Quels sont les premiers effets de la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 sur la filière française de l’eau, quelques semaines après qu’elle ait brutalement ébranlé le monde dans lequel nous vivons ?
Avant toute chose, cette crise a rappelé l’importance des services d’eau et d’assainissement ainsi que des professionnels qui les opèrent. Régies publiques et délégataires ont rapidement su s’organiser pour assurer, sans défaillance, la continuité de ses services essentiels. Quoique moins visibles que les personnels soignants, ils se sont eux aussi mobilisés contre le coronavirus. Et eux aussi prennent des risques. A ce titre, ils méritent, comme les soignants qui ne pourraient pas travailler sans eux, la pleine reconnaissance des Français.
Grâce à eux, nous pouvons tous continuer, par le simple fait d’actionner un banal robinet, à obtenir de l’eau potable, à volonté et exempte de tout risque, le Covid-19 ne résistant pas aux traitements de potabilisation mis en œuvre.
Au-delà de cette reconnaissance essentielle, la crise a cependant produit ses premiers effets.
Des « traces infimes » du SRAS-CoV-2 ont été détectées sur plusieurs points du réseau d’eau non potable de la ville de Paris, mettant en lumière la probable présence du virus dans certaines eaux brutes. A Paris comme ailleurs, l’utilisation de ces eaux a été suspendue, notamment pour les usages générant des phénomènes d’aérosols. Cette présence a également souligné le caractère crucial des process de potabilisation engagés, notamment en matière de désinfection.
L’existence d’abord suspectée, puis avérée, du SRAS-CoV-2 dans les eaux usées, au point que des équipes de chercheurs estiment qu’on pourrait détecter et suivre la présence du virus grâce aux analyses réalisées dans ces eaux, a également eu d’importantes conséquences. D’abord sur la sécurité des personnels exploitants. Car même si le pouvoir infectieux du virus contenu dans ces eaux est mal caractérisé, la question de la protection des personnels intervenant sur les réseaux d’assainissement et en station d’épuration, longtemps négligée, est désormais ouverte. Des réponses nouvelles devront être apportées.
Elle a également d’importantes répercussions sur la filière boues. Sollicitée par les ministères de l’agriculture et de la transition écologique, l’Anses a recommandé « de ne pas épandre de boues d’épuration produites durant l’épisode épidémique sans hygiénisation préalable ». Les boues non hygiénisées ne pourront donc plus être épandues. Quant aux boues hygiénisées, elles devront faire l’objet de contrôles renforcés pour s’assurer de l’effectivité des procédés d’hygiénisation. L’Anses cite notamment l’enregistrement du suivi des températures dans le cas de la digestion anaérobie thermophile et du séchage, l’enregistrement journalier du pH pour le chaulage, et l’enregistrement du suivi des températures et des retournements dans le cas du compostage. Et pour tous les traitement engagés, l’agence préconise un doublement de la fréquence des analyses microbiologiques prévues à l’article 16 de l’arrêté du 8 janvier 1998.
Cet avis soulève la question de la sécurisation de la filière boues. Beaucoup de services, notamment en milieu rural, devront rapidement réfléchir puis investir pour ouvrir durablement à leurs boues de nouveaux débouchés.
En questionnant la pertinence des moyens engagés, cette crise présente également l’opportunité de préparer le monde d’après. Elle permet d’identifier les vulnérabilités pour mieux les affronter dans l’avenir.
Elle est aussi l’occasion de consolider les méthodes et retours d’expériences accumulés ces dernières années par les services d’eau et d’assainissement en matière de techniques, de ressources humaines, et d’organisation. Sécheresses, inondations, tempêtes, changements climatiques et maintenant crise sanitaire, en moins d’une décennie, les équipes opérationnelles ont dû apprendre à faire face à de nombreux imprévus, à tester leur capacité de réaction, d’adaptation et ainsi développer ainsi leur résilience.
Vincent Johanet
