La coopération décentralisée peut jouer un rôle important dans le domaine de l'eau potable et de l'assainissement. L?AFD et le Sedif unissent leurs voix pour mobiliser les élus. Mais les actions entreprises doivent respecter certaines précautions essentielles.
Impératif moral ? Nécessité géopolitique ? Tous les acteurs des collectivités et les citoyens qui s'investissent dans ce type d'actions témoignent en tout cas de l'enrichissement humain qu'ils en retirent.
Ce n?est donc jamais une mauvaise idée que de vouloir aider les pays en développement à s'équiper en infrastructures et systèmes de gestion de l'eau.
Surtout lorsque l'on sait que 34.000 personnes meurent chaque jour en raison de maladies hydriques. Dans le cadre du doublement de l'aide de la France en faveur de l'accès à l'eau des populations les plus pauvres, annoncé par Jacques Chirac, l'Agence française de développement (AFD) contribuera à cette progression passant de 145 M? sur les cinq dernières années à 230 M? en 2007 et 290 M? en 2009.
L?AFD intervient dans ce secteur sous forme de prêts consentis aux Etats ou aux entreprises publiques qui bénéficient de la garantie de l'Etat, sous forme de subventions (36%) mais aussi sous forme de prêts à des entreprises publiques ou privées (6%).Les actions portent sur tout le cycle de l'eau : projets d'eau potable et d'assainissement (75%), d'irrigation et hydraulique pastorale (19%) et de gestion intégrée des ressources en eau (6%).
Au total 20 millions de personnes ont bénéficié sur les cinq dernières années des interventions de l'Agence dans le domaine de l'eau et l'assainissement.
« Nous investissons dans des projets d'un montant de 10 à 20 M? chacun, avec un fort effet de levier, explique Robert de La Rochefoucauld, chargé du développement en relation avec les collectivités locales de l'AFD. Nous sommes très preneurs des complémentarités que peuvent offrir les collectivités territoriales. Leurs compétences en maîtrise d'ouvrage et leur savoir-faire d'opérateurs sont très appréciés sur le terrain. »
L?enquête APD, lancée auprès collectivités territoriales de plus de 10 000 habitants sur la base d'une circulaire ministère des Affaires étrangères / ministère de l'Intérieur, montre que les collectivités françaises ont ainsi affecté, globalement, un montant de 38 M? en 2003 dans l'aide publique au développement. Ce montant a atteint 46 M? en 2004. Il s'agit d'un premier inventaire partiel : les estimations complémentaires laissent supposer une contribution globale proche de 100 M?.
120 M? d'aide potentiels
La loi Oudin-Santini, votée en février 2005, autorise désormais les collectivités et les établissements publics, dans la limite de 1 % des ressources de leurs services d'eau, à mener des actions de coopération décentralisée. Elle constitue un encouragement fort pour un nouvel essor de la coopération décentralisée en France. Le budget cumulé des 15.000 services d'eau et d'assainissement et des six agences de l'eau se monte à plus de 12 MD?. Ce sont donc potentiellement 120 M? par an qui pourraient être consacrés à des actions de co-développement ou aux aides d'urgence.
Tel est le message qu'ont voulu faire passer l'AFD et le Syndicat des Eaux d'Ile-de-France (Sedif), en organisant début mars un colloque Solidarité-Eau en direction des élus locaux.
Depuis 1986, le Sedif agit pour un meilleur accès à l'eau dans les pays en développement : à ce jour, 2 millions de personnes ont bénéficié de ses actions, financées par un prélèvement minime sur la facture d'eau des franciliens : 0,6 centime d'euro par m3. En 2007, cette mini-taxe a généré 1,6 M? de subvention.
« En 2006 au Burkina Faso, indique Marc Vézina, responsable du programme solidarité eau du Sedif, le syndicat a financé à hauteur de 41.400 euros l'Association de solidarité internationale pour réaliser 4 forages dans chacun des villages de Gaboadi, Safé, Djoaboani et Nakinoghin. Les points d'eau ont été équipés de pompes à motricité humaine et les comités villageois ont été formés à la gestion des équipements. Cette action était inscrite dans une action beaucoup plus large dans le domaine de la santé. »
Selon André Santini, député-maire d'Issy-les-Moulineaux et président du Sedif, « les collectivités locales et territoriales ont désormais les moyens de jouer un rôle majeur. Il est crucial qu'elles prennent conscience de l'impact de cette coopération à visage humain qui est à leur portée. Je les invite à s'y engager avec plus de force. »
Simon Compaoré, maire de Ouagadougou, président des maires du Burkina Faso, évoque les microprojets hydrauliques portés par les acteurs de la coopération décentralisée : « Ils visent, d'une part, à améliorer durablement l'accès à l'eau et, d'autre part, à renforcer les capacités des collectivités du Sud qui, aujourd'hui dans plusieurs pays, montent en puissance. Il faut compter environ 2 000 ? pour l'aménagement autour d'un puits ou d'un forage en milieu rural, 15 000 ? pour la réalisation d'un forage équipé d'une pompe (point d'eau villageois en milieu rural au Sahel pour une population de 400 habitants) et 120 000 ? pour réaliser une adduction d'eau pour 2000 habitants en milieu rural ou en périphérie d'une grande agglomération ».
M. Compaoré précise que « l'approche doit être globale : en plus de la réalisation des travaux, le projet doit prévoir la formation des élus et des agents techniques et la promotion de comportements adaptés (paiement de l'eau et lavage des mains). »
Les projets visent généralement à former des structures de gestion et accordent une attention particulière à la promotion de l'hygiène. La démarche doit permettre aux bénéficiaires/usagers de choisir leur type d'équipement et le niveau de service « en connaissance des coûts d'exploitation qu'ils auront à recouvrer. L?intervention doit être conforme avec les politiques nationales de l'eau ; et les porteurs de projets se doivent d'informer les autorités locales de leurs actions ».
La nécessité d'une réflexion préalable
L?intervention des acteurs du Nord doit être bien mesurée. Le choix des acteurs avec qui collaborer, par exemple, est très important. Sylvy Jaglin, professeur à l'Université de Nantes (Latts), a pointé le danger de considérer trop la société civile, qui risque de devenir « un secteur privé de remplacement », et cela au détriment des autorités municipales.
« En mettant l'accent sur le rôle prédominant des acteurs de la société civile, explique-t-elle, on valorise la construction d'arènes civiles plutôt que publiques, où prévalent à la fois la défense d'un bien commun (plutôt que la responsabilité d'un bien public) et l'expérimentation de la négociation plutôt que celle de la délibération. Ces projets privilégient l'émergence de services communs plutôt que celles de services publics, inaliénables et imprescriptibles. Du point de vue de la desserte de plus pauvres, les résultats sont incertains. En terme d'équité sociale, par exemple, ces projets contribuent à généraliser la logique marchande de l'eau sans l'accompagner d'un effort d'innovation sur la manière de coupler cette marchandisation avec de nouvelles formes de solidarité : entre les différents projets d'AEP, entre ceux-ci et le réseau. Dans ce contexte, le principe de l'usager-payeur appliqué aux seuls usagers pauvres de ces projets communautaires est problématique quand, dans une même ville, d'autres usagers bénéficient encore de larges subventions publiques (réseau). »
On le voit, l'intervention des acteurs du Nord ne dispense pas d'une vraie réflexion préalable sur les effets induits par les démarches entreprises.