Avec le soutien de l'Europe, un consortium a réussi le pari d'un système d'assainissement des eaux usées peu coûteux et reposant sur des ressources biologiques et des matériaux locaux.
Le projet européen Innoqua[1], coordonné par la société française (Anglet, Pyrénées Atlantiques), s'est achevé fin janvier 2021. Nobatek/Inef4 et ses partenaires ont développé un système de traitement des eaux usées reposant sur l'action de lombrics, de daphnies et de microalgues. « Nous sommes arrivés à un procédé "low tech" mais robuste et efficace. Il n'émet quasiment pas de CO2, n'utilise aucun produit chimique et très peu d'énergie. Nous avons également pour principe de n'utiliser que des matériaux et des espèces locaux » précise Jean-Baptiste Dussaussois, ingénieur chez Nobatek/Inef4 et responsable du projet.
Après un premier échange avec l'association Lombritek, qui souhaitait améliorer son lombricomposteur, le projet a démarré en 2016 avec des partenaires européens (Espagne, Irlande, Italie, Roumanie, Ecosse, Angleterre et Turquie) mais aussi asiatiques, sud-américains et africains, suivant en cela la volonté de la commission européenne. Le système final rassemble quatre technologies : la lombrifiltration, la daphniefiltration, la purification biosolaire et l’irradiation UV. « Toutes existaient à différents stades de développement mais avaient encore besoin de recherche pour arriver à maturité. L'idée est de pouvoir proposer un système modulaire, qui assemblera certaines de ces quatre "briques" en fonction de la qualité des eaux reçues et de leur destination » explique Jean-Baptiste Dussaussois.
Le lombrifiltre comporte une couche de copeaux dans laquelle vivent des lombrics qui digèrent la matière organique apportée par les effluents. Ce traitement primaire ne produit aucun déchet, donc ne demande qu'une maintenance minimale. Les lombrics relâchent cependant des composés organiques très fins, nécessitant parfois un traitement secondaire. C'est là qu'intervient le daphniefiltre, développé initialement par l'université Girone (Espagne). Les daphnies digèrent les très fines particules et les bactéries que les lombrics ont émises ou laissé passer. « Le système avait besoin d'optimisation car, avec un temps de séjour long des effluents, il fallait des cuves trop volumineuses » se souvient Jean-Baptiste Dussaussois. Le problème est réglé, reste maintenant à définir la fréquence des curages – même si les premières expériences suggèrent que ce filtre peut fonctionner plusieurs années sans intervention.
Une purification tertiaire peut être assurée par une unité "biosolaire" faisant intervenir des microalgues et la lumière solaire. Les algues captent les métaux lourds et permettent un abattement des bactéries. Initialement développé par BSP, une société française depuis disparue, le procédé a été repris et amélioré par NBK et Ecoind, le centre national roumain d'écologie industrielle[2]. « Ils ont entièrement repensé le dispositif, en particulier au niveau de la circulation de l'eau pour maximiser l'impact des UV solaires » souligne Jean-Baptiste Dussaussois. Ce module nécessite encore quelques développements, en particulier l'installation d'un filtre en sortie pour retenir les algues. Au besoin, une désinfection finale peut être assurée par une lampe UV. Développée par Berson UV (Pays-Bas), devenu Hanovia (Royaume-Uni), ladite lampe a été revue afin de la rendre moins consommatrice pour pouvoir l'alimenter sur batterie et panneau solaire.
Après des étapes initiales en laboratoire, suivies de prototypes en conditions réelles "contrôlées", des démonstrateurs fonctionnent aujourd'hui de façon satisfaisante sur tous les continents. Le dispositif vise les marchés de l'assainissement non collectif ou semi-collectif en Europe, ainsi que le "Sud global". « Un brevet mondial PCT a été déposé. Nous avons opté pour une technologie en open source avec transfert de savoir-faire. Des gouvernements africains ont déjà manifesté leur intérêt » rapporte Jean-Baptiste Dussaussois.
Patrick Philipon