Dans un arrêt rendu le 11 février 2011, le Conseil d'État a jugé « partiaux » deux avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa devenue depuis l'Anses) sur lesquels l'ex-ministre de la santé, Roselyne Bachelot, s'était fondée pour émettre un avis défavorable à la mise sur le marché le procédé de traitement Spirofiltration® développé par la société Aquatrium. En cause, un conflit d'intérêts dans lequel se seraient trouvés deux experts de l'Afssa qui ont émis un avis sur ce procédé alors même qu'ils étaient liés avec une société, la Sagep, développant un procédé concurrent baptisé Primevère® dont l'un d'eux, inventeurs du procédé, fixaient comme limite à la turbidité des eaux brutes, la valeur de 20 NFU.
L'affaire commence en 2002 lorsque la société Aquatrium, présidée par Thierry Coulom, dépose un brevet concernant un procédé de filtration lente, la Spirofiltration®.
Un procédé que nos lecteurs connaissent bien puisqu'il à fait l'objet d'un article détaillé paru dans le numéro 336 de la revue. La Spirofiltration® est adaptée aux faibles productions, jusqu'à 2.500 m3/jour et permet sur un seul et même ouvrage de garantir l'efficacité du traitement des ressources en eau : la réduction de la turbidité, même à de fortes valeurs (>200 NFU) mais également l'élimination biologique du fer et du manganèse ainsi que des sulfures et de l'ammonium. Le principal atout de cette technique réside dans son mode de gestion simple, sans automatisme et accessible à du personnel peu qualifié avec de faibles coûts d'exploitation.
Forts de ces atouts, Aquatrium contacte en 2002 le ministère de la santé en vue d'obtenir une autorisation de mise sur le marché de son procédé Spirofiltration® pour clarifier les eaux. Bien que la circulaire du 28 mars 2000 ne précise pas d'autres contraintes pour la filtration lente que la vitesse de filtration (2 à 15 m/j), le ministère de la santé lui oppose une limite de 20 NFU sur les eaux brutes et transmet le dossier à l'Afssa qui émet un premier avis négatif fin 2002.
Surpris par une décision dont il comprend mal les tenants et aboutissants, Thierry Coulom prends alors contact avec la Direction générale de la santé pour obtenir l'autorisation d'implanter le procédé Spirofiltration® dans deux villages Meusiens : Lavallée dont la turbidité n'excède pas 20 NFU et Rarecourt pour réaliser un prétraitement en amont d'une coagulation sur filtre. Bien que ces deux cas correspondent à des situations ne nécessitant pas d'autorisation préalable, le dossier repart à l'Afssa qui n'autorise que des essais en 2003 « à la condition que l'eau traitée ne soit pas distribuée » s'indigne Thierry Coulom. « Une condition injustifiée et absurde qui rendait tout essai impossible ».
Aquatrium intervient à nouveau auprès du ministère de la Santé et obtient finalement l'autorisation de distribuer l'eau traitée sous le contrôle de la DDASS. Début 2006, les installations sont achevées et le suivi commence sous l'étroit contrôle de la DDAAS de la Meuse. Un suivi qui s'avère vite concluant et qui se traduit par la remise d'un nouveau dossier à l'Afssa en juin 2007. Là ! Le 22 février 2008, le ministère de la santé prend la décision d'interdire la commercialisation du procédé Spirofiltration® sur la base d'un avis défavorable rendu par l'Afssa le 4 février précédent.
Suspectant un conflit d'intérêts, Aquatrium s'adresse à nouveau au Ministère de la Santé. « Dans le cadre d'un courrier daté du 11 mars 2008, nous avons mis en doute la partialité de l'avis rendu par l'Afssa sur le plan scientifique en suspectant en outre, l'intervention d'un, voire de deux experts liés à la Sagep qui commercialise également un procédé basé sur la filtration lente, avec laquelle Aquatrium pourrait se trouver en conflit d'intérêts » indique Thierry Coulom. La mise en garde ne suffira pas ce qui conduit Aquatrium à lancer en juin 2008 un premier recours contentieux devant le Conseil d'État. Suite à une nouvelle décision ministérielle confirmant l'interdiction de commercialiser le procédé Spirofiltration®, un deuxième recours contentieux est introduit par Aquatrium en janvier 2009.
Il faudra deux ans à Thierry Coulom et son associé Stéphane Boeglin pour obtenir gain de cause. Dans son arrêt rendu le 11 février 2011, le Conseil d'Etat juge finalement que « les liens entretenus entre deux membres du comité d'experts [de l'Afssa ndlr] avec une société ayant développé un brevet d'invention concurrent » est contraire « au principe d'impartialité » et entachent d'illégalité les décisions prises par le ministre de la santé sur le fondement de ces avis. « Deux experts et non des moindres puisqu'il s'agit du président qui s'était auto-nommé rapporteur du Comité d'experts « eaux » et du précédent président de ce comité d'experts « Eaux » qui était aussi à la tête du conseil scientifique et du centre recherche de la Sagep », pointe Thierry Coulom.
Le Conseil d'Etat annule donc lesdites décisions et enjoint le ministère chargé de la Santé de procéder au réexamen de la demande d'autorisation de mise sur le marché du procédé Spirofiltration® dans un délai de six mois. Pour Thierry Coulom, « C?est la fin d'un cauchemar qui aura duré près de 10 ans, même si cette affaire pourrait en appeler quelques autres qui concernent également directement le comité d'experts « Eaux » ».
L'affaire devrait également prendre un tour pénal, l'entreprise ayant l'intention de porter plainte au civil pour faute et erreur de procédure ainsi qu'au pénal pour prise illégale d'intérêts.
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