La loi Brottes a consacré l'interdiction des coupures d'électricité pour cause d'impayés pendant la trêve hivernale quelles que soient les ressources de l'abonné et a étendu ce même principe aux coupures d'eau pendant toute l'année. De ce fait, il ne serait plus permis de priver d'eau, et par conséquent de toilettes, un abonné en retard de paiement de ses factures d'eau. Ceci ne signifie pas que l'eau soit devenue gratuite mais seulement qu'il faut obtenir autrement le paiement des factures d'eau impayées.
Bien que la loi Brottes soit en vigueur depuis avril 2013, certains distributeurs d'eau continuent d'agir comme si cette loi n?avait pas été adoptée ou comme s'ils avaient le droit de s'y soustraire. Ils coupent l'eau d'usagers pauvres ayant des impayés. La FNCCR qui représente les régies, est décrite dans le journal L?Est Eclair (26/6/2014) comme soutenant la thèse que : « les collectivités qui le souhaitent peuvent continuer de pratiquer des coupures d'eau pour factures impayées ». De son côté, Veolia refuse de tenir compte de la loi Brottes sous prétexte qu'il manquerait un décret, décret dont le contenu n?est pas précisé. La DRH de Veolia IDF a déclaré « Toutes les sociétés du secteur, dont Veolia, ainsi que les régies ont décidé d'attendre la clarification de la situation ».
Quant à Lyonnaise des eaux, elle vient d'être condamnée en référé pour la coupure d'eau d'une famille démunie qui s'efforçait pourtant de payer son eau.
Pour la plupart des observateurs dont l'auteur, la loi Brottes interdit les coupures d'eau sans discrimination selon le revenu de l'abonné. C?est notamment l'opinion du Député François Brottes (PS) qui a rédigé en 2014 un amendement confirmant cette interprétation. Qui est aussi celle des ONG membres de la Coalition Eau, de France Libertés ou de la Coordination Eau IDF, de l'Agence Nationale pour l'Information sur le Logement (ANIL, 2013) et de Eaudanslaville (mai 2014).
Plus récemment, le Sénateur Charles Guené (UMP) et le Député Pierre Morel-A-L'Huissier (UMP) ont défendu cette interprétation. Il en est de même de Marillys Macé, directrice du Centre d'information sur l'eau, organisme créé par Veolia Eau, Lyonnaise des Eaux et Saur. Les représentants de Veolia IDF ont d'ailleurs donné la même interprétation mais d'autres branches de Veolia, des représentants de Lyonnaise des Eaux et la FNCCR adoptent des positions différentes.
L?Administration, quant à elle, a donné avec le décret du 27 février 2014 son interprétation de la loi : l'interdiction des coupures d'eau s'applique à tous les usagers domestiques qu'ils soient ou non démunis. C?est parfaitement clair et pourtant certains distributeurs continuent de défendre une autre interprétation.
Ils trouveront à ce sujet des arguments dans une Ordonnance de référé du Tribunal d'instance de Soisson (25 septembre 2014) qui a estimé que l'interdiction de coupures ne s'applique pas aux usagers de mauvaise foi, c'est à dire aux usagers qui ont des ressources suffisantes pour honorer sans difficultés leurs factures d'eau. Un amendement législatif dans le même sens a été déposé par le député François Brottes en janvier 2014 en vue de limiter la portée de la loi Brottes.
Au vu de la discordance évidente entre les différentes interprétations de la loi concernant les coupures, il est devenu nécessaire d'apporter des clarifications en vue de préciser quels sont les usagers qui bénéficient d'une interdiction de coupure et de refuser d'accorder des facilités de paiement aux abonnés qui ont les moyens de payer leurs factures d'eau dans les délais.
En attendant, il serait souhaitable que les services de l'eau et les collectivités organisatrices veillent à ne priver d'eau potable aucun ménage démuni, qu'il soit ou non bénéficiaire du FSL ou qu'il ait ou non demandé une aide au CCAS. Avant de couper l'eau, il faudrait s'informer si l'usager n?a pas des difficultés financières particulières, pas se contenter de lui envoyer une lettre standard. Rien ne peut justifier de priver d'eau des abonnés démunis qui n?arrivent pas à trouver les moyens d'éponger totalement leurs dettes d'eau.
C?est le sens de l'Ordonnance du Tribunal de Soisson du 25 septembre 2014 qui condamne le délégataire pour avoir laissé sans eau pendant des mois une mère handicapée et ses deux enfants. En revanche, plus de sévérité à l'égard des abonnés retardataires ou négligents peut parfaitement se justifier, le droit à l'eau ne pouvant servir d'excuse même indirecte à des retards de paiement.
Au vu des problèmes soulevés par la loi Brottes, il appartient au législateur d'amender, si nécessaire, la loi pour en éliminer certains effets indésirables. Nous croyons, comme la FNCCR, qu'il faut ouvrir un débat sur ce sujet et repenser les dispositions sur les coupures d'eau dans le respect du droit à l'eau.
Henri Smets,
Président ADEDE