2021 a été marquée par une augmentation historique des prix de l'électricité sur le marché de gros. L'évolution dans les mois à venir reste incertaine. Afin de pouvoir analyser les conséquences de la hausse des coûts sur les collectivités, la FNCCR s’est livrée à une enquête auprès de ses adhérents. Elle démontre la nécessité de transformer le système d’achat groupé d’énergie. Lionel Guy, chef du service Energie Renouvelable et Maitrise de la Demande et Régis Taisne, chef du département Cycle de l’eau à la FNCCR nous livrent leurs explications.
Revue L’eau, l’industrie, les
nuisances : Depuis la libéralisation du marché de l’énergie, comment la
structure du prix de l’électricité pour les collectivités a t-elle
évolué ? La baisse des prix va-t-elle de soi ?
Lionel Guy : De manière
assez générale, on observe dès qu’on libéralise un marché que les industriels d’une
filière à l’assault d’un monopole ont des tactiques commerciales assez
agressives pour engranger des volumes et se positionner comme fournisseur
indépendant avec des tarifs relativement bas.
Le marché de l’énergie qui a été
libéralisé en 2006 ne déroge pas à la règle. Depuis la fin
des tarifs vert et jaune applicables aux consommateurs professionnels, la FNCCR
s’est mobilisée en créant un GT technique sur les achats d’énergie pour
accompagner les collectivités qui le souhaitent dans la mise en place de
commandes groupées.
Au cours des dernières années, le GT
s’est régulièrement préoccupé des tensions qui pesaient sur les matières
premières et de leurs répercussions sur les marchés
subséquents. La
question n’étant plus de savoir si la hausse du prix de l’énergie aurait lieu,
mais plutôt à quel rythme et selon quelle modalité elle affecterait les
consultations.
Accélérée par la crise du Covid-19, avec
pour corrollaire l’envolée des prix d’approvisionnement, la flambée des prix de
l’énergie a atteint au dernier trimestre 2021 des niveaux historiques que
personne n’avait prévue. Pas même les experts.
EIN : Que révèle l’enquête
nationale que la FNCCR a menée sur les conséquences des prix de l’énergie. Quels sont les constats partagés par les
collectivités et plus précisément la situation des services publics d’eau
et d’assainissement ?
L.G : L’enquête s’est déroulée
entre le 15 décembre 2021 et le 10 janvier 2022. Elle met en avant les
situations extrêmes, couvre 280 000 points de livraison (un bâtiment ou un
compteur), l’équivalent de 6000 communes, ce qui conduit à une certaine
représentativité.
En fonction des situations, les
augmentations de coût de fourniture d’énergie s’échelonnent de 50 à 300 % pour
des périodes de contractualisation de trois années.
S’il est encore trop tôt pour se livrer
à une analyse exhaustive de l’enquête, on pressent toutefois que le patrimoine
classique des collectivités, qui était sur des groupements d’achat plus anciens
et assez longs, serait assez protégé. Par contre, il semblerait que les
collectivités locales ou syndicats gestionnaires d’un service public en réseau
( production d’eau potable, assainissement, gestion des déchets, réseau de
chaleur) subissent des augmentations assez importantes.
Régis Taisne : Certaines
situations et notamment celles des collectivités et opérateurs qui ont dû
relancer une procédure d’appel d’offres après l’été, soit à l’échéance normale
de leur marché de fourniture (accord cadre ou marché subséquent) ou en raison
de la défaillance de leur fournisseur, sont préoccupantes. Elles subissent de
manière mécanique une augmentation des tarifs à des niveaux très élevés et pour
des périodes de contractualisation parfois longues, jusqu’à trois années.
Prenez la faillite d’Hydroption en
octobre 2021, qui était attributaire d’un des marchés subséquents de l’accord
cadre du groupement d’achat de l’UGAP. Celle-ci a fortement pénalisé un certain
nombre de collectivités, notamment dans le domaine de l’eau et l’assainissement.
En effet, cette faillite a entraîné la caducité du marché, et une consultation
pour un nouveau marché subséquent a été lancée à laquelle seule EdF a répondu,
qui plus est sur des tarifs excluant toute la part de fourniture via le
dispositif de plafonnement de l’ARENH dont bénéficiait Hydroption. Les tarifs
résultant de cette « mise en concurrence » ressortent au double du
marché Hydroption...
EIN : Quelles conséquences, cette pression inflationniste entraine-t-elle sur les services d’eau et d’assainissement ?
R.T: Si certains services par leur calendrier d’achat sont aujourd’hui relativement protégés et ne devraient a priori pas subir d’augmentations massives telles que celles des dernières semaines, certaines collectivités qui disposaient de contrats indexés sur les tarifs spot subissent, par endroits, des augmentations allant de 100 à 150%.
Or il n’y a donc pas de miracle. Si l’on double les dépenses d’énergie qui peuvent représenter 10 ou 15% des dépenses de fonctionnement d’un service d’assainissement (un peu moins pour l’eau) et qu’aucune recette supplémentaire ne vient compenser cette hausse, cela aura une incidence tout à fait conséquente sur l’équilibre budgétaire du service. Même si aucune décision ne semble avoir encore été prise, les collectivités concernées s’interrogent dès à présent sur les mesures à prendre pour résorber ce déficit, avec comme principaux leviers l’augmentation des tarifs mais aussi la réduction des dépenses, parmi lesquelles celle d’investissements.
EIN : Vous préconisez avec l’AMF une action transformatrice à
tous les niveaux (réglementaire, encadrement des prix, etc..) pour enrayer la
situation. Quelles solutions avancez vous ?
L.G : Le gouvernement n’a
pas été inactif sur les questions d’achat d’énergie. Aussi, nous saluons le
travail qui a été fait sur la réduction de la TICFE ainsi que sur l’augmentation
du plafond de l’AREHN pour soutenir les entreprises, et nous resterons attentifs
à ce que tous les consommateurs finaux puissent en bénéficier.
Pour
les collectivités, les craintes que l’on peut éprouver pour les prochains mois
portent sur des nouvelles faillites et sur le système actuel de fournisseur
d’énergie de secours qui n’est absolument pas protecteur.
Parmi
les demandes de mesures de court terme que nous avons adressées au ministère
figurent la possibilité pour les collectivités qui le souhaiteraient de revenir
aux tarifs règlementés de vente (TRV), la création d’une dotation d’urgence
pour compenser ces augmentations, ainsi que l’aménagement du code de l’énergie pour que les
collectivités bénéficient comme les autres acteurs en cas de difficultés d’une
offre à un prix raisonnable.
A
ce stade, nous n’avons pas eu de retour positif de la part du gouvernement sur ces questions.
R.T : Cela s’explique sans doute par une raison simple : Les
mesures d’augmentation des tarifs ou les décisions de reports d’investissement n’entreront, sauf exception, pas en vigueur avant plusieurs mois. Cette relative inertie
(au-delà des élections) n’incite pas l’Etat à réagir rapidement.
L.G : A moyen
terme, nous avons demandé la remise à plat du système d’achat par accord cadre
et marchés subséquents qui est un système très contraint, absolument pas
dynamique.
Le
développement de contrats à long terme entre les
collectivités et des producteurs locaux ouvrent selon nous des perspectives séduisantes pour
protéger et couvrir les achats d’énergie des collectivités. On mise également sur d’autres
schémas de valorisation du patrimoine et des schémas d’autoconsommation qui ne
bouleversent pas le marché de l’énergie et qui à l’inverse doperont l’activité locale. Sur ces sujets, nous sommes en discussion avec la direction des affaires
juridique des ministères économiques et financiers et les services du premier
ministre.
R.T : A long terme, je pense que les modifications dans les
conditions d’achat d’énergie des collectivités vont booster les initiatives en
faveur des économies d’énergie et de production d’énergie qu’un certain nombre
d’opérateurs d’eau et d’assainissement a déjà engagé.
L’appétence
grandissante pour les projets de production d’énergie avec
autoconsommation partielle (rénovation énergétique
des bâtiments, panneaux solaires, valorisation du biogaz issu de la méthanisation
des boues de STEP…) montre que cela peut
constituer un élément d’un panier en approvisionnement en énergie qui soit plus
sécurisé. Y compris pour
les services où le seuil de de rentabilité était bloquant car, à partir du
moment où on anticipe une augmentation significative du prix de l’énergie, ce
seuil va diminuer.
EIN :
Avec cette hausse des prix de l’énergie potentiellement durable, comment les industriels se positionnent ils en produits et en
solutions ? La structure des contrats de concession pourrait -elle évoluer
selon vous ?
R.T : Même si cela n’a pas de valeur « statistique »,
je constate que ces dernières semaines, j’ai reçu beaucoup de sollicitations,
de demandes d’entretiens d’industriels (pompistes, capteurs...) et de bureaux
d’études positionnés sur l’efficience énergétique, l’optimisation des
consommations, la productivité des installations.
Du
coté des services d’eau et d’assainissement, je ne maitrise pas bien encore
comment les variations des coûts d’approvisionnement
en énergie des entreprises concessionnaires seront répercutées sur les tarifs
des contrats en cours : elles sont de toute évidence très différentes
d’une entreprise à une autre alors que les indices utilisés pour la révision
des tarifs reflètent une moyenne nationale... Quoiqu’il en soit, il y a là
encore un effet d’inertie car beaucoup de contrats sont révisés annuellement en
fin d’année.
Il
y a en revanche des difficultés pour la fixation des tarifs des contrats en
cours de procédure de mise en concurrence, ce qui pourrait conduire à isoler
les dépenses d’énergie et revoir leurs modalités de révision pour être à la fois
plus réactif mais aussi prendre en compte des éléments factuels pour réviser
les tarifs.
L’extrême
variabilité actuelle des prix de l’énergie et la
volatilité persistante attendue dans les mois à venir pourraient donc devenir
un facteur de concurrence accrue entre délégataires selon leurs stratégies
d’approvisionnement.
Propos
recueillis par Pascale Meeschaert