Economies d'eau : le grand paradoxe Selon une récente étude publiée par le Crédoc1, la consommation d'eau a sensiblement baissé dans la plupart des grandes villes européennes entre 1991 et 2001. A Paris, le volume moyen consommé qui s'établissait à 116 m3 par an et par habitant est descendu à 96 m3 en 2004. A Berlin, il est passé sur la même période de 78 à 60 m3. Ce mouvement affecte sensiblement dans les mêmes proportions près de 70% des grandes villes européennes avec une tendance plus marquée pour les capitales que pour les grandes villes de province. Pour expliquer ce phénomène, le Crédoc a étudié l'ensemble des facteurs susceptibles d'en être à l'origine : succès des politiques volontaristes en faveur des économies d'eau, évolutions démographiques, augmentation du prix du mètre cube d'eau, renforcement de la sensibilité éco-citoyenne des consommateurs, développement des équipements plus économes en eau, etc' pour finalement conclure que ce mouvement, bien réel, résulte bien plus d'une modification du comportement des gros consommateurs ? les industriels, les grands magasins, les hôtels...- que du grand public. Entre 1992 et 2003, les volumes prélevés par les industriels ont diminué de 56%. L?augmentation du prix du mètre cube, qui a incité bon nombre d'entre eux à s'équiper de process moins gourmands en eau, est passée par là. A l'occasion du renouvellement de leurs appareils productifs, beaucoup d'entre eux sont allés plus loin en recyclant tout ou partie de leurs effluents. Ces efforts de compression des charges associés à une certaine forme de désindustrialisation des grandes villes au profit d'une « tertiarisation » moins consommatrice d'eau explique une bonne partie du phénomène observé. Faut-il s'en réjouir ? Dans un contexte particulier de pénurie, voire de rareté, certainement. Dans le contexte qui prévaut la plupart du temps en France comme dans bien d'autres pays européens, c'est moins sûr. Car comme le rappelle opportunément le Crédoc, les économies d'eau peuvent entrainer un renchérissement du prix de l'eau. Comme chacun le sait, dans le domaine de l'eau, la part des frais fixes se situe entre 60 et 80% du coût total. Il faut bien financer et entretenir régulièrement l'énorme infrastructure constituée en 200 ans, qui permet de desservir chaque européen en eau potable et collecter puis traiter ses eaux usées. Les frais variables, qui sont directement liés aux volumes distribués, ne constituent qu'une faible part du coût total. Si les volumes continuent à baisser, les distributeurs comme les régies municipales devront fatalement réviser leur tarif à la hausse pour équilibrer le financement de leur service de l'eau. En Suisse, pays dans lequel la consommation baisse régulièrement depuis 1976, les opérateurs publics ont été contraints d'augmenter leurs prix pour faire face aux emprunts résultant des investissements de surcapacité qu'ils avaient crus nécessaires. En Allemagne, notamment à Berlin, les autorités municipales ont lancé des campagnes visant à inciter à consommer plus d'eau. Avec un double objectif : faire face à leur endettement mais aussi éviter que l'eau ne stagne trop longtemps dans des réseaux conçus pour une consommation journalière de 220 litres par personne alors que la consommation s'établissait à moins de 75 litres par jour. 1 La consommation d'eau baisse dans les grandes villes européennes ? Crédoc ? avril 2006