Les questions d’accès à la ressource ne sont plus limitées aux seuls pays en développement. Les défis de l’eau tels qu’ils se présentent aujourd’hui imposent aux décisionnaires, tous horizons confondus, de faire évoluer leurs outils de pilotage. La notion d’intendance de l’eau permet de diminuer l’exposition aux risques de l’ensemble des usagers et donc d’en accroître le bénéfice pour tous à l’échelle du bassin. Dans le prochain numéro, nous approfondirons les méthodes qui permettent de mesurer précisément chacun des risques liés à l’eau. À partir d’exemples réalisés par des entreprises, nous verrons comment diminuer stratégiquement l’exposition aux risques. Puis nous passerons en revue des cas concrets d’action collective afin de comprendre ce que ces projets ont apportés.
D’après
un sondage réalisé lors du sommet de Davos auprès d’un panel d’industriels
représentatif de l’économie mondiale, l’eau arrive en tête des risques
économiques et sociaux de la décennie à venir, loin devant les préoccupations
énergétiques ou les crises monétaires [1].
Protégée
par la qualité de ses infrastructures et par son modèle de gouvernance de
l’eau, l’Europe s’est longtemps crue à l’abri de ces risques. Mais certaines
études montrent que la France serait déjà en prise avec des bouleversements
profonds, exacerbés par les changements climatiques.
En
2003, des centrales thermiques et nucléaires françaises ont dû partiellement interrompre
leur activité en raison d’un manque d’eau. En 2017, la possibilité d’un
blackout énergétique dans notre pays s’est à nouveau présentée. Cet été plus de
20 départements ont été classés en état de stress hydrique et 80 départements
ont pris des arrêtés préfectoraux de restriction d’accès à la ressource.
Les
inondations du printemps 2016 en France auraient engendré un coût proche de 1,4
milliards d’euros. Plus loin de chez nous, en Californie, pour la seule année
2015, le coût de la sécheresse aura été de 2,2 milliards d’euros et 21,000
emplois perdus [2]. Aux enjeux du manque
d’eau s’ajoutent en Europe ceux de la qualité. En tête de liste, l’eutrophisation
des eaux de surface entraîne des coûts croissants irrémédiablement refacturés à
l’ensemble des usagers, industriels compris.
Ces
derniers exemples, nous rappellent parfois brutalement que les questions d’accès
à la ressource ne sont plus limitées aux seuls pays en développement. Ce qui se
déroule ailleurs sur fond de cataclysme environnemental serait déjà en cours chez
nous sous une forme qui échappe à nos instruments de mesure. Les défis de l’eau
tels qu’ils se présentent aujourd’hui imposent aux décisionnaires, tous horizons
confondus, de faire évoluer leurs outils de pilotage.
Comment
catégoriser les risques liés à l’eau ?
On
distingue trois classes de risques liées à l’eau affectant l’industrie :
les risques de disponibilité, de régulation et de réputation.
Les
risques de disponibilité sont d’ordre physique et tiennent à la continuité de
l’accès à l’eau en quantité et en qualité. Ils influencent la capacité d’un
site à obtenir suffisamment d’eau au moment désiré. Ce risque peut affecter la
production si la quantité et la qualité d’eau reçue sont insuffisantes pour
soutenir la production espérée.
Les risques de régulation correspondent aux conséquences de l’évolution des normes et des lois qui poussent le secteur industriel à s’adapter à des niveaux de réglementations plus contraignants. Ces derniers peuvent entraîner des ajustements parfois coûteux.
Enfin,
le risque de réputation est la perception que l’opinion publique aura de la
responsabilité d’un industriel sur sa gestion de l’eau. Globalement, les
risques de réputation peuvent mener à une altération de l’image de marque.
Localement ils peuvent provoquer une diminution de l’acceptabilité par la
population de la présence d’un industriel sur un site de production. Leurs
effets peuvent conduire à la fermeture pure et simple de l’unité de production...
L’exemple des fermetures d’usine de Coca-Cola en Inde constitue à cet égard un
cas d’école. L’année dernière, Ségolène Royal alors Ministre de l’Environnement
avait exigé la fermeture d’une usine dans les Bouches du Rhône. En cause, les rejets
excessifs de boues rouges issues de la production d’alumine.
Vers une
nouvelle intelligence collective
La
gestion intégrée des ressources en eau institue le bassin versant comme le
cadre adéquat d’administration territoriale de l’eau. La France fut parmi les
premiers pays à construire sa gouvernance de la ressource sur ce modèle.
Théoriquement, il devait permettre une gestion durable de la ressource par une
coordination des actions des usagers.
En
pratique, certains principes perpétuent l’individualisation des réponses aux
enjeux environnementaux et aux défis de l’eau. A titre d’exemple, le principe
du « pollueur-payeur » demande des comptes individuellement à chaque
entreprise sans prendre convenablement en compte le contexte général. Résultat,
la somme des réponses individuelles aura tout lieu d’être moins efficaces et
plus coûteuse qu’une action d’ampleur commune et concertée.
Une autre preuve de ce constat ressort
lorsque l’on regarde la pratique du secteur privé dans la stratégie de réponses
aux enjeux de l’eau. Ordinairement, les entreprises s’attachent aux
perfectionnements opérationnels tels qu’une meilleure efficacité d’usage de la
ressource ou une réduction des rejets. Ces actions individuelles menées dans le
périmètre confiné des usines sont généralement motivées par une stratégie de
réduction des coûts ou par une adaptation aux normes.
C’est indispensable mais loin d’être
suffisant. En matière d’eau, les comportements individuels ont des conséquences
sur tout le bassin et donc sur la collectivité partageant la même ressource.
Trouver des solutions à ces risques partagés requiert en réalité des actions
concertées entre les acteurs de la ressource.
Conscientes
que les pratiques actuelles n’ont eu pour effet que de contenir les symptômes
des risques liés à l’eau, certaines entreprises cherchent aujourd’hui à
promouvoir de nouveaux modes d’action dans leur portefeuille de réponses.
Ouvrir
le champ des possibles à des réponses portées par les entreprises, est l’objet
de l’intendance de l’eau (Water
Stewardship en anglais). Cette notion consacre le principe suivant : l’usage de la ressource doit être socialement équitable, environnementalement
durable et économiquement bénéfique.
Cet
équilibre est obtenu par la mise en œuvre de méthodes éprouvées ces dix dernières
années. L’intendance de l’eau conserve en point de mire la recherche d’une
action concertée avec l’ensemble des acteurs de l’eau au niveau du bassin
versant. Encore balbutiantes, ces actions démontrent que conjointement aux
évolutions techniques, les principes de l’intendance de l’eau permettent de
diminuer l’exposition aux risques de l’ensemble des usagers et donc d’en
accroitre le bénéfice pour tous à l’échelle du bassin.
L’évaluation des risques permet aux
entreprises de chiffrer le coût de l’inaction et de motiver ainsi leur degré de
contribution à ces actions collectives. L’objectif est d’aller au-devant des enjeux
qui se profilent, pour une préservation accrue de la ressource et une baisse
des coûts au niveau de l’unité de production.
Alors
que les restrictions d’eau deviennent la norme, il est grand temps de repenser
l’action collective de la gestion de la ressource en impliquant véritablement
l’ensemble des acteurs dans un processus de décision concertée.
[1] World
Economic Forum (WEF). 2016. “The Global
Risks Report 2016”.
[2
USA Today, le 19 août 2015.