Le temps ou les eaux pluviales étaient simplement collectées pour être rejetées à la rivière avec ou sans traitement est désormais révolu. Aujourd'hui, les eaux pluviales sont une ressource comme une autre. Particuliers, collectivités mais aussi industriels commencent à réfléchir sérieusement sur les moyens d'exploiter cette nouvelle ressource tombée du ciel.
Rien, dans le domaine de l'eau, n?a évolué plus rapidement ces dernières années que le statut des eaux pluviales.
Naguère considérées comme un déchet dont il fallait se débarrasser au plus vite grâce à une politique fondée sur le « tout tuyau », les eaux pluviales ont acquis en quelques années le statut d'une vraie ressource susceptible d'être exploitée et valorisée. Dans le même temps, élus, aménageurs et gestionnaires de l'eau ont pris conscience de la nécessité pour les collectivités de gérer les eaux pluviales autrement.
Tous ont compris que leur gestion influe directement sur les possibilités d'urbanisations futures, sur l'évolution des systèmes d'assainissements et la maîtrise des coûts associés, sur les risques d'inondation et d'érosion et sur la préservation de la qualité des milieux naturels environnants. Mieux, l'idée selon laquelle les objectifs de la Directive Cadre sur l'Eau ne seront pas atteints si l'on ne progresse pas dans le domaine du traitement des eaux pluviales est aujourd'hui acquise.
L?impact des eaux pluviales sur la qualité des milieux est tel qu'il n?échappe plus à personne. Bernard Chocat, président du conseil scientifique de Novatech l'a martelé lors de la dernière édition : « C?est la ville qui est la clé du respect des objectifs imposés par la DCE ».
Cette prise de conscience modifie sensiblement le cadre réglementaire autant que le marché qui se dessine peu à peu autour des eaux pluviales.
Un cadre réglementaire en pleine évolution
La réglementation française en matière d'eaux pluviales est à la fois complexe et sujette à interprétations contradictoires. La liste des textes ayant trait au sujet est d'ailleurs impressionnante. L?article 641-1 du code civil dispose par exemple que tout propriétaire peut user et disposer de l'eau qui tombe sur son fond. Il peut donc la stocker, l'utiliser et même la revendre.
Le décret n° 2001-1220 du 22 décembre 2001 relatif aux eaux destinées à la consommation humaine indique également que « N?est pas soumise à la procédure d'autorisation l'utilisation d'eau prélevée dans le milieu naturel à l'usage personnel d'une famille ». Pour autant, ces textes n?autorisent pas quiconque à faire n?importe quoi. Le code de la santé publique précise clairement que si l'on utilise de l'eau qui ne provient pas du réseau public, il doit y avoir séparation physique entre les deux réseaux. Il s'agit de ne pas contaminer les réseaux d'eau de ville, le réseau public.
L?article R233-125 du code des collectivités locales précise par ailleurs que l'installation d'un dispositif de récupération d'eau de pluie raccordé à un réseau d'assainissement public doit faire l'objet d'une déclaration en mairie, la collectivité ayant le pouvoir de facturer l'assainissement de cette eau. Quant à la loi du 30 décembre 2006, elle concerne assez peu les eaux de pluie. Elle prévoit simplement un crédit d'impôt dont les conditions d'applications sont précisées par l'arrêté du 4 mai 2007.
Un texte, actuellement en préparation pourrait venir clarifier les choses et peut être autoriser la réutilisation des pluviales non plus à l'extérieur mais aussi à l'intérieur de l'habitat.
En attendant, il faut bien s'accommoder de la réglementation actuelle. Régis Mathon est le gérant fondateur de la société Eaux de France, spécialisée dans la récupération des eaux de pluie. Il explique : « La réglementation impose de faire un distinguo entre le particulier et les établissements qui reçoivent du public (ERP). Pour le particulier, dès lors qu'il équipé du disconnecteur réglementaire, c'est le principe de la liberté individuelle qui s'applique. La plupart des DDASS sont aujourd'hui en phase avec cette interprétation. Les ERP quant à eux n?ont pas a priori le droit d'utiliser d'autres eaux que celle du réseau public, sauf dérogation accordée par la préfecture après avis de la DDASS ».
L?avis de cette dernière est donc essentiel, même si dans la pratique, beaucoup d'EPR s'équipent sans même demander d'autorisation, celles-ci étant parfois très longues à obtenir. « Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous n?avons pas de difficultés à obtenir les autorisations nécessaires du fait de la proximité de nos voisins belges, bien plus avancés que nous en la matière : en Wallonie, un particulier ne peut pas obtenir de permis de construire s'il n?a pas prévu de dispositif de récupération d'eau de pluie » souligne Régis Mathon.
Les dispositifs de récupération sont en effet obligatoires pour les constructions neuves en Belgique, dans certaines parties de la Floride, de Californie ou encore à Tokyo. Sans être obligatoires, elles sont également très répandues en Allemagne, Suède, Norvège, Luxembourg, Corée et Inde. La France fait donc figure de mouton noir en matière de récupération des eaux de pluie.
Pourtant, tiré par le sentiment qu'inéluctablement la réglementation devra évoluer et par un nombre croissant de réalisations, le marché commence à bouger.
Le marché commence à bouger
Eaux de France est spécialisée dans la rétention et la récupération de l'eau de pluie en France depuis 1996. Précurseur dans ce métier, cette société s'est forgée une expérience auprès des particuliers, puis des collectivités et des industries avec aujourd'hui plus de 1.500 références.
Au mois d'avril dernier, Eaux de France a inauguré en présence de nombreux élus un chantier à Roubaix qui va permettre aux serres municipales de faire plus de 60% d'économie d'eau. Cette réalisation qui fonctionne depuis octobre 2006 repose sur la collecte, à partir de 2.000 m² de toiture des serres, de 200 m3 d'eaux pluviales, stockées dans 20 cuves de 10 m3 reliées ensemble par le bas pour former un chapelet.
Les eaux collectées sont bien sûr préalablement filtrées avant stockage. « Le dispositif de filtration repose sur une mousse aux normes alimentaires qui retient les particules à 80 microns, puis sur un lit de silice marbrée qui retient le solde jusqu'à 25 microns et enfin sur une membrane qui filtre ce qu'il reste à 5 microns » explique Dominique Six, Directeur commercial d'Eaux de France.
Ce dispositif permet d'éliminer plus de 95 % des matières organiques qui sont le substrat alimentaire des bactéries. L?eau est maintenue à 15° en l'absence de lumière pour éviter le développement bactérien.
Les cuves sont reliées au local technique dans lequel se trouve un dispositif de désinfection UV pour les plantes exotiques et surtout le groupe de surpression composé de trois pompes KSB, capables de fournir les 30 m3/heure nécessaires à l'alimentation en eau douce du bâtiment situé à 200 mètres. « Nous avons opté pour KSB pour la qualité de leurs matériels et de leur service, indique Dominique Six. Pour nos clients c'est un gage de fiabilité ».
La maintenance des stations Goldrain®, parties intégrantes du concept commercialisé par Eaux de France, est ailleurs assurée par KSB. Elles se composent d'une ou plusieurs pompes Hya®Rain, l'un des produits les plus compacts et les plus silencieux du marché, de surcroit économe en énergie : « 2 centimes d'euros par mètre cube pompé » souligne-t-on chez KSB. Le besoin en eau des serres municipales avoisine les 1.200 m3 d'eau par an.
Grâce à ce dispositif de récupération et compte tenu de la pluviométrie moyenne de la région, 60% des besoins en eau des serres seront satisfaits durant la période estivale et 100% en période automne hiver. Les 120 k? qu'ont couté cette réalisation devraient être amortis en 6 à 8 ans.
Ce chantier est aussi une référence au plan technique car les plantes, dont certaines sont très fragiles, doivent être absolument arrosées par une eau non chlorée et surtout non calcaire. De plus, un second dispositif de filtration en aval permet de filtrer l'eau de pluie jusqu'à 1 micron afin d'éviter un éventuel colmatage des brumisateurs arrosant les plantes.
Un dispositif similaire reposant sur la qualité du dispositif de préfiltation d'Eaux de France a été installé en 2005 au Collège Françoise Dolto de Pont-À-Marcq. La toiture de 1000 m² alimente un dispositif permettant de récupérer environ 700 m3 chaque année qui suffisent à satisfaire les besoins liés à l'arrosage extérieur, le nettoyage des sols mais aussi les WC. « Préfiltrée à 80/25/5 microns nous obtenons une eau de qualité à peu prés 100 fois meilleure que ne l'imposent les normes actuelles sur la qualité des eaux de baignades et de 20 à 50 fois meilleures que ce qu'exigeront les nouvelles normes applicables en 2008 en matière d'eau de baignade, souligne Dominique Six. Nous sommes très proche de la qualité eau potable ».
A réglementation constante, le collège Françoise Dolto devrait amortir son investissement entre 5 et 7 ans.
Les industriels commencent eux aussi à s'intéresser à la récupération des eaux de pluie, « Mais le mouvement est moins rapide que les administrations car ils regardent la rentabilité de très près » précise Régis Mathon.
Aquacoupe à Dunkerque, spécialisée dans le water jet cutting, c'est à dire la découpe au jet d'eau à très hautes pressions (2200 bar) s'est équipé d'un dispositif de collecte de 40 m3 aux fins de réutilisation. Pourquoi utiliser de l'eau de pluie dans une technologie de pointe ?
D'abord parce qu'elle ne coûte presque rien là où l'eau du réseau est facturée plus de 3,50 ?/m3. Ensuite, parce qu'après la filtration du procédé Eaux de France, l'eau de pluie stockée est presque pure et surtout dépourvue de carbonates, ce qui permet d'économiser le coût d'un adoucisseur et réduit fortement la détérioration des buses de découpe à l'eau seule. La durée moyenne de vie d'une buse est de 8 heures avec l'eau du réseau et de 40 heures quand on utilise l'eau de pluie. A 15 ? la buse, cela représente une économie supplémentaire de plus de 3.000 ? par an?.
Transpole profite également d'un dispositif de 100 m3 pour nettoyer quotidiennement 300 autobus sur ses sites de Sequedin et de Wattrelos.
Mais malgré l'intérêt de ces réalisations, la France reste à la traine. « Au total, on estime à 8.000 le nombre d'installations de récupération d'eau de pluie en France contre près de 100.000 en Allemagne » regrette Régis Mathon. Eaux de France a réalisé environ 1.500 installations pour le compte de particuliers et entre 40 et 50 pour des collectivités ou industriels. Mais dans l'industrie, le nombre de projets tends à s'accélérer. « Les industriels commencent à intégrer le fait que les eaux pluviales peuvent être utilisés pour d'autres applications que l'arrosage ou les WC et notamment pour leurs eaux de process, souligne Régis Mathon. Car l'eau de pluie est naturellement douce. Ainsi, en traitements de surface ou en eau de refroidissement, on économise de l'eau mais aussi des réactifs ».
Techniquement, les solutions sont donc parfaitement au point et les techniques mises en ?uvre largement éprouvées. La rentabilité, même s'il elle ne doit pas être la seule motivation pour se lancer sur ce type d'investissement, est avérée dans bien des cas. Le seul gros souci reste le flou juridique qui freine encore bon nombre de projets.