Longtemps ignorées, parfois dénigrées, souvent suspectées, les solutions de pompages en ligne progressent et font peu à peu leurs preuves. Sans remettre systématiquement en cause les approches traditionnelles, elles constituent aujourd'hui une alternative parfaitement crédible, y compris lorsque l'exploitant se trouve confronté à des dysfonctionnements récurrents. Exemple à Saint-Lô, où l'implantation d'un dispositif de pompage en ligne a permis de normaliser le fonctionnement d'un bassin tampon.
Qu'ils soient unitaires, séparatifs ou mixtes, les réseaux d'assainissement sont bien souvent ponctués d'ouvrages indispensables à leur bon fonctionnement. Leurs missions sont diverses et parfois multiples. Les bassins d'orage, par exemple, tentent le plus souvent de combiner une fonction de régulation hydraulique, notamment de lutte contre les inondations, avec un objectif de dépollution des effluents urbains par temps de pluie.
L?aspect lutte contre les inondations est matérialisé par l'augmentation des capacités hydrauliques du réseau dont dépend le bassin. Quant à sa fonction de dépollution, elle peut être directe via un dégrillage et/ou une décantation in situ, ou indirecte en contribuant à réguler les flux qui seront traitées à l'aval par un ouvrage d'épuration.
Leur taille et leur emplacement, tout aussi variables, sont fonction des volumes et traiter, des disponibilités foncières et des caractéristiques géotechniques des sous-sols disponibles. Mais quelles que soient leur vocations, tous ou presque assurent une fonction relevage permettant de pérenniser l'écoulement gravitaire des effluents jusqu'à la station d'épuration.
Classiquement, cette tâche est assurée par un ensemble composé d'une bâche de reprise des effluents, d'un système de dégrillage, d'un groupe de pompage, d'une chambre de vannes et d'un module de contrôle commande.
Ce schéma dont l'efficacité n?est plus à démontrer fonctionne de façon satisfaisante dès lors que l'ouvrage a été correctement conçu, dimensionné et qu'il est convenablement entretenu. Car la présence d'une bâche de stockage dans laquelle séjournent des effluents fait du poste de relevage un ouvrage d'épuration à part entière.
Lorsqu'un dysfonctionnement apparaît, l'atmosphère de l'ouvrage devient rapidement hostile pour les équipements et potentiellement dangereuse pour les agents d'exploitation. L?apparition de nuisances olfactives, les phénomènes de corrosion et les difficultés d'exploitation sont les phénomènes les plus fréquemment observés. Tous traduisent une insuffisance de la prise en compte des conditions d'exploitation lors de la conception initiale du projet. Mais ces défauts de conception ne sont pas irrémédiables. Des solutions existent qui permettent de pallier l'un ou l'autre, voire l'ensemble de ces dysfonctionnements. L?une d'elles, mise en ?uvre à Saint-Lô, consiste à reconsidérer puis réaménager le principe du pompage gravitaire des effluents.
Reconsidérer et réaménager le principe du pompage gravitaire des effluents
Pour centraliser les effluents des quatre bassins versants qui l'entourent, la ville de Saint-Lô s'est équipée il y a 9 ans d'un bassin tampon chargé de réguler à débit constant les arrivées à la station d'épuration (40.000 E.H.) située le long de la Vire, à 1,5 km au sud de la ville. L?ouvrage, situé sous un parking en plein centre-ville, est constitué d'un bassin circulaire comprenant deux fosses de relèvement de 220 m3 et d'un bassin tampon de 1200 m3.
Chacune des fosses de relèvement est équipée d'un groupe de deux pompes submersibles d'une capacité de 200 m3/h. Un dispositif de prétraitement composé d'un dégrillage fin, non prévu au moment de la conception de l'ouvrage, complète l'ensemble qui accueille environ 1320 kg/j de DBO5. Les débits journaliers par temps sec avoisinent les 3.000 m3 et montent jusqu'à 12.000 m3/jour par temps de pluie d'intensité moyenne.
Problème, l'ouvrage cumule les dysfonctionnements. A commencer par d'importantes nuisances olfactives qu'un dispositif de désodorisation ne parvient pas à traiter efficacement. Le bassin n?étant pas compartimenté, le dispositif de désodorisation s'avère largement insuffisant pour traiter les quelques 2.000 m3 de volume d'air de l'ouvrage. Ce problème de nuisances olfactives s'accompagne également de phénomènes de corrosion mettant en cause l'intégrité des instruments.
Enfin, l'ouvrage qui n?était pas prévu pour abriter un dispositif de dégrillage, s'avère d'exploitation difficile, voire dangereuse pour les personnels chargés de son entretien. Céline Raimond est responsable du Service usines à l'agence centre et nord Manche de Veolia Eau. Elle explique : « Récupérer manuellement à 3,50 m sous un parking situé en plein centre ville près de 10 containers de 50 litres de refus de dégrillage par semaine via un escalier dont les marches, glissantes, ne sont pas aux dimensions standards, n?est pas chose facile. Si vous ajoutez à ce problème d'accessibilité les risques liés à la formation d'H2S, c'est directement la sécurité des personnels qui devient en cause ».
Veolia Eau propose alors plusieurs solutions pour remédier aux dysfonctionnements constatés : un cloisonnement des différents compartiments de l'ouvrage est proposé pour protéger les équipements et concentrer le dispositif de désodorisation sur les parties les plus sensibles de l'ouvrage. La pose d'un broyeur-dilacérateur et l'aménagement d'un monte-charge sont également suggérés pour limiter et faciliter l'évacuation des refus de dégrillage. Un programme d'améliorations est mis en ?uvre mais il s'avère rapidement que le cloisonnement de l'ouvrage coûtera trop cher.
C?est alors qu'est proposée une solution susceptible de résoudre l'ensemble des dysfonctionnements de l'ouvrage : le pompage en ligne, un système de relevage en prise directe avec l'effluent.
Le pompage en ligne : un système de relevage en prise directe avec l'effluent
Le pompage en ligne est une solution basée sur la reprise des eaux usées directement dans la canalisation gravitaire, au fur à mesure de leur arrivée, sans passer par une fosse de stockage traditionnelle.
Elle repose sur un système baptisé DIP, acronyme de Direct In-Line Pump, développé depuis une quinzaine d'années par Side Industrie. Le système se compose d'un corps hydraulique chaudronné en acier inoxydable AISI 304 L sur lequel est monté un groupe de pompage à deux moteurs qui relève les effluents dès leur sortie de la canalisation gravitaire. Un système de contrôle-commande basé sur la variation de vitesse permet d'assurer un pompage continu et régulé en fonction du débit entrant.
Une vanne d'entrée et une armoire de commande pré-équipée complètent l'ensemble, disponible dans une large gamme de puissances pour faire face à une grande variété de configurations. « Le principal avantage du procédé est qu'il repose sur l'absence de bâche de rétention, souligne Stéphane Dumonceaux, Directeur général de Side Industrie. Il permet donc de s'affranchir de nombreuses nuisances telles que les problèmes d'odeurs et de corrosion liées à la présence d'H2S mais aussi des problèmes de bouchage puisque ce système a une capacité à passer des objets au fil de l'eau beaucoup plus importante que lorsqu'ils sont puisés en bâche ».
Odeurs, corrosion, refus de dégrillage, les trois principaux dysfonctionnements auxquels est confronté l'ouvrage de Saint-Lô. La décision est donc prise de l'équiper d'un dispositif de pompage en ligne. La Communauté de communes de l'agglomération Saint-Loise, propriétaire de l'ouvrage, souhaitant conserver en état de fonctionnement l'ensemble des équipements d'origine, seule la première fosse est modifiée. Les pompes submersibles sont remplacées par un système DIP de 2 x 280 m3/heure posé sur des caillebotis installés au centre de l'ancienne bâche transformée en fosse sèche.
Un carottage est effectué en amont du dégrilleur et du batardeau pour récupérer la canalisation DN 500 d'arrivée des effluents. Une bride murale équipée d'une vanne de sectionnement permet de raccorder le système DIP à la canalisation d'arrivée tandis que le système de refoulement est modifié pour être adapté à la nouvelle configuration. En septembre 2008, l'ouvrage est bypassé le temps que la modification soit effectuée et le pompage en ligne mis en service. En quelques jours, la modification est effectuée et le mode de fonctionnement de l'ouvrage totalement modifié.
Un mode de fonctionnement totalement modifié
D?un mode de fonctionnement traditionnel par bâchées générateurs de multiples dysfonctionnements, le bassin tampon de Saint-Lô est passé à un mode de fonctionnement différent basé sur un pompage en ligne par temps sec.
Car le système DIP mis en place a été dimensionné pour faire face à l'ensemble des plages de débits par temps secs. Au-delà de ces débits, lors d'épisodes pluvieux, le second poste qui a conservé sa configuration initiale prend en charge la plage de débits se situant au-delà de la capacité du pompage en ligne installée. Et en cas d'épisodes pluvieux intenses, le bassin d'orage, lui aussi conservé dans son état initial, stocke les effluents dépassant les débits nominaux des deux postes de relevage. Leur reprise s'effectue via le second poste lorsque les débits le permettent à nouveau.
Pour Stéphane Dumonceaux, le choix de limiter le pompage en ligne aux débits de temps sec s'explique aisément. « Rien n?aurait été plus facile que d'opter pour un modèle plus puissant, capable de faire face à la plupart des épisodes pluvieux. Simplement, l'investissement aurait été plus important et les coûts d'exploitation plus élevés pour une durée d'utilisation somme toute assez marginale ». Une option largement approuvée par Céline Raimond pour qui « un pompage en ligne intégral aurait par ailleurs posé un problème de capacité à la station d'épuration ». Le dimensionnement du système a donc été adapté à la problématique locale. Le dispositif, opérationnel depuis 6 mois fonctionne parfaitement.
Les nuisances olfactives ont disparu tout comme les phénomènes de corrosion et les manutentions liées aux refus de dégrillage. Les interventions liées à l'exploitation sont nettement moins fréquentes et l'ouvrage est à nouveau accessible aux agents en toute sécurité sans qu'une aération préalable ne soit nécessaire.
Aucun phénomène de bouchage n?a été constaté. L?arrivée des effluents à la station d'épuration est plus régulière et cette dernière traite désormais 100% de la charge organique. Quant au bilan énergétique de l'opération, il est considéré comme neutre : « le meilleur rendement électrique du système DIP par rapport au rendement d'un moteur submersible, allié au pompage en circulation et au contrôle de courant absorbé, compense la perte de rendement hydraulique liée aux sections de passage beaucoup plus importantes des roues vortex par rapport aux roues classiques » affirme Stéphane Dumonceaux.
Du côté des agences de l'eau, on observe de près l'intérêt de cette technique. « Les agences n?ont pas à favoriser tel ou tel système » souligne Emmanuel Jestin, Chargé d'aides au fonctionnement à l'agence de l'eau Seine-Normandie, par ailleurs co-auteur d'une étude sur la problématique de la conception des bassins tampon. « Néanmoins, nous suivons de près les avancées qui concourent au bon fonctionnement des ouvrages, à leur pérennité et à une plus grande sécurité d'exploitation ».