Dans le discours, les mesures du plan eau présentées par le président de la République face au défi climatique ne laissent guère de choix. Il faut s’adapter aux changements issus de nos pratiques passées. Sur le papier, le plan est moins solide. Au fil des mesures, on se heurte aux questions de la hiérarchie des usages et des moyens. Le plan eau sera-t-il décisif pour les territoires ? Régis Taisne chef du département Cycle de l’eau à la FNCCR et Jean-Luc Ventura, président de l’UIE livrent leur analyse sur les mesures annoncées.
Revue L’eau, l’industrie, les nuisances : Comment accueillez-vous le plan Eau présenté le 30 mars dernier par le président de la République ?
Jean-Luc Ventura : On se réjouit toujours du côté des industriels quand la compétence de l’eau prend une place centrale dans la société parce qu’on est convaincu qu’en matière de transition écologique, on est face à des enjeux majeurs, et que le petit cycle de l’eau est clairement positionné pour pouvoir les traiter.
Quand le sommet de l’état s’en empare, cela donne un éclairage et une forme d’émulation des professionnels de la filière, conscients de leur rôle dans cette évolution, qui est une bonne chose.
Dans le cadre du chantier eau de la planification écologique, il y a des annonces très politiques qui vont dans le bon sens, des mesures qui concernent la sobriété, la valorisation des eaux non conventionnelles, les stratégies de recharge des aquifères qui n’ont pas encore été mises en œuvre. Elles sont donc nouvelles et intéressantes.
Mais derrière ce plan, on s’interroge concrètement sur la mesure et l’analyse des difficultés et des besoins. Lorsque l’on regarde l’ambition affichée par le gouvernement et les chiffres qui jalonnent ces 53 mesures, on a l’impression qu’on a mal estimé l’ordre de grandeur pour relever les défis.
Restés sur notre fin sur la reprise des investissements à la suite des Assises de l’eau, on sera particulièrement attentifs au suivi quantitatif et qualitatif des actions et à leurs indicateurs que l’on souhaite les plus précis possibles, d’autant que l’on parle de 1000 projets de réutilisation des eaux, de 10% d’eau réutilisée et d’objectifs de réduction des taux de fuite pour 170 collectivités.
Régis Taisne : Notre positionnement n’est pas très différent. Ce que l’on constate, c’est que la sécheresse de 2022, les inquiétudes sur 2023, les problématiques pesticides, ont rendu l’eau enfin plus visible et fait émerger une prise de conscience de l’eau collective chez les citoyens et aussi chez les politiques. A commencer par le président de la République.
En ce sens, c’était une bonne chose que
ce soit le président qui présente le plan. Cela pose la question de l’eau comme
étant cruciale pour la stratégie du pays à l’adaptation au changement climatique,
pour son indépendance énergétique et sa souveraineté.
Les Assises de l’eau et le Varenne de
l’eau n’ont pas proposé des mesures très originales ni fait énormément bouger les choses, et l’on voit dans le plan eau des mesures qui sur le papier
ont du sens et un peu plus ambitieuses. Par exemple, si l’objectif des Assises
était de réduire de 10% les prélèvements d’eau des seuls services d’eau, je
note que l’objectif de sobriété de 10% vise maintenant l’ensemble des acteurs
d’ici 2030, ce qui est une nouveauté ; toutefois cela reste de toute évidence
encore insuffisant pour la mission RETEX sécheresse 2023 qui affirme dans ses
conclusions que l’objectif de -10% des prélèvements doit être tenu pour 2024 et
pas 2030.
Sur un sujet qui engage l’avenir du
pays, il faut surtout passer à des suites opérationnelles.
EIN : Concrètement, pour les
collectivités et les maîtres d’ouvrage, que permet-il de faire « de plus »
tout de suite et maintenant ?
R.T : Dans le domaine
de l’eau, c’est nouveau de parler de sobriété et surtout de parler de sobriété
pour tous les acteurs. On a d’ailleurs vu que la question de la part de la
consommation d’eau des énergéticiens avait suscité de vifs débats juste avant
la présentation du plan eau.
En matière de gouvernance, la Fédération
apprécie la repolitisation de la gestion locale de l’eau, avec l’engagement
rapide de débats entre élus et les différents acteurs, au niveau de territoires
pertinents (en particulier là où il n’y a pas encore de SAGE) avec une échéance
relativement courte, de 3 ans autour de l’eau et du partage de l’eau. En effet,
s’il n'y a aucun doute sur le fait que le SAGE est un bon outil, il est très
lourd administrativement et long à élaborer (en moyenne 9 à 10 ans) ce qui est
souvent démobilisant pour les élus et les parties prenantes. Se fixer un
objectif atteignable en 3 ans permettra de mieux embarquer tout le monde.
En matière de gouvernance du petit cycle de l’eau, nous avons quand même une interrogation sur l’échéance 2026 et le transfert ou non obligatoire de la compétence eau et de la compétence assainissement aux communautés de communes. Le président a en effet rappelé la nécessité de mutualisation mais la référence à des modes d’organisation sur des périmètres jugés pertinents, aux syndicats etc. a jeté le trouble... La Fédération a toujours porté les objectifs de mutualisation de solidarité territoriale et critiqué la loi NOTRe car elle n’envisageait qu’une seule forme de regroupement, les EPCI à fiscalité propre. Grand syndicat mixte, oui, mais 8 ans après la loi NOTRe, il ne faut pas faire marche arrière, revenir à une situation de services municipaux ou de micro-syndicats de 2 ou 3 communes, n’est objectivement pas raisonnable.
J.L.V : Pour les maitres d’ouvrage, qu’ils soient collectivités territoriales, industriels, agriculteurs, ces déclarations permettent de démarrer des actions de sobriété tout de suite et créent un contexte favorable à l’introduction de solutions nouvelles qui auraient été a priori moins bien acceptées dans d’autres conditions.
Toutefois à court terme sur l’ensemble
des mesures, il n’y a rien d’immédiat. La politique de l’eau se joue sur des
décennies avec des SDAGE, des SAGE, les agences de l’eau. Tout ceci doit être
planifié. Il va falloir revoir la trajectoire, travailler sur le long terme,
regarder l’impact réel des actifs qu’on gère qui représentent plusieurs
centaines de milliards d’euros en valeur actualisée et donc s’attaquer non
seulement à mettre en place les financements nécessaires mais aussi les moyens
opérationnels pour pouvoir exécuter ces travaux.
EIN : Aucune mesure spécifique n’est consacrée aux pesticides et micropolluants. Alors que certains pays y consacrent des moyens colossaux (800 millions de dollars aux Etats-Unis), les coûts liés à la dépollution de l’eau semblent rester supportés par les collectivités ?
R.T : Sur ce point, il faut d’abord rappeler que tout n’est pas qu’une question de traitement. Le traitement, c’est l’échec de la politique de prévention. La question simple et à court terme qu’il faut se poser est : quels sont les usages de l’eau, quelles sont les pratiques industrielles et agricoles et qu’est-ce qu’on autorisait ?
On voit quelques petites avancées dans
le plan sur la question des pollutions agricoles mais tant que l’état ne portera
pas une politique cohérente dans la transition agricole, il est vrai que c’est
un peu vain. Et de ce point de vue-là, on ne peut que constater que le plan eau
accorde généreusement 100 millions d’euros pour essayer de développer des
pratiques agricoles à bas niveaux d’intrants face à 9 milliards d’euros de subventions
de Politique agricole commune (PAC) qui ne vont pas dans ce sens.
J.L.V : Dans la deuxième édition de l’étude patrimoniale consacrée aux infrastructures de l’eau, l’assainissement et du pluvial publiée par l’UIE en octobre, on note que sur 30 000 captages d’eau potable 12 500 ont été abandonnés depuis 1980 soit parce qu’ils n’avaient plus assez d’eau, soit parce qu’ils étaient contaminés.
Ce n’est pas normal qu’en France on
abandonne un quart de notre potentiel de captage sans prendre la mesure du
traitement des micropollutions ! Tant en responsabilités qu’en moyens, il
y a un problème. On n’a pas mis tous les moyens en œuvre comme l’ont fait la
Suisse ou les Etats-Unis qui ne sont pourtant pas les plus exemplaires en
matière de traitement d’eau. On cherche à gagner du temps. C’est sans doute la
réglementation européenne qui permettra d’accélérer les choses.
EIN : Quel effet levier voyez-vous à ce plan ? De quel argent frais bénéficie-t-il ?
R.T: 100 millions d’euros proviennent du fond vert et étaient déjà alloués au soutien à la restauration aux zones humides. Pour le reste, je ne vois pas d’argent nouveau, puisque les 475 millions d’euros des agences de l’eau seront prélevés sur ceux-là même qui doivent investir. Quant à l’effet levier censé déployer 10 fois plus de financement (6 milliards d’euros par an), j’avoue que le raisonnement économique me laisse dubitatif.
J.L.V : Effectivement, il existe un problème de financement. Personne aujourd’hui ne se sent en charge de mobiliser la ressource économique pour faire face à cet énorme défi. On a du saupoudrage : 50 millions d’euros pour les stations d’épuration,180 millions pour les réseaux. Ce facteur 10 n’est justifié en rien. On n’a pas le début d’une solution. Donc, le plan n’a pas résolu le problème de savoir comment on allait financer toutes ces actions.
EIN : Si aucune ébauche d’un modèle économique n’est proposée, comment mener un plan eau sérieux dans ces conditions ?
R.T: C’est ce qui est
inquiétant. Sur quasiment aucune action, la question économique n’est posée.
Sur
la réutilisation des eaux usées traitées (lorsqu’elle est pertinente), le
problème n’est pas tant celui de la réglementation mais plutôt du modèle
économique.
Si
elle se substitue à de l’eau potable, c’est économiquement viable pour les
utilisateurs qui feront des économies. Mais en substitution à des prélèvements
d’eau dans le milieu, avec une redevance de prélèvement de moins de un centime
d’euros par mètre cube, aucun agriculteur ne va acheter de l’eau usée traitée
sauf s’il a des cultures à très haute valeur ajoutée. Et ce n’est pas à
l’usager de l’assainissement de payer.
Pour autant, nous sommes résolument défavorables à un modèle d’attribution de l’eau sous forme d’enchères au « plus offrant" : il est impératif de favoriser le dialogue entre les différentes parties prenantes, pour forger une nouvelle culture collective de l’eau qui ne peut reposer que sur une valorisation économique de l’eau.
J.L.V : Ce qui est ennuyeux, c’est qu’une nouvelle fois, quand on arrive à la question du financement, on recule devant l’obstacle. Mais là, on entre dans le dur : il faut s’inquiéter du partage de l’eau et de la hiérarchie des usages. Les 4.6 milliards de sous-investissement par an pour renouveler le patrimoine vont peser tant sur la sobriété que sur le développement économique du pays. Avec des taux de renouvèlement de 0.7 % par an, imaginez en 2030 le pourcentage de patrimoine qui sera renouvelé. Et en 2050 ?
Dans les années 2000, lorsque la France a été placée sous la menace d’une condamnation par l’Europe pour non-respect de la directive sur les eaux résiduaires urbaines, 2 milliards d’investissements supplémentaires par an ont été nécessaires pour rattraper le retard. Cela a mis en surchauffe l’activité des travaux public et du traitement d’eau, alors qu’il ne s’agissait que de 2 milliards. Donc, il ne faut pas se mentir. Il va falloir rétablir une trajectoire économique cohérente pour que nous puissions préparer notre industrie à aller aussi vite que possible et pour bien réaliser ces investissements.
EIN : Quelles sont vos priorités pour la suite ?
R.T : Pour l’essentiel, je ne vois pas dans ce plan eau de révolution en tant que telle. Le signal qui est envoyé sur la question des tarifs de l’eau et de l’assainissement est troublant car il semble se limiter à la question de l’acceptabilité de l’augmentation des tarifs (même si elle est évidemment nécessaire).
En
particulier, il faudrait déjà rééquilibrer les contributions au financement des
agences de l’eau. Les usagers, les services d’eau et d’assainissement, qu’ils
soient des assimilés domestiques ou industriels raccordés à l’eau potable ou à
l’assainissement, financent aujourd’hui 82% du budget des agences. Un
rééquilibrage des contributions aux agences de l’eau des différents « usagers »
est indispensable. Il était prévu par les assises de l’eau et la réforme des
redevances des agences avec la taxation des micropolluants et microplastiques
sous une forme ou une autre (la FNCCR privilégiant un élargissement de la
redevance pollution diffuse), une « redevance » sur les atteintes à la
biodiversité... Malheureusement, ces chantiers ne semblent pas bouger et rien
n’a été annoncé dans le plan eau à cet égard. Ainsi, nous nous félicitons de
l’augmentation des moyens d’intervention des agences mais ce n’est pas aux
usagers des services d’eau et d’assainissement de financer cette augmentation !
J’espère
que nous aurons quand même des bonnes nouvelles prochainement et que ces
nouvelles redevances verront le jour pour le démarrage des 12ème programmes des
agences de l’eau, soit le 1er janvier 2025.
À
court terme, on espérait également, mais sans trop y croire quand même, des
mesures qui permettent d’augmenter les capacités d’investissement des services
sans en répercuter la totalité sur les usagers, comme la baisse de la TVA à
5.5% sur l’assainissement par exemple. Car une chose est sure, il n’y a aucune
illusion à se faire, il faudra augmenter les tarifs pour s’occuper a minima du
petit cycle de l’eau.
J.L.V : Le co-financement des investissements pour les infrastructures du petit cycle de l’eau est à son plus bas niveau depuis 15 ans. Bien qu’utiles et nécessaires pour financer les projets, leur effet de levier en l’état actuel ne suffira pas.
Pour
prendre la mesure des enjeux qui ont été exprimés dans le cadre du plan eau et
de ses 53 actions, les questions du financement et du pilotage doivent être
clarifiées et s’assortir de mesures coercitives si besoin vue l’urgence de la
situation.
Propos recueillis par Pascale Meeschaert