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Actualités internationales

Des scientifiques s’inquiètent des changements dans le cycle de l’eau

16 mai 2022 Paru dans le N°452 à la page 4 ( mots)
© Graphisme ICM-CSIC

En soi, ce n’est pas tout à fait nouveau. On sait depuis un bon moment déjà en effet que le réchauffement climatique perturbe le cycle de l’eau, avec parfois des effets qui à la longue pourraient se révéler irréversibles. Mais des études scientifiques parues ces dernières semaines pointent du doigt deux phénomènes qui semblent démontrer que ce cycle hydrologique serait en train de se modifier plus rapidement qu’on ne pense et d’une manière jugée inquiétante par les experts. D’une part, le cycle de l’eau verte, celle qui est absorbée par les végétaux et qui est essentielle à l’humidité des sols, a dépassé les limites inhérentes à l’équilibre des écosystèmes terrestres. D’autre part, certaines masses d’eaux océaniques perdent de leur salinité alors que d’autres deviennent plus salées.

En 2009, un groupe de 29 chercheurs emmené par Johan Rockström, alors directeur de l’institut de Stockholm pour l’environnement, avait défini et quantifié les limites planétaires que l’humanité ne doit pas dépasser si elle veut continuer à se développer et à prospérer pour les générations à venir sans risquer de perturber de manière irréversible le bon fonctionnement des écosystèmes terrestres. [1]

Le cycle de l’eau fait partie des neuf processus biophysiques placés sous surveillance scientifique. Des valeurs-plafond à ne pas dépasser dans l’utilisation de l’eau douce ont été définies à l’échelle planétaire, de l’ordre de 4000 km3 par année. Et les experts estimaient qu’avec les quelque 2600 km³ prélevés actuellement on était encore assez loin des limites maximales. Mais ils veulent désormais affiner leurs méthodes d’analyse.

Jusqu’à présent en effet, on ne considérait que les eaux bleues, c’est-à-dire les eaux douces de surface ou souterraines que l’on prélève pour toutes sortes d’usages. Dans une étude publiée dans la revue Nature [2], les chercheurs de l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique, en Allemagne, insistent sur la nécessité d’inclure dans les évaluations le cycle de l’eau verte, c’est-à-dire l’eau de pluie ou de fonte stockée dans le sol, les végétaux naturels ou cultivés, et les processus d’évaporation. Dans leur travail, ils ont donc pris plus particulièrement en compte l’humidité des sols dans la zone où les plantes ont leurs racines. Cela est essentiel, disent-ils, si l’on veut « assurer la résilience de la biosphère, sécuriser les puits de carbone terrestres et réguler la circulation atmosphérique ».

 
Forêt amazonienne : sa survie dépend aussi de l’humidité des sols-photo Uederson de Amadeu Ferreira 

En comparant les données qu’ils ont recueillies avec celles qui caractérisaient les écosystèmes terrestres pendant un bonne dizaine de milliers d’années avant que les activités humaines ne commencent à modifier profondément l’état et le fonctionnement de la planète (c’est-à-dire la période appelée Holocène), les chercheurs sont parvenus à la conclusion que "la limite planétaire de l’eau verte est déjà considérablement transgressée". Selon eux, 18 % des sols de la planète seraient en déséquilibre alors même que le seuil de sécurité est estimé à 10 %.

Le principal enjeu, derrière ce constat, c’est l’assèchement non seulement des terres agricoles, mais aussi des forêts tropicales, celles d’Amazonie et du Congo notamment, qui faute d’humidité suffisante dans leurs sols en raison du réchauffement climatique et de la déforestation, pourraient peu à peu se transformer en savanes.

L’évaporation d’eau douce se renforce dans les océans les plus chauds

Du côté de l’Université de la Nouvelle-Galles-du-Sud à Sydney (Australie) et de l’Institut des Sciences de la Mer (ICM) à Barcelone (Espagne), on s’est intéressé de près aux impacts du réchauffement climatique sur la salinité de la surface des océans et sur la modification de leurs échanges avec l’atmosphère [3]. On a longtemps mesuré par endroits le taux de sel des mers et des océans par le biais de bouées spéciales. Désormais les chercheurs travaillent sur des bases de données mondiales recueillies par satellites.

Le grand cycle naturel de l’eau, faut-il le rappeler ?, c’est très schématiquement parlant le parcours qu’elle suit depuis les océans d’où elle s’évapore vers l’atmosphère jusqu’aux terres continentales où elle retombe sous forme de précipitations, s’écoule en surface ou par des voies souterraines et finit par regagner les mers. Si le degré de salinité des océans est constant, cela signifie que leurs échanges avec l’atmosphère sont équilibrés. Mais, avec le réchauffement climatique, la donne est en train de changer : les processus d’évaporation se renforcent, les précipitations s’intensifient, le cycle de l’eau s’accélère et la salinité des océans en subit les contrecoups.

En mesurant l’évolution de la salinité dans les régions océaniques les plus chaudes, les chercheurs de l’université australienne se sont attachés à quantifier les volumes d’eau douce qui ont été transportés des océans chauds de l’équateur vers les océans froids des pôles. Ils ont alors observé qu’entre 1970 et 2014 ces masses d’eau douce étaient au moins deux fois plus importantes que ce qu’on estimait jusqu’ici dans les milieux scientifiques. Autrement dit, les océans chauds d’où l’eau s’évapore voient leur salinité augmenter alors que les océans froids où l’eau retombe sous forme de pluie ou de neige deviennent moins salés. Le réchauffement climatique ne fera qu’accentuer encore ce phénomène.

Constat identique chez les chercheurs de Barcelone : davantage d’eau circule dans l’atmosphère sous forme de vapeur dont les 90 % retournent directement dans les océans où ils se diluent et font baisser leur taux de salinité. « L’accélération du cycle de l’eau, explique Estrella Olmedo, principale auteure de l’étude de l’Institut des Sciences de la Mer, a des répercussions à la fois sur l’océan et sur le continent, où les tempêtes pourraient devenir plus intenses. Cette plus grande quantité d’eau circulant dans l’atmosphère pourrait également expliquer l’augmentation des précipitations détectées dans certaines zones polaires, où le fait qu’il pleuve au lieu de neiger accélère la fonte ».

De ces deux études, on peut en tout cas retenir deux conclusions pratiques. D’abord que les satellites jouent un rôle absolument essentiel dans l’observation des océans : c’est grâce aux données recueillies en continu par leur intermédiaire que des chercheurs ont pu détecter l’accélération du cycle de l’eau. Ensuite qu’une mesure plus précise des masses d’eau qui s’évaporent des océans permet d’affiner les prévisions climatiques, et en particulier l’évolution des précipitations sur les régions continentales.

Bernard Weissbrodt

Article publié le 5 mai par aqueduc.info:  http://www.aqueduc.info/Des-scientifiques-s-inquietent-des-changements-dans-le-cycle-de-l-eau?lang=fr

[1] Les neuf régulateurs de la stabilité écologique de la planète identifiés en 2009 par les chercheurs du Resilience Center de l’Université de Stockholm et placés sous haute surveillance scientifique sont : le changement climatique, la perte de biodiversité, les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, les changements d’utilisation des sols, la pollution chimique, les prélèvements d’eau douce, l’acidification des océans, la pollution de l’air et la destruction de la couche d’ozone. Les six premiers ont d’ores et déjà été déclarés comme ayant dépassé les limites planétaires.

[2] Wang-Erlandsson, L., Tobian, A., van der Ent, R.J. et al. A planetary boundary for green water. Nature Review Earth & Environment (2022).

[3] Taimoor Sohail et al. Observed poleward freshwater transport since 1970. Nature (23 février 2022) et Estrella Olmedo et al. Increasing stratification as observed by satellite sea surface salinity measurements. Scientific Reports (15 avril 2022).