Afin d’évaluer l’impact de l’Homme sur la biodiversité d’une zone protégée comme le Parc national de Kibale en Ouganda, Sabrina Krief, primatologue et professeure au Museum national d’Histoire naturelle (MNHN), s’est associée au Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) dans le cadre d’une vaste enquête environnementale. Certains résultats ont été publiés en mai 2020 dans la revue Environmental Science and Pollution Research.
Après avoir constaté des malformations faciales chez certains primates en Ouganda, et à la suite d’une première étude révélant la présence de pesticides dans des échantillons de maïs, de sols et de sédiments de rivières, ainsi que dans des poissons, Sabrina Krief s’est lancée dans une vaste enquête environnementale sur le territoire de Sebitoli, au nord du Parc national de Kibale. L’objectif est de déterminer l’impact de la forte anthropisation du site : de nombreuses cultures de maïs et de thé bordent celui-ci, et une route le traverse d’est en ouest.
Des méthodes fiables pour évaluer la pollution atmosphérique
Parmi les diverses analyses effectuées le long de la route de Sebitoli, sur une portion de 4,6 km, les équipes se sont notamment intéressées aux polluants atmosphériques. Mais pour cela, il était nécessaire de disposer de méthodes de mesures adaptées aux spécificités du terrain. Sabrina Krief s’est alors appuyée sur le LNE. « Il me semblait indispensable de s’assurer des méthodes de prélèvement et d’analyse des produits, pour garantir la fiabilité des mesures. D’autant que nous sommes confrontés à une multitude de paramètres qui varient et sont compliqués à résoudre », explique-t-elle.
Le LNE a ainsi mis à profit son expertise dans l’évaluation de la qualité de l’air, afin de mesurer l’ozone (O3), les BTEX (Benzène, Toluène, Éthylbenzène et Xylènes), le dioxyde d’azote (NO2) et le dioxyde de soufre (SO2). Il a accompagné l’équipe du MNHN pour définir la stratégie d’échantillonnage la mieux adaptée au terrain, et pour exploiter les données recueillies.
Adapter les mesures aux contraintes du terrain
L’usage d’analyseurs automatiques était impossible, en raison de leur encombrement et de l’absence de courant sur place. La solution finalement retenue a été le déploiement de tubes passifs Radiello® sur cinq sites, dans le village de Sebitoli et le long de la route. « Ce sont des instruments qui sont de plus en plus déployés, en complément des analyseurs, pour doter de mailles plus fines les réseaux de surveillance », précise Tatiana Macé, responsable du département Métrologie des gaz au LNE. Concernant Sebitoli, pour garantir la qualité des mesures, la principale difficulté résidait dans l’envoi des échantillons en France, sous des conditions très strictes prévenant toute dégradation.Les résultats de ces analyses ont finalement démontré qu’aucun polluant atmosphérique n’excédait les valeurs limites européennes ou celles de l’Organisation mondiale de la Santé. Ce qui semble exclure cette piste comme origine des malformations.
Ils ont été publiés en mai 2020 dans la revue Environmental Science and Pollution Research1, dans un article qui met par ailleurs en évidence la pollution plastique le long de la route, à travers la quantification des déchets jetés par les usagers (plus de 5 000 bouteilles collectées en l’espace de quatre mois), ainsi que la présence de Bisphénol A et S dans les poils des chimpanzés, prélevés dans leurs nids.
Perturbateurs endocriniens dans l’eau : une autre piste explorée
De quoi poursuivre l’enquête sur cette question centrale qu’est la perturbation endocrinienne. Un sujet qui réunit là encore les efforts du LNE et du MNHN dans le programme « Forêt Faune et Population en Ouganda ». Après une première campagne de mesures sur l’eau des rivières de Sebitoli, révélant la présence de 13 pesticides qui impactent tous le système endocrinien2, ils ont mené une nouvelle étude, élargie à d’autres substances, dont les résultats paraîtront prochainement.
Cette collaboration s’est traduite par la mutualisation des missions de la post-doctorante Petra Spirhanzlova : « Mon rôle était d’aider à combiner le monde de la biologie avec celui de la métrologie, pour déterminer à la fois la présence des pesticides et leurs effets. »
Concrètement, le plan de surveillance de l’eau a reposé sur le déploiement d’échantillonneurs intégratifs passifs (POCIS - Polar Organic Chemical Integrative Samplers), qui ont été soumis à une double analyse : une analyse chimique d’une centaine de molécules présélectionnées selon les usages recensés autour du territoire ; une analyse par bio-essais sur des têtards fluorescents permettant de vérifier les effets des molécules in vivo.