Pour accompagner les élus et les services d’eau et d’assainissement français de taille moyenne dans la prise de décisions adéquates en matière de gestion financière et de planification des investissements, l’Office International de l'Eau (OiEau) a élaboré depuis six ans son outil PropserEau, avec le soutien financier de l’Office français de la biodiversité (OFB). Marc-Yvan Laroye, Directeur général adjoint de l'OiEau, détaille pour L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances les mécanismes de PropserEau, sur lequel les collectivités pourront à nouveau compter en 2025.
L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances : Quelle a été la genèse du projet ProsperEau ?
M.L : L’Office International de l’Eau (OiEau), association reconnue d’utilité publique et agréée « Protection de l’environnement », accompagne depuis plus de 30 ans les collectivités locales dans l'organisation d'une gestion de l'eau efficiente et durable à travers le monde.
En France, le transfert des compétences « Eau, Assainissement et Pluvial » leur a imposé de renforcer leur stratégie et leurs capacités opérationnelles et structurelles, pour répondre aux défis d’adaptation au changement climatique et à l’accentuation des risques liés à l'eau (inondations, sécheresses, pollutions, effondrement de la biodiversité).
Au fil du temps, lors de la conduite de projets aux côtés de collectivités et de formations dédiées aux services d’eau et d'assainissement français, l’OiEau a constaté la nécessité de mettre à disposition un outil de référence en matière de gestion financière, de tarification et de planification de leurs investissements.
En effet, dans ses projets d’accompagnement au transfert de compétences et à l’optimisation des services, l’OiEau a systématiquement intégré une étape d’analyse et d’élaboration de projections stratégiques financières et techniques à court, moyen et long terme.
Ces dernières doivent répondre en particulier aux investissements très importants auxquels sont confrontés les collectivités et services pour pérenniser leurs infrastructures mais aussi répondre aux évolutions d’investissements rendus nécessaires par les changements de règlementations (nouvelles pollutions à traiter, enjeux de réutilisation, rattrapage du renouvellement des installations existantes) ainsi qu'aux effets de l’inflation, à l'image des prix de l’énergie.
Ainsi depuis 2019, pour accompagner les élus et les services d’eau et assainissement de taille moyenne (2 000 à 50 000 abonnés) dans la prise de décisions étayées, l’OiEau a développé PropserEau. Cet outil, mis gratuitement à leur disposition depuis 2023, est hébergé sur leurs systèmes informatiques et assure la sécurité des données.
L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances : Quels sont les principaux défis que cet outil permet de relever pour les collectivités locales ? En quoi se distingue-t-il des solutions déjà disponibles sur le marché ?
M.L : Le plan Eau, les déclinaisons des Directives Européennes sur l’eau et l’assainissement, les Plans de Gestion de la Sécurité Sanitaire des Eaux (PGSSE), la Gestion patrimoniale et le recours aux Solutions fondées sur la Nature (SFN), nécessitent la mise en œuvre de nombreux projets et travaux pour honorer les obligations des collectivités. Avant de se lancer, ces dernières sont confrontées à de très nombreuses interrogations quant aux arbitrages techniques, financiers et politiques à opérer.
Comment procéder à des choix stratégiques et opérationnels pertinents, à court, moyen et long terme ? Comment décider d’un plan d’investissements ? Comment optimiser l’utilisation de l’épargne ? Sur quelles recettes précises compter ? Quelles seront les répercussions sur les tarifs et donc sur les factures des usagers ? Comment adapter les services à l’évolution forte des périmètres ? À quels financements peut-on avoir recours ? Autant de problématiques face auxquelles ProsperEau fournit des éléments de réponse et de décision.
À l’aide de ProsperEau, les collectivités intègrent l’historique, modélisent et scénarisent l’équilibre financier de leurs services d’eau et d’assainissement, en tenant compte des besoins d’investissement et de leur variation, de la dette existante et projetée. Ces scénarios permettent une décision politique de tarification cohérente avec les aspects techniques et financiers, et son adaptation dans la durée.
Le marché actuel est surtout basé sur des offres de service proposées par des bureaux d’étude qui disposent chacun de leur outil propriétaire. La caractéristique principale de ProsperEau réside dans le fait qu’il s’agit d’un outil accessible, gratuit et ouvert, qui répond à des enjeux d’utilité publique, conformément aux valeurs portées par l’OiEau.
L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances : Comment ProsperEau intègre-t-il une dimension climatique, économique et sociale dans ses analyses ?
M.L : ProsperEau ne le fait pas en tant que tel mais au sein des plans pluriannuels d’investissements. Il intègre des données de prévision de consommation qui comportent les dimensions climatiques, économiques et sociales.
Il peut contribuer à intégrer les enjeux de transition hydrique d’une collectivité face au changement climatique. Notamment, avec la possibilité de comparer des stratégies d’augmentation de l’offre (renforcement des moyens de production et des volumes prélevés), avec des stratégies de maîtrise de la demande des usagers (communication sur les démarches et outils de réduction des consommations d’eau auprès des habitants par exemple).
Les scénarios développés avec ProsperEau peuvent ainsi contribuer à mettre en évidence l’interdépendance entre l’évolution des besoins et la mise en œuvre et le dimensionnement des infrastructures sur le court, moyen et long terme.
L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances : Quelles sont les perspectives d’évolution actuelles de ProsperEau ? Envisagez-vous d’y intégrer de nouvelles fonctionnalités ou des technologies comme l’intelligence artificielle ?
M.L : Depuis sa publication en 2023, sur la base des retours des collectivités françaises déjà utilisatrices, l’OiEau a fait évoluer ProsperEau afin de le rendre son utilisation toujours plus accessible et rapide.
ProsperEau peut en effet constituer un noyau permettant d’élargir les cibles à d’autres utilisateurs tels que les industriels mais aussi à d’autres contextes à l’international. Pour cela, l’OiEau devra le rendre moins dépendant aux règles de comptabilité publique française. En ce qui concerne l’IA, l’OiEau ne l’utilise pas dans le cadre de ProsperEau. Néanmoins, les outils IA pourront être utilisés dans le traitement des données intégrées dans ProsperEau.
L’OiEau, dont une des quatre expertises principales s'intitule « Données et Systèmes d’information » reste prudent quant à l’utilisation d’outils externes d’IA qui peuvent comporter des biais, en amont et en aval du traitement. Sans parler des problèmes de sécurité de la donnée !
L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances : Comment accompagnez-vous les collectivités dans la prise en main de ProsperEau ?
M.L : L’OiEau propose plusieurs supports et services pour accompagner au mieux les utilisateurs de ProsperEau. Nous avons édité un Guide papier accessible en téléchargement après connexion à la plateforme ProsperEau. Didactique, il permet de mettre en œuvre l’outil, étape par étape, grâce à des explication simples, illustrées de captures d’écran.
Par ailleurs, trois sessions d’initiation sont complétées par un support spécifique. La première session présente les généralités, les périmètres budgétaires, l’historique de facturation et la modélisation des recettes. La seconde explique la modélisation des charges, des dettes, des amortissements et du programme d'investissement. Et enfin, la troisième traite de la recherche de l'équilibre financier, des indicateurs financiers et de l’élaboration de scénarios. De plus, nous proposons des actions de formation combinant des sessions d’initiation avec un accompagnement pour le paramétrage personnalisé de ProsperEau, spécifique à la situation et à l’avancement de la collectivité.
D’autres prestations de service sont également réalisées par l’OiEau. Nos experts assurent le pré-paramétrage à partir des données des Bases nationales puis le complètent avec les données supplémentaires fournies par les Agents de la collectivité. Une fois l’outil paramétré et personnalisé, nos experts présentent la situation en cours de la collectivité et animent les échanges avec les élus pour bâtir des scénarios concertés. La collectivité dispose donc de recommandations sur la cohérence des plans d’investissement avec la politique de tarification.
L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances : Avez-vous envisagé des déclinaisons pour les acteurs privés qui souhaitent mieux gérer leurs ressources en eau ? L’outil pourrait-il être adapté pour répondre aux besoins des industriels ?
M.L : ProsperEau représente un noyau de simulation qui fait le lien entre les coûts de production et les investissements. Cela ouvre donc à des déclinaisons au-delà des services publics d’eau et d’assainissement. On peut donc effectivement envisager de le proposer à des acteurs industriels.
Cette déclinaison pourrait permettre d’isoler une analyse financière des services lié à l’eau au sein de l’industrie et traduire financièrement des trajectoires de transition et d’investissement, pour cheminer vers une diminution de l’empreinte eau, au sein de leur process industriel. Une déclinaison de cet ordre demanderait des adaptations fortes par rapport à l’outil actuel, notamment pour la prise en compte des différences de formalisme dans les règles comptables, d’amortissement et de valorisation des résultats, et du capital.
L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances : Les données collectées par ProsperEau pourraient-elles être utilisées pour alimenter des initiatives plus larges en matière de développement durable ou d’économie circulaire ?
M.L : Une partie des données est déjà publique, ProsperEau n’est donc pas nécessaire pour y accéder. En revanche, l'outil a une réelle valeur ajoutée qui pourrait enrichir des initiatives à d’autres échelles territoriales. La prise en compte des investissements permet de développer des référentiels et des indicateurs qui pourraient s’intégrer dans des politiques plus larges. Aujourd’hui, nous n’en sommes pas encore là mais ce serait envisageable si des seuils en volume sont franchis, pour autoriser une validité statistique et une représentativité réelle de l’outil.
L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances : À long terme, ProsperEau pourrait-il devenir un outil de référence pour favoriser la collaboration entre collectivités, industriels et particuliers dans la gestion de la ressource en eau ?
M.L : À long terme, c’est en effet un objectif mais cela sous-tend des conditions telles que l’existence d’un réseau effectif entre les collectivités territoriales pour procéder à une comparaison volontaire de services de même type. C’est l’avenir qui nous orientera sur les développements futurs.