La start-up zurichoise Oxyle a levé 16 millions de dollars en janvier pour industrialiser sa technologie de dégradation électrochimique des substances perfluoroalkylées (PFAS), combinant catalyse piézoélectrique et intelligence artificielle. Cette avancée intervient alors que l'Europe impose un seuil réglementaire de 100 ng/L pour vingt composés prioritaires dans l'eau potable d'ici janvier 2026
Le procédé repose sur un matériau nanoporeux recouvert d'un catalyseur piézoélectrique activé par turbulence hydraulique. Lorsque l'eau traverse le réacteur à raison de dix mètres cubes par heure selon les données fournies par la société – la charge mécanique génère un potentiel électrique localisé (-0V à +3V), induisant des réactions redox capables de rompre les liaisons carbone-fluor (-CF₂ et -CF₃). Les essais en conditions réelles montrent une défluorination complète des molécules-cibles comme le PFOA en ions fluorures libres (>99 %), sulfates et CO₂, avec une consommation énergétique inférieure à 1 kWh/m³ grâce à l'absence d'apport électrique externe hors pompage.
Cette approche contraste avec les méthodes traditionnelles : absorption sur charbon actif granulaire ou résines échangeuses d'anions – qui concentrent sans détruire – ou incinération thermique nécessitant plus de mille degrés Celsius. « Les techniques existantes transfèrent simplement la contamination ailleurs », rappelle Andrea Veciana du groupe du professeur Panè i Vidal à l'ETH Zurich dont les travaux pionniers ont inspiré plusieurs innovations sectorielles depuis septembre dernier. L'université suisse avait déjà démontré une efficacité théorique jusqu'à quatre milligrammes/litre en laboratoire via des nanoparticules sous ultrasons avant que ne se posent les questions de passage aux faibles concentrations environnementales typiques (<1 μg/L)
Oxyle intègre désormais un système pilotage dynamique couplant capteurs optiques et modèles prédictifs ajustant automatiquement le temps de traitement selon la concentration entrante – une réponse aux variations brutales observées dans certains effluents industriels complexes comme ceux traités chez Waterleau via ses unités mobiles conteneurisées Waterleau-Box après tests pilotes concluants débutés en février dernier sur sites contaminés au Danemark et aux Pays-Bas. La modularité revendiquée permettrait aussi bien des installations fixes qu'une intégration temporaire sur stations existantes sans modification majeure du réseau hydraulique.
Les verrous techniques et économiques restent encore à lever. D’une part, l’adaptation aux matrices solides (boues, sédiments) nécessite des approches complémentaires (comme le déploiement dès fin avril du procédé ForeverGone par Gradiant, associant fractionnement par microbulles (<50 μm) et oxydo-réduction catalytique pour ces substrats complexes). D’autre part, malgré des gains énergétiques avérés (≤1 kWh/m³), les coûts totaux de possession (TCO) restent difficiles à estimer face aux méthodes conventionnelles encore soutenues par des subventions publiques. Enfin, l’adoption industrielle impose une validation externe approfondie – à l’image des trois seuls projets américains ayant atteint une maturité opérationnelle après une décennie de R&D, selon les retours d’acteurs clés du secteur.
« La rupture technologique est acquise, mais le défi se situe désormais dans l’optimisation économique », analyse Prakash Govindan (COO de Gradiant), dont l’équipe a réduit de 30 % les coûts opérationnels via l’hybridation de procédés. Les prochains déploiements prévus chez des pétrochimistes allemands au T3/2024, couplés à l’entrée en vigueur du règlement REACH étendu aux PFAS par l’UE, pourraient constituer un tournant décisif pour la viabilité industrielle de ces solutions.