisances : La physionomie du marché de l'assainissement non-collectif a beaucoup évolué ces dernières années. Quelles sont, à vos yeux, les évolutions les plus notables ?
Stéphane Bavavéas : Nous avons très sensiblement progressé sur la connaissance de l'état du parc des installations d'ANC. Nous savons ainsi qu'aujourd'hui près de 60% des installations sont non conformes et que 20 % d'entre-elles constituent des points noirs. Les Spanc ont réalisé un travail de diagnostic très important, dans les délais qui leur était impartis.
Nous avons également progressé dans la connaissance des technologies épuratoires. Certaines ont été éprouvées. Cela nous donne un certain recul et permet d'avoir confiance dans la possibilité de réhabiliter le parc au plan technique.
Les avancées réglementaires liées à la publication des arrêtés du 7 septembre 2009 et à certaines dispositions du Grenelle de l'environnement constituent également d'indiscutables progrès, tout comme le contexte normatif qui a notablement progressé, même si ? je pense au marquage CE ? des failles ont été mises en évidence. Il existe aujourd'hui une volonté forte des industriels de faire avancer ces normes dans l'avenir. Autre sujet de satisfaction, et même s'il reste beaucoup à faire vis-à-vis des particuliers, l'assainissement non collectif est devenu ces dernières années pour les pouvoirs publics, les collectivités et les élus, un vrai enjeu ce qui n?était pas le cas précédemment.
Bref, nous observons avec satisfaction un très net mouvement de professionnalisation et de structuration de la filière ANC.
E.I.N. : Pourtant, tout n?est pas rose aujourd'hui sur le marché de l'assainissement non collectif?
S.B. : Non, effectivement. Au plan économique, le marché est difficile et la visibilité limitée. Entre 2007 et 2009, le marché du neuf a baissé de 10%. De 55.000 maisons neuves équipées d'un système d'ANC en 2007, nous sommes passés à 50.000 en 2009 du fait de la crise de l'immobilier. Le contexte est encore plus difficile sur le marché de la réhabilitation qui a chuté de 40% en passant de 50.000 réhabilitations en 2007 à 30.000 en 2009. Il devrait se stabiliser autour de ce même chiffre en 2010.
E.I.N. : Comment expliquez-vous cette chute ?
S.B. : La crise économique pèse lourdement. Les diagnostics réalisés par les Spanc se poursuivent à un rythme satisfaisant et devaient être achevés pour 2012. Mais en l'absence d'obligation et de sanctions suffisamment fortes, les particuliers, en raison de la crise, ont choisi de décaler cette dépense. Le nombre de devis reçus par les industriels s'est globalement maintenu, mais le nombre de signatures s'est nettement affaissé même si certains industriels résistent bien. Si bien qu'aujourd'hui, si l'on additionne le marché du neuf avec celui de la réhabilitation, nous sommes passés d'un marché de 110.000 installations en 2007 à 80.000 en 2009?
E.I.N. : Nous sommes loin des ambitions initiales affichées par les pouvoirs publics...
S.B. : C?est un euphémisme. La Lema du 30 décembre 2006 avait souhaité donner une nouvelle impulsion au secteur de l'ANC en fixant des échéances de contrôle pour 2012 et de rénovation pour 2016. Ce qui signifiait concrètement que 3 millions de systèmes devaient être rénovés d'ici 2016 soit 500.000 par an?. A l'évidence on n?y arrivera pas et de loin !
Depuis, l'objectif du ministère de l'écologie et des différents acteurs du secteur s'est établi autour de 200.000 réhabilitations, ce qui fixe le taux de rénovation à 4% puisqu'il y a 5 millions de systèmes. Dans cette hypothèse, le parc serait renouvelé tous les 25 ans, ce qui parait raisonnable.
E.I.N. : Sauf qu'avec 30.000 réhabilitations en 2010, nous sommes très loin de cet objectif de 200.000? Quels sont les facteurs qui pourraient permettre de l'atteindre ?
S.B. : Plusieurs dispositions incitent à l'optimisme. L?obligation d'achever les diagnostics en 2012 concourt à favoriser la prise de conscience des particuliers. L?article 57 bis de la loi « Grenelle II » qui impose une obligation de mise aux normes des installations d'ANC au moment de la cession d'un bien immobilier pourrait également booster le marché à court terme. Cette mesure est très actuelle car elle concerne les ventes conclues à partir du 1er janvier 2011 donc les compromis signés à partir du 1er octobre prochain... En cas de non conformité lors de la signature de l'acte de vente, l'acquéreur devra faire procéder aux travaux de mise en conformité dans un délai d'un an.
Mais plus que tout, c'est bien la définition du risque sanitaire ou environnemental avéré qui fixera le curseur et donc le rythme des réhabilitations.
E.I.N. : Pour quelle raison ?
S.B. : Comme vous le savez, le ressort de la réhabilitation d'une installation d'ANC a changé. D?une logique de conformité réglementaire qui devait déclencher ou non la réhabilitation, nous sommes passés à une logique basée sur le seul critère du risque sanitaire ou environnemental avéré. Question : qu'est ce qu'un risque sanitaire ou environnemental avéré ? C?est une question capitale car une définition trop restrictive aurait pour effet de ralentir le rythme des réhabilitations et ainsi de créer de vrais risques alors qu'une définition trop rigoureuse nous priverait des moyens de nos objectifs. C?est donc un enjeu essentiel sur lequel travaille le ministère, mais aussi l'ASTEE et l'IFAA et bien d'autres encore pour essayer d'aboutir à une grille de définition claire, raisonnée et raisonnable.
E.I.N. : Quand et sous quelle forme sera publiée la grille de définition du risque sanitaire ou environnemental avéré ?
S.B. : Elle devrait prendre la forme d'un arrêté qui pourrait être publié avant l'été 2011, peut-être même avant. Seront définis les risques qui pèsent sur la sécurité des personnes qui touchent des installations qui devront être rénovées ainsi que les risques sanitaires, par exemple des effluents à l'air libre non traités. Mais cette définition impliquera forcément quelques ajustements réglementaires.
E.I.N. : Lesquels ?
S.B. : A l'heure actuelle, et en cas de risque sanitaire ou environnemental avéré, les travaux de mise aux normes doivent être effectués dans un délai de 4 ans après notification du SPANC. C?est totalement déraisonnable. Si l'on estime qu'une installation présente un risque sanitaire ou environnemental avéré, attendre 4 années pour supprimer ce risque confine à l'irresponsabilité.
Un deuxième point devra, à mon sens, être modifié : c'est le contrôle obligatoire des systèmes tous les dix ans. Je m'explique : prenez une installation neuve ou réhabilitée. On va la contrôler une première fois au bout de 10 ans. Au bout du deuxième contrôle, il se sera écoulé 20 ans. Imaginons que la durée de vie médiane des systèmes soit de 20 ans ce qui parait raisonnable. Si l'on conserve cette périodicité de 10 ans, au bout de 20 ans, c'est-à-dire lors du deuxième contrôle, vous aurez mathématiquement 40% des installations qui présenteront un risque sanitaire ou environnemental.
E.I.N. : Que proposez-vous ?
S.B. : Il serait sans doute judicieux de s'orienter vers un système comparable au contrôle technique automobile, à savoir un contrôle diagnostic complet à l'issue d'une période de 5 ans et ensuite, tous les deux ans, une visite plus légère qui permettra de s'assurer du bon fonctionnement du système. En cas de mauvais fonctionnement, un contrôle diagnostic complet devra être à nouveau effectué. Un système de ce type permettrait de réduire le taux de déficience à 2% au lieu de 40 %. C?est d'autant plus important que le marché est plus concurrentiel : 8 agréments ont été délivrés et beaucoup de technologies de types micro-stations mettent en ?uvre de l'électromécanique qui nécessite, pour bien fonctionner, un entretien régulier. Si les particuliers n?assurent pas convenablement cet entretien, on assistera très vite à de nombreux dysfonctionnements. Il faut donc revoir cette disposition sous peine de retomber dans la situation initiale qui consiste à devoir faire face à la nécessité de réhabiliter une grande partie du parc. C?est également essentiel si l'on veut professionnaliser l'assainissement non collectif.
E.I.N. : Un système de ce type poserait des problèmes de financement'.
S.B. : Le chantier des financements progresse de manière satisfaisante. L?idée d'une remise aux normes des installations au moment de la cession d'un bien immobilier est une bonne idée qui résout le problème du financement puisqu'il se règle dans le cadre d'une négociation entre vendeurs et acheteurs. L?existence du prêt à taux zéro est un autre motif de satisfaction, même si les conditions d'obtention restent encore trop restrictives.
D?autres pistes devront sans doute être explorées comme une réorientation du crédit d'impôt développement durable, une contribution des agences de l'eau, voire une augmentation du prix de l'eau destinée à financer l'ANC.
E.I.N. : Quel regard portez-vous aujourd'hui sur la procédure d'agrément mise en place par les arrêtés du 7 septembre 2009 ?
S.B. : Il y a une volonté, eu égard au développement attendu de la réhabilitation, de mettre en place des agréments pour les nouvelles technologies. Le choix a été fait de tester ces dispositifs sur plateforme pour délivrer des agréments rapidement. C?est un choix qui implique que soit mis en place la possibilité de vérifier comment les dispositifs agréés se comportent dans le temps et sur le terrain et conséquemment qu'un retrait ou une modification de l'agrément soit possible en cas de dysfonctionnements manifestes et répétés. Or l'observatoire prévu n?est toujours pas en place et rien n?est encore décidé sur les modalités de contrôle de cet observatoire alors même qu'il est essentiel pour la protection de l'environnement comme pour la défense des intérêts des particuliers. Les industriels de l'assainissement non collectif souhaitent un ANC de qualité. Leur inquiétude porte donc moins sur les agréments que sur leur suivi dans le temps et sur le terrain.
E.I.N. : Quelles sont selon-vous les mesures nécessaires à une professionnalisation du secteur de l'assainissement non collectif ?
S.B. : La priorité numéro 1 c'est la définition du risque sanitaire ou environnemental avéré qui va placer le curseur et donc fixer le paysage de l'ANC pour plusieurs années, comme nous l'avons vu.
La deuxième priorité sur laquelle l'IFAA va s'engager dans le cadre du plan d'action national ANC, c'est la formation des entreprises de pose. Aujourd'hui, à côté des 300 entreprises spécialisées dans l'ANC, l'essentiel du marché est occupé par des entreprises généralistes qui en font un business complémentaire. Or, l'augmentation du nombre de réhabilitations de 30.000 à 200.000 par an va inévitablement attirer des entreprises alléchées par ce marché en forte expansion. Il est donc impératif d'accompagner ce mouvement par des actions de formations si l'on souhaite professionnaliser la filière. Sans parler de certification, je suis favorable à une forme de formation obligatoire, régulière, de nature à donner des gages aux particuliers. Ceci est d'autant plus nécessaire que les technologies se sont multipliées.
Cette formation obligatoire pourrait également contribuer à faire évoluer le statut de l'ANC sur le marché du neuf qui fait partie des travaux dits réservés et qui, à ce titre, souffre de financements trop systématiquement comprimés à l'origine de la mise en service de systèmes « low cost », mal conçus, mal dimensionnés qui s'avèrent rapidement source de nombreux problèmes. Un ajustement réglementaire qui réintégrerait le coût de l'ANC dans le prix de la maison accompagné d'une obligation de formation pourrait contribuer à améliorer le fonctionnement d'un grand nombre de systèmes mis en service.
Troisième priorité, il faudrait que le ministère mette rapidement en place une campagne de communication. D?abord, auprès des acteurs du secteur, pour expliquer les enjeux, les objectifs, les moyens mis en ?uvre. Ensuite, ou plutôt parallèlement, auprès des particuliers pour cadrer et accompagner la mise en place de la remise aux normes, notamment, au moment d'une vente d'habitation. Ceci est d'autant plus important que toutes les études montrent que, contrairement aux autres composantes d'une habitation, l'assainissement est un sujet qui intéresse très peu les français. Beaucoup d'entre eux en sont toujours à la fosse septique « au fond du jardin », sans aucune préoccupation sanitaire ou environnementale. Or, le particulier a un rôle déterminant à jouer, non seulement dans le développement d'un assainissement fiable mais, plus généralement, dans la réussite de la protection de l'environnement.
En conclusion, si chacune de ses trois priorités est décisive, elles doivent être prises de concert. C?est à cette condition qu'elles donneront à l'assainissement non collectif l'élan indispensable.
Propos recueillis par Vincent Johanet