Bien qu'enterrés et invisibles, les réseaux d'eau potable et d'assainissement n?en constituent pas moins un précieux patrimoine, acquis de longue date, et que l'on se doit de transmettre en bon état aux générations futures. Or, ce patrimoine se dégrade lentement mais inexorablement et pose le problème du financement des infrastructures dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. L?idée d'associer une participation du contribuable au financement des services par le consommateur progresse...
Le réseau d'eau potable en France représente un linéaire de canalisations de 906.000 km. Sa mise en place, qui s'est faite très progressivement, a débuté au 19ème siècle et se poursuit encore aujourd'hui au rythme de 3.750 km par an, alors que le renouvellement de l'existant ne concerne que 5.041 km par an. Conséquence : au rythme actuel des investissements, il faudra plus de deux siècles pour remplacer les canalisations existantes !
Plus précisément encore, une canalisation d'eau potable ne sera changée qu'au bout de 170 ans (906.000 km par an / 5.041 km par an). « Un rythme de renouvellement - 0,6% par an - beaucoup trop lent au regard de la vétusté constatée des réseaux » s'alarme Jacques Dolmazon, Président de Canalisateurs de France
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Le constat n?est pas nouveau mais il commence à inquiéter sérieusement professionnels et politiques. Car la situation empire et l'état des réseaux se dégrade inexorablement. « Nous assistons à une dégradation sensible de l'ensemble du patrimoine qui permet d'accéder à de l'eau potable ou à épurer nos eaux usées » s'inquiète André Flajolet, Président du Comité National de l'eau.
Selon le ministère de l'écologie, il se produit chaque année environ 6 milliards de m3 d'eau potable dont 22 % en moyenne sont perdus du fait des fuites. Un pourcentage qu'il n?est pas rare de voir atteindre 40 voire 50 % localement.
A Nîmes, par exemple, 6 litres sur 10 seulement arrivent chez l'usager. A Rouen, plus de 3 litres sur 10 sont perdus avant d'arriver chez le consommateur.
Au total, 1,3 milliard de m3 d'eau potable disparaissent chaque année des canalisations, soit 190.000 litres d'eau perdus toutes les 30 secondes. L?indice de perte avoisine les 120 litres par abonné et par jour selon l'Astee. Manque à gagner : 2,4 milliards d'euros par an. Des chiffres qui jettent une lumière assez crue sur l'état de nos réseaux, confirmée par plusieurs enquêtes : d'après l'étude Cador de 2002 sur le patrimoine des canalisations d'eau potable, plus de 50% du réseau serait antérieur à 1972. Une grande partie du linéaire aurait été construit après la guerre, entre les années 50 et 70, et 20% des canalisations posées avant 1960 seraient en fonte grise ou en acier, des matériaux cassants ou corrodables sujets à la survenue de fuites.
Quatre matériaux (l'acier, la fonte grise, le PVC et l'amiante lié) sont à l'origine de l'apparition de casses et de fuites et forment 60% de la valeur du patrimoine à remplacer, soit 51 milliards d'euros.
Une situation d'autant plus préoccupante que les collectivités locales vont être soumises à des obligations importantes en termes de résultats alors que leurs ressources financières diminuent.
Collectivités locales : des obligations importantes en termes de résultat
À l'échelle du territoire, la loi Grenelle 1 a été complétée par le Projet de loi portant engagement national pour l'environnement dit Grenelle 2, voté en mai 2010. Ces textes réaffirment la volonté de l'Etat d'atteindre ou conserver d'ici 2015 le bon état écologique pour l'ensemble des masses d'eau.
Dans le domaine des réseaux, la loi Grenelle 2 impose aux collectivités locales la réalisation d'un descriptif détaillé qui inclut un inventaire des réseaux avant la fin 2013. Celles-ci vont donc devoir faire face à très court terme à une obligation d'amélioration du rendement du service qui va devenir un indicateur à part entière. Pour les grandes villes, il sera de 85 % et pour les communes rurales de 70 %. Le ministère de l'écologie devrait annoncer avant la fin de l'été 2011 une première disposition imposant un taux de fuite n?excédant pas les 15 %.
De plus, l'article 161 de la loi impose désormais aux communes exerçant la compétence eau potable la mise en place avant le 1er janvier 2014 d'un schéma de distribution d'eau potable déterminant les zones desservies par le réseau et un descriptif détaillé des ouvrages de transport et de distribution. Un schéma qui devra bien entendu être mis à jour régulièrement. Un plan d'action devra aussi être élaboré en cas de dépassement du taux de perte en eau du réseau fixé par décret, dans un délai de trois ans à compter du dépassement.
A défaut, la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau sera doublée. L?article 161 précise désormais que les communes disposant de la compétence assainissement doivent établir avant le 1er janvier 2014 un schéma d'assainissement collectif comprenant un descriptif des ouvrages de collecte et de transport des eaux usées.
Bref, c'est une véritable gestion patrimoniale des réseaux à long terme qui se met peu à peu en place dans laquelle les professionnels placent de gros espoirs mais qui soulève plusieurs problèmes : celui de la réforme territoriale et celui des financements.
La réforme territoriale : quelles conséquences dans le domaine de l'eau ?
Le projet de réforme des collectivités territoriales vise à optimiser et mutualiser l'organisation des services d'eau et d'assainissement.?Objectif : réduire le nombre d'opérateurs et simplifier les organisations.
Mais le projet soulève bien des interrogations dont celle de savoir si le nouveau découpage administratif simplifiera ou non la répartition des compétences entre les acteurs de la politique de l'eau en France. Les directives du ministère de l'Intérieur induisent effectivement le regroupement des services relatifs à l'eau. Les communes vont devoir s'organiser en syndicats et les syndicats se regrouper. « On dénombre à ce jour de 30 à 35.000 services en France aujourd'hui. Il faut enlever un zéro à ce chiffre pour arriver à un nombre d'opérateurs compétents, responsables et capables de capitaliser l'expertise nécessaire à un service de qualité» estime André Flajolet.
La future organisation de la politique de l'eau va donc générer des regroupements de compétences à plusieurs niveaux, par département. Mais ces regroupements des collectivités ou des services de l'eau permettront-t-ils de pallier la perte de l'ingénierie publique ? Comment vont se comporter les nouveaux maîtres d'ouvrages ? Où seront les nouvelles compétences techniques et humaines ?
Une réflexion s'engage pour les choix d'organisation (EPCI ou syndicats mixtes assurant la maîtrise d'ouvrage ou simplement l'exploitation, association de collectivités, Agence technique départementale, SATESE,?) et les perspectives qui s'ouvrent dans le cadre de l'évolution de l'intercommunalité prévue par la réforme sont très diverses.
« En attendant le regroupement, un grand nombre de communes ne savent pas encore à quel syndicat elles vont être associées ce qui constitue une bonne raison pour ne pas investir et favorise l'attentisme » s'inquiète Alain Grizaud, administrateur et délégué régional de Midi-Pyrénées de Canalisateurs de France.?
Lee regroupement de grosses collectivités risque aussi de créer un déséquilibre entre le monde rural et le monde urbain. Quelle sera dès lors la place de la solidarité dans notre société et du débat sur la péréquation ?
Par ailleurs, les départements ont tendance à se désengager car ils ont aujourd'hui de nouvelles compétences sociales et n?ont plus, de fait, les moyens de se préoccuper de la gestion de l'eau. C?est la seconde question qui taraude les professionnels : celle des financements.
Les financements : une question cruciale
Les collectivités locales sont les premiers maîtres d'ouvrage et réalisent près de 50% des dépenses en capital consacrées aux eaux usées et à l'eau potable. Mais les Agences de l'eau, les départements et dans une moindre mesure les régions, apportent également les subventions complémentaires nécessaires à la réalisation des travaux : près de 40% des investissements totaux en 2008. Mais comment financer les investissements nécessaires évalués à 1,5 milliard d'euros par an alors même que les dépenses d'équipement portant sur l'eau et l'assainissement ont accusé en 2010 une baisse de 5,6% par rapport à 2009 ?
Une chose est acquise : le prix du service de l'eau en France va continuer à augmenter au cours des prochaines années compte tenu des investissements à réaliser pour mettre aux normes les stations d'épuration et renouveler les réseaux. Une perspective qui n?inquiète pas André Flajolet outre mesure : « une augmentation du prix de l'eau raisonnable n?est pas une agression contre le pouvoir d'achat. C?est au contraire une participation à la reconquête environnementale d'autant plus que nous allons mettre en place dans les mois qui viennent une politique d'accès à l'eau pour tous, quels que soit le montant de leur revenu grâce à une solidarité interne y compris pour les populations itinérantes pour qu'il n?y ait plus de ségrégation d'accès à la santé du fait d'un non-accès à l'eau et à l'assainissement». Tout l'enjeu consistera donc à rechercher l'acceptabilité du prix de l'eau pour le consommateur tout en veillant à être conforme aux exigences de la DCE et tout en réalisant le renouvellement urgent du patrimoine des réseaux.
Mais la facture de l'eau peut-elle encore payer tous les services de l'eau ? Le principe « l'eau paie l'eau » a-t-il encore un avenir ? Les professionnels en doutent. « Je suis convaincu que si l'on veut faire un saut qualitatif, il va falloir, à un moment donné, ici ou là, marier à la fois la participation du consommateur et la participation du contribuable » indique André Flajolet.
Canalisateurs de France souhaiterait également que les collectivités puissent prévoir dans leurs budgets l'amortissement technique des réseaux. Problème : elles n?ont pas le droit de thésauriser. La solution consisterait alors à réformer la comptabilité M 49 spécifique à l'eau pour changer cette donne.
Les collectivités qui souhaitent pratiquer une baisse du prix des services de l'eau pourraient répercuter une partie de la baisse des tarifs auprès de leurs abonnés, mais pourrait provisionner également une autre partie pour le renouvellement et l'entretien de leur patrimoine ainsi que pour l'amélioration du service de l'eau.
Vincent Johanet