Le syndicat ITSEP, en partenariat avec l’UIE, a organisé le 10 octobre une matinée intitulée « Pollution des eaux pluviales en milieu urbain » où en sommes-nous ? Le fascicule documentaire FD P 16-009 constituant un vrai tournant dans la gestion décentralisée des eaux pluviales, l’accent lors de l’événement a été mis sur la caractérisation des pollutions transférées dans le milieu récepteur, le renforcement des liens entre eau, territoires et urbanisme et le besoin de partage de connaissances. A travers l’expertise de Luc Manry, président du syndicat, retour sur le chemin qu’il a fallu parcourir pour aboutir à la rédaction de ce fascicule
L’eau, l’industrie, les nuisances : Diriez-vous que la gestion des eaux pluviales est en pleine mutation ?
Luc Manry : Tout à fait. Sur la gestion des eaux pluviales, tout le monde se cherche : on a un point de départ historique qui est la gestion centralisée, on est d’accord sur le point d’arrivée qui est d’infiltrer l’eau de pluie au plus près de son point de chute pour limiter le ruissellement, en même temps on observe une nouvelle trajectoire pour les eaux de pluie qui sont encore peu utilisées. Avec la notion de changement climatique, se pose désormais la question de la résilience des villes face aux pénuries croissantes en eau douce. Vous voyez que le sujet est loin d’être épuisé…
En parallèle, tous les guides techniques ou fascicules ont été revus : le Fascicule 70 titre 2 qui codifie les règles à appliquer pour la fonction stockage : ajout de 122 pages à la version précédente qui en faisait quelques dizaines, le Memento Astee qui recodifie tous les dimensionnements autour des eaux pluviales.
Enfin, on voit apparaître les limites des bonnes idées : infiltrer, par exemple, est une bonne solution sous réserve que le sol puisse absorber. Ce qui revient à dire que si chaque technique se développe et avance, on ne peut pas faire l’économie d’une combinaison de solutions et des différentes questions induites par les conditions réelles.
EIN: Quels ont été les temps forts du colloque ? Quel public avez-vous touché ?
L.M : L’idée du colloque était de faire un retour d’expérience sur la publication du fascicule FD 16-009 et de faire le point, avec les interventions de Christian Vignoles (président de la commission assainissement Afnor), Marie-Christine Gromaire (directrice de recherche à l’École des Ponts ParisTech), Cédric Fagot (expert technique Eau et Environnement chez Azellus), Élodie Brelot (directrice du Graie), Abdel Lakel (chef du pôle Évaluation Eau et Assainissement au CSTB) et moi-même (président d’ITSEP), sur le chemin que le GT a dû parcourir pour arriver à des positions consensuelles sur ce fascicule.
Point structurant de la démarche, la caractérisation des pollutions des eaux pluviales. Sur ce point, on s’est aperçu qu’on est dans la légende « urbaine ». Entre ceux qui disent que c’est un poison mortel et ceux qui disent qu’il n’y a pas de pollution, il y avait un vrai besoin de partager les connaissances qui ne sont pas nécessairement bien restituées.
Composé à la fois de chercheurs, de représentants de groupes de travail de l’ASTEE, d’institutionnels, bureaux d’études et maîtres d’ouvrage, le colloque a répondu à l’objectif qu’il s’était fixé et a réuni le public qu’il visait, soit une cinquantaine d’experts.
EIN: Quels sont les principes et conditions essentiels de l’adaptation de la gestion des eaux pluviales en particulier face à la très grande diversité des pollutions ?
L.M: L’enjeu du partage des connaissances et du retour d’expérience des services techniques des collectivités, d’urbanisme, des bureaux d’étude, pour ne citer qu’eux, est consubstantiel à la résilience des territoires.
Le colloque a été positionné comme cela.
Entre gestion courante et gestion du risque, l’action des collectivités est pourtant fondamentale sur cette codification-là. Elle doit permettre de trancher quant à l’intégration du produit dans l’ouvrage en s’appuyant sur une approche collégiale en prise avec le terrain : quid du ou des niveau(x) de dépollution à atteindre, des conditions d’exploitations et des performances à long terme sont autant de questions à se poser.
Alors que la notion de réduction des pollutions à l’échelle des villes est un enjeu, enjeu donc de lutter contre le ruissellement, il y a autant de valeurs d’écrêtement des 1eres pluies que de PLU. Autant dire qu’on part avec un handicap.
EIN: Dans quelle mesure la gestion décentralisée des eaux pluviales ouvre-t-elle des perspectives d’innovation pour les ouvrages de dépollution ?
L.M : La gestion décentralisée des eaux pluviales de demain ne peut pas se définir par des oppositions dogmatiques. Les polluants d’aujourd’hui ne sont pas les polluants d’hier et encore moins ceux de demain. Nous identifions régulièrement de nouveaux polluants.
Pour développer de nouvelles solutions, il faut introduire un raisonnement de l’ouvrage par fonction, analyser la diversité de ses domaines d’emploi et les limites rencontrées sur le terrain.
Pendant de nombreuses années, l’innovation s’est focalisée sur la conception. Or on constate aujourd’hui qu’une proportion importante des performances de dépollution est liée à l’entretien et qu’il doit être considéré comme une nécessité transverse qui assure la pérennité de toutes les fonctions de l’ouvrage.
EIN : Justement, comment assurer les preuves de performance nécessaires de ces ouvrages ?
L.M : Le point clé qui se joue est la capacité de réaliser les études en amont. A partir du moment où on a un cahier des charges clair des pollutions à traiter, il y a une panoplie de techniques différentes qui sont validées par des protocoles laboratoire.
Le corolaire de cela est de l’associer au regard du milieu récepteur. Dès lors que la calibration des eaux à traiter est clairement exprimée, le bénéfice épuratoire peut se prouver par de l’instrumentation chantier, sous réserve des modalités d’entretien.
EIN : Quelle dynamique observez-vous sur la gestion des eaux pluviales ?
L.M : Ces dernières années, la multiplication des villes résilientes a permis d’insuffler une double dynamique positive à notre filière. Cela fait longtemps que sur des nouvelles constructions on observe ce raisonnement projet à la parcelle en fonction du sol et de sa capacité.
Dans la réalité, en zone urbanisée ou le foncier coûte cher, les solutions de stockage enterré s’imposent. Dès que la pression sur le foncier diminue, on est plutôt en bassin ouvert. Sur le bâti existant, le maître mot est déconnexion. Cette notion amène à multiplier les points d’écrêtement ce qui favorise la dynamique des SAUL.
Propos recueillis par Pascale Meeschaert