Verrons-nous enfin en 2020 l'engagement d'un véritable programme de lutte contre le réchauffement climatique ? Quoique marquée par la publication de plusieurs rapports alarmants sur la poursuite de la hausse des gaz à effet de serre et des températures dont les impacts sont croissants notamment dans le domaine de l’eau, la COP 25 n’a pas trouvé les moyens de faire émerger de consensus, alors que les intentions affichées par les Etats restent loin de la perspective prévue par l’Accord de Paris de limiter le réchauffement global à 2°C.
Une
demi-journée officielle a été consacrée au secteur de l'eau. Mais comme lors
des précédentes COP depuis Paris, ce fut plus l'occasion d'un débat entre
acteurs de l'eau que d'un échange avec les autres secteurs d'activité
susceptibles d'être impactés ou de proposer de nouvelles solutions pour lutter
contre les impacts des changements climatiques. Le dossier eau a néanmoins
bénéficié d’une bonne visibilité grâce à de nombreux évènements, notamment en
lien avec les ODD (dont l’ODD6) ou la protection de la Biodiversité à l'initiative
de divers organisateurs (Pays-Bas, Siwa, UNDP, UNEP, Unesco, Comite 21, Climate
Chance...)
Dans
ce contexte, le Partenariat Français pour l’eau (PFE) a organisé plusieurs
évènements mobilisant des acteurs nationaux sur le pavillon France et le pavillon
Francophonie et a produit plusieurs documents très appréciés (voir sur le' site
du PFE).
Au-delà
de l’urgence liée aux impacts des changements climatiques sur les eaux
continentales et littorales, les principaux messages du PFE ont porté sur les
points suivants :
1 Améliorer connaissances
dispositifs de mesures (milieux et usages), banque de données et devenir des
eaux continentales ;
2 Mieux évaluer
impacts d'un fort développement des puits naturels sur les ressources en eau ;
3 Relancer
l'agenda de l'action et le Partenariat de Marrakech (PM) ;
Sur
les deux premiers points, le PFE souhaite une expertise de l'état des
connaissances par le GIEC et le lancement de nouveaux programmes de recherche.
Le PFE envisage d'organiser en 2020 une journée d'échanges en collaboration avec
Météo France et l'agence de l'eau Adour-Garonne.
De
nombreux participants ont émis le souhait de voir relancer l'agenda de l'action,
mais se posent des questions sur les intentions de l'UNFCC sur ce sujet qu'elle
semble avoir négligé en 2019. Un outil pourtant indispensable pour recréer une
mobilisation et une dynamique des acteurs non étatiques qui puisse faire bouger
les représentants des Etas devenus frileux sur ce dossier.
Les
Pays-Bas ont fait part de leur décision d'organiser, via la Global Commission
on Adaptation qu’ils pilotent, un Sommet sur l’adaptation en octobre prochain à
Amsterdam dont une cible sera centrée sur l’eau. De son côté Climate Chance
envisage, suite au Sommet réussi d'Accra en 2019, d’organiser un Sommet
Africain en 2020.
Des interventions nombreuses
De
nombreux évènements ont relayé les alertes émises par les scientifiques et les derniers
travaux du GIEC avec, cette année, un accent mis sur les évolutions constatées
sur les océans. Ces alertes font état d'une forte accélération des phénomènes
annoncés : réchauffement des eaux, acidification, montée des eaux. Ainsi,
la poursuite du rythme actuel de progression des GES pourrait générer une
hausse du niveau des mers de 1m à la fin de ce siècle et 7 m en 2300.
Plusieurs
interventions ont souligné l’intérêt d’établir des liens avec les ODD et la
biodiversité, avec de nombreux exemples montrant l'intérêt des solutions fondés
sur la nature.
Le
secteur privé, très présent, a également formulé diverses solutions
technologiques ou financières pour lutter conte les changements climatiques et
ont diffusé le journal des groupes du secteur privé (BSR, CDP, WBCSD, Climate
Group, IDB, etc) avec un slogan proche de celui les ONGs "Business units
behind the science"
Une
forte présence des agences des Nations-Unies, de la Chine, de l’Inde, de l’Indonésie,
de plusieurs pays européens (Allemagne, Italie, Royaume-Uni, etc.), des
organisations financières multilatérales ou bilatérales, a été observée, de
même que pour le monde du business et des collectivités territoriales, y
compris Etats-Unis ("we are still in"). La France
a quant à elle adopté un format plutôt modeste et institutionnel.
Des négociations au point mort
Cette
COP 25 était importante car elle se situait à la veille du dépôt en 2020 des NDC
qui seront soumises au cycle de 5 ans de suivi et devait examiner le bilan de
l'application du dispositif pre-2020. Sur ces points, les négociations ont buté
sur plusieurs obstacles, si bien que des compromis restent à trouver sur les
points suivants :
1. Application
article 6 (marchés carbone) ;
2. Financement du
dispositif pertes et préjudices adopté à Varsovie (WIM) pour les petits pays
pauvres les plus menacés
3. Champ et financement
du dossier adaptation et prise en compte des propositions du Comite
d'Adaptation ;
4. Prise en compte
des travaux du GIEC et notamment des déficits de connaissance qui devraient
être comblés dans les observations systématiques ;
5. Cadre de
transparence : que mesure-t-on, à quelle périodicité et sur quelle période
doit-on rendre des comptes (concerne le pre-2020, et ensuite les bilans quinquennaux).
Pour surmonter ces obstacles, beaucoup de négociations ont fait l'objet de réunions en petits comités et il y eu très peu d'échanges entre acteurs de la société civile et les représentants des Etats. Ces discussions révèlent des oppositions connues classiques entre pays développés et pays en développement, mais aussi des divergences dans les intérêts de plusieurs pays au sein du groupe des PED comme de celui des pays principaux émetteurs de GES. Les retards pris sur la promesse de réduction des GES et les conséquences en termes d'impact climatique mise en évidence par le GIEC ont conduit les négociateurs à privilégier les items relatifs à l'atténuation, ce qui a généré des mécontentements des pays pauvres plus sensibles aux dossiers adaptation et pertes et préjudices.
La majorité des points en suspens ont été renvoyés à la Conférence de Bonn.
Le PFE envisage de poursuivre son action de
plaidoyer en 2020 sur 4 actions principales :
- Poursuivre
l'instruction d'une demande d'un rapport "eau" au GIEC (expertise
dossiers connaissance et impacts des puits naturels), via Etat et via Mme Masson-Delmotte ;
- Relancer
l'agenda des solutions et le Partenariat de Marrakech via le Sommet de l'adaptation
organisé par les hollandais ou via Climate Chance ;
- Organiser une journée eau/climat d'échange avec les chercheurs avant la prochaine COP ;
- Poursuite du projet sur la mise en œuvre de la composante eau des CDN dans quelques pays francophones (avec Réseau Climat Développement, GWP, AFD, Coalition Eau).
Pour
les acteurs de l'eau, l'ouverture vers les autres secteurs reste à confirmer.
Le dossier de l'eau n’apparaît pas comme un sujet majeur des négociations (la
COP 25 était ciblée sur les océans), mais reste souvent ciblée dans les
side-events ; on peut noter, cette année, une ouverture certaine des
organisateurs sur les ODD, la biodiversité, les solutions fondées sur la nature.
De ce point de vue, la demi-journée est restée cependant décevante : des
exemples montrant les exploits des acteurs de l'eau et non un dialogue avec les
autres priorités de préoccupation sur le climat. La communication du Conseil Mondial de l'Eau,
pour le prochain Forum Mondial de l'Eau à Dakar en 2021 gagnerait à établir des
liens plus forts avec la COP Climat, les ODD ou la COP Biodiversité. C'est l'attitude
de nos collègues hollandais qui, dans le montage du prochain Sommet sur l'adaptation,
mobilise fortement les agences des Nations-Unies et les acteurs internationaux
mobilisés dans ls initiatives onusiennes.
Dans
les négociations, l'écart entre les déclarations des Etats et l'absence de
décisions a été patent. A la veille de 2020, les éléments principaux de concrétisation
de l'Accord de Paris, bilan pré-2020 et relèvement des CDN ne sont pas là
(seuls de petits pays représentant moins de 10% des rejets de GES ont présenté
de nouvelles propositions), l'écart entre réalités scientifiques et déclarations
officielles des Etats de vouloir respecter l'accord de Paris de 2°C s’apparente
désormais à une illusion. La présentation par l'UNEP du bilan 2019 d'évolution
des GES fait apparaître clairement une poursuite de la hausse des GES en 2018
et la faible mobilisation des pays grands émetteurs.
Au
final aucune annonce significative n'a été faite, sauf l'engagement de la Commission
de l'UE de proposer d'aller vers la neutralité carbone en 2050. Cette disposition
reste cependant soumise à l'accord du Parlement et du Conseil et fait encore dissensus
entre certains pays de l'UE.
La
mobilisation réelle de beaucoup d'entreprises et collectivités locales permet-elle
de positiver ? La forte mobilisation des jeunes suffira-telle à faire bouger
les lignes ? Le PFE doit-il sonner l'alarme pour notre domaine de l'eau ou
rassurer en faisant valoir qu'il existe des solutions possibles à mettre en œuvre
? Est-il possible, voire utile, de maintenir cette fiction qui consiste à
affirmer qu’un chemin existe vers les 2°C de l'Accord de Paris ?
On
a pu noter, au travers des initiatives des acteurs non-étatiques sur les
pavillons et lors des side-events une véritable mobilisation, ce qui a conduit certains
à dire que les acteurs non-étatiques sont très souvent plus en avance que les
négociateurs officiels.
Cette
COP 25 a été donc été clôturée dans la difficulté et avec peu de progrès : à
l’exception de l'UE, aucun engagement des pays gros émetteurs n’a été formulé. Des
incompréhensions persistent entre pays riches et pays en développement
demeurent, tant sur le financement de l'action climatique pour l'adaptation et
les pertes et dommages, que sur l'organisation de marchés de carbone.
Point
positif : de nombreux représentants des collectivités locales et des
entreprises ont montré leur volonté d'aller de l'avant démontrant que des
solutions sont, aujourd'hui, à notre portée. De nombreux jeunes, tant lors
d'une manifestation géante au centre de Madrid, que sur le site de la COP ont
appelé les Etats à sortir de leur immobilisme en appelant tous à être, selon le
slogan avancé par Greta Thunberg, "united behind science". Un appel
que les "négociateurs" entendront peut-être pour les prochaines
réunions de Bonn et de la COP de Glasgow.
Pour en savoir plus, on peut se reporter sur le site Internet du PFE à l’adresse : https://www.partenariat-francais-eau.fr
Jean Luc Redaud
Président Groupe Climat
Partenariat Français pour
l'Eau