À l'heure où la transposition française de la Directive Eaux Résiduaires Urbaines révisée (DERU2) cristallise les débats, François-Marie Didier, président du Syndicat Interdépartemental pour l'Assainissement de l'Agglomération Parisienne (SIAAP) depuis 2021, a défendu dans La Tribune, une approche systémique articulant innovation technologique et pragmatisme économique. Son analyse, nourrie par les retours d'expérience des 180 stations franciliennes gérées par le SIAAP, met en lumière des priorités opérationnelles précises pour les techniciens et gestionnaires de réseau.
La gestion des eaux pluviales émerge comme un point nodal des réflexions. François-Marie Didier plaide pour « une stratégie nationale dévolue aux eaux pluviales » intégrant systématiquement des modèles hydrologiques dynamiques, capables de traiter des précipitations accrues de 30 à 40 % d’ici 2050. Cette position s’appuie sur les premiers résultats du schéma directeur d’assainissement francilien, qui révèle une criticité accrue des réseaux unitaires vieillissants – 20 % des ouvrages du bassin parisien ayant dépassé les 30 ans d’exploitation.
Sur le volet énergétique, le président du SIAAP insiste sur l’accélération des procédés de valorisation des boues. La pyrolyse hydrothermale testée sur le site de Valenton (Val-de-Marne) montre des rendements énergétiques de 2,8 kWh/kg de matière sèche, contre 1,2 kWh en méthanisation classique. Cette technologie clé pour atteindre la neutralité carbone en 2045 nécessite cependant des adaptations majeures des chaines de déshydratation, avec des coûts CAPEX estimés à 12-15 M€ par unité de traitement.
La question des micropolluants fait l’objet d’une approche différentiée : « Prioriser les PFAS et résidus pharmaceutiques permettra d’optimiser les investissements dans les procédés d’oxydation avancée », explique François-Marie Didier, faisant référence aux 32 nouvelles normes de rejet encadrant les substances perfluoroalkylées . Les essais pilotes sur charbons actifs imprégnés (CAI) menés à la station d’Achères démontrent des taux d’abattement de 92 % sur les PFOA, mais révèlent aussi des besoins en maintenance accru de 25 % sur les filtres.
L’articulation entre surveillance réglementaire et automatisation des process devient cruciale. Le déploiement de capteurs en ligne pour le suivi des microplastiques (objectif < 25 μm) et des marqueurs viraux impose une refonte des architectures SCADA. Les équipes du SIAAP travaillent sur l’intégration d’algorithmes prédictifs couplant données de qualité d’eau et paramètres de process, réduisant les temps de réaction de 30 % lors des pics de pollution.
Sur le plan financier, le président défend une mutualisation intercollectivités des équipements de traitement tertiaire. Son analyse économique montre que le coût complet par habitant equivalent (HET) passe de 45 €/an pour des unités locales à 28 €/an en configuration mutualisée, grâce à des effets d’échelle sur les consommables (réactifs, membranes). Cette logique guide les négociations en cours pour créer quatre pôles régionaux de dépollution avancée en Île-de-France d’ici 2027.
La maintenance prédictive des ouvrages constitue un autre axe structurant. Le SIAAP a déployé 850 capteurs IoT sur ses principaux réseaux de transport, combinant acoustique pour détecter les fuites et spectrométrie IR pour identifier les corrosions. « Cette instrumentation lourde génère 2,5 To de données quotidiennes, nécessitant des compétences hybrides en hydraulique et data science », précise un responsable de la direction technique.
Face à ces défis, François-Marie Didier appelle à « une contractualisation claire entre Agences de l’Eau et exploitants », avec des indicateurs de performance technique comme critère central d’attribution des subventions. Une position qui rencontre l’évolution récente du modèle de redevances, basculant vers une modulation tarifaire indexée sur les taux de conformité des effluents traités .
Ces propositions s’inscrivent dans une vision plus large où l’assainissement devient un levier de souveraineté industrielle. Le recyclage du phosphore des boues (objectif : 85 % de récupération) pourrait couvrir 40 % des besoins français en engrais minéraux d’ici 2030, réduisant la dépendance aux importations. Un enjeu qui dépasse les seuls aspects réglementaires pour toucher à l’aménagement durable des territoires.