En Savoie, la station d'épuration de Bellecombe en aval du nouveau Centre Hospitalier Alpes Léman dispose d'une ligne séparée de traitement des effluents hospitaliers. Ce site pilote Sipibel étudiera pendant trois ans les performances de dépollution vis à vis des médicaments d'une ligne classique à boues activées, la qualité des boues produites et les impacts environnementaux sur la nappe.
La question des résidus médicamenteux est une préoccupation sanitaire montante dans la nébuleuse des micropolluants des eaux, y compris dans les ressources destinées à la potabilisation.
On les retrouve dans les cours d'eau, dans les nappes à des doses très faibles sans que l'on sache vraiment quels sont leurs effets. Une chose est sûre : moins on en retrouvera moins il y aura de danger ! Ce qui pose deux questions : quelles sont les sources d'émission de ces médicaments, comment ces médicaments (et leurs métabolites) qui arrivent par les réseaux dans la station d'épuration sont retenus et dans quelles proportions.
On peut toujours mener des essais en laboratoire, mais rien ne vaut les études sur du réel. Le nouveau site hospitalier CHAL situé sur la commune de Contamine sur Arve entré en service en février 2012 et la station d'épuration de Bellecombe offraient une conjonction d'opportunités uniques pour faire un site pilote grandeur nature. Après une année d'observation les premiers résultats étaient présentés lors d'une réunion au CHAL le 14 février soit un an après la mise en service de l'hopital.
Obtenir des valeurs de références
Cette expérimentation, unique en Europe, mobilise en local le Syndicat des eaux des Rocailles et de Bellecombe, le Syndicat mixte d'Aménagement de l'Arve et des Abords SM3A, le Centre hospitalier de l'Arve et l'exploitant de la step Degrémont ; les scientifiques se sont organisés en consortium qui rassemble le laboratoire LSE de l'ENTPE de Vaulx en Velin (Lyon), le GRESE de l'université de Limoges, le Laboratoire Santé Publique Environnement de la faculté de pharmacie Université Paris XI, l'équipe Traces de l'Institut des Sciences Analytiques de Lyon. Vu le nombre d'intervenants le GRAIE de Lyon-Villeurbanne a été sollicité pour animer le projet en liaison avec le Syndicat des Eaux.
Frontalier, le Sipibel s'intègre dans le projet Interreg IRIMISE Arve Aval qui rassemble les producteurs et distributeurs d'eau potable sur Annemasse, la Communauté de commune du Genevois, l'Etat de Genève et les Services Industriels de Genève et la Cipel, Commission Internationale pour la protection des eaux du Léman.
Le projet a vu le jour en raison de la création du nouvel hopital CHAL de 500 lits qui devait être raccordé à la station de Bellecombe, et de l'accroissement des besoins locaux d'épuration. Plutôt que de refondre les installations d'épuration, une nouvelle capacité a été créée ; on trouve donc trois files séparées de traitement biologique : une de 5 400 EH, une de 10 600 EH, la troisième de 16 000 EH. La plus petite est réservée au traitement des effluents de l'hopital évalués à 2 000 EH grâce à un émissaire séparé de 500 m de long créé pour l'occasion.
L?observation a débuté depuis plus d'un an car des analyses ont permis de faire un ?point zéro? avant tout rejet sur les eaux de l'Arve (rivière dans laquelle la step de Bellecombe rejette) et de qualifier l'effluent de la fromagerie à l'amont du rejet et d'obtenir des valeurs de référence des rejets avant l'ouverture du CHAL par l'analyse de l'effluent brut de l'ancien hopital d'Annemasse. A la demande de la Préfecture, l'observation des effluents doit se dérouler sur trois ans pour obtenir l'autorisation définitive de rejet. Les boues de l'hopital sont aussi concernées par cette gestion séparée. Les effluents sont analysés en différents points sur chacune des files hopital et urbain : sur l'eau brute en entrée, sur les boues produites, sur l'eau traitée. Sur l'Arve, trois points de prélèvements : à l'amont, tout de suite à l'aval du rejet, et un peu plus loin.
Un outil de développement et de recherches
Les paramètres suivis se regroupent en quatre classes : classiques (DCO, DBO, MES, COT etc), micropolluants (médicaments, détergents, alkylphénols, COV, AOX, métaux dont le gadolinium spécifique de l'hopital), paramètres microbiologiques dont les IMs Intégrons de Multirésistance pour évaluer la multirésitance des bactéries aux antibiotiques, paramètres biologiques (écotoxicité, génotoxicité, IBGN, IBD?) au total une centaine de paramètres. Tous ne sont pas analysés au jour le jour mais en campagnes planifiées sur l'année. Le volume d'analyses est énorme en nombre et en budget de l'ordre de 180 k? par an auquel s'ajoute les ressources humaines spécifiques de 120 k?/an. Budget annuel total de l'ordre de 400 k?/an.
Le Sipibel dépasse l'observation : c'est aussi un outil de développement et de recherche. Trois thèses sont lancées notamment pour mettre au point des méthodes analytiques vu la difficulté à analyser autant de molécules différentes en même temps (effets de matrice) en phases dissoute et particulaire. Cette difficulté est une des premières observations réalisées. Autre constat la répartition de la charge polluante médicamenteuse à l'entrée de la step qui vient à 20 % de l'hopital et à 80 % des effluents urbains suite à l'hospitalisation à domicile et à l'automédication ; mais certaines molécules ne sont délivrées qu'à l'hopital.
Autre constatation, les molécules médicamenteuses sont très différemment retenues/détruites dans le procédé biologique. L?écotoxicologie permettra une approche de l'effet cocktail des médicaments et l'observation d'un phénomène préoccupant : le renforcement de l'antibiorésistance des bactéries dans l'environnement. L?exploitant testera aussi des procédés complémentaires comme l'ozone pour établir la meilleure stratégie d'utilisation (point d'injection, quantités etc).
Rendez vous en 2015 pour des résultats plus complets qui serviront localement et profiteront aussi à toutes les collectivités au travers des connaissances applicables à l'existant et dans les futures step.
Christian Guyard