La loi du 7 février 2011 permet aux services publics d'eau et d'assainissement d'attribuer une subvention au fonds de solidarité pour le logement (FSL) pour contribuer au financement des aides relatives au paiement des fournitures d'eau à hauteur de 0,5 % du montant hors taxes des redevances perçues. Ce texte est la traduction juridique du deuxième alinéa de l'article 1 de la loi sur l'eau du 30 décembre 2006 qui dispose que « (?) chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». A ce titre, il constitue une étape intéressante et en tout cas sans équivalent dans le monde, vers un premier droit à l'eau pour les plus démunis. Rencontre avec le promoteur de cette loi, Christian Cambon, Premier Vice-président du SEDIF et sénateur du Val-de-Marne.
Revue L?Eau, L?Industrie, Les Nuisances : Vous êtes le père de la loi du 7 février 2011 instaurant un dispositif d'aide et de solidarité dans le domaine de l'eau. A-t-on a aujourd'hui une idée précise du nombre de familles qui doivent faire face à des dettes d'eau ?
Christian Cambon : Ce dispositif de solidarité devrait permettre de débloquer 50 millions d'euros qui viendraient en aide à 100.000 familles. Ce chiffre rejoint la plupart des estimations dont celles réalisées par nos collègues de l'Obusass, l'Observatoire des usagers de l'assainissement. Reste que la tendance fondamentale du prix de l'eau est à l'augmentation. Cette hausse n?est pas imputable à la production ou à la distribution de l'eau potable - nous venons, au SEDIF, d'en faire la démonstration en diminuant notre prix de 20% au 1er janvier dernier - mais à l'assainissement. Et cette tendance est durable. En région parisienne, le coût de l'assainissement devrait encore augmenter de 6% par an durant les 4 années à venir. Or, aujourd'hui, le prix de l'eau potable ne représente déjà plus que 36% du montant total de la facture quand l'assainissement est à près de 40 %. Le prix de l'eau va donc continuer à augmenter ces prochaines années, marquant la fin d'une période durant laquelle son impact au sein d'un budget moyen restait modéré. Le problème est devenu si préoccupant qu'il nous a fallu l'examiner au regard de la norme de l'OCDE selon laquelle la facture d'eau ne doit pas représenter plus de 3% du revenu annuel d'un ménage. Or, nous avons constaté que pour des familles en difficulté, on arrivait facilement à 4, voire 5 ou 6%.
Revue E.I.N. : D?où la nécessité de mettre en place un dispositif de solidarité?
C.C. : Absolument. Si la crise perdure et que parallèlement le prix de l'eau augmente substantiellement, ce problème va fatalement prendre de l'ampleur. C?est ce constat qui nous a incité à agir et à proposer ce dispositif d'aide qui ne réglera certes pas tous les problèmes mais qui constitue tout de même une petite révolution dans la mesure où c'est la première fois dans le monde qu'un pays créé un droit à l'eau moins chère avec un mécanisme assez facile d'accès.
Revue E.I.N. : Pourquoi avoir choisi d'inscrire ce mécanisme d'aide dans les dispositifs existants, les FSL, qui n?ont pas encore déployé de volet eau dans tous les départements ?
C.C. : Initialement, nous avons pensé confier cette mission de solidarité aux centres communaux d'actions sociales, les CCAS qui s'imposaient a priori. Mais il est rapidement apparu que beaucoup de communes ne disposaient pas d'un CCAS actif ou tout au moins en situation de gérer ce type de mission. Nous nous sommes donc naturellement tournés vers les FSL dont les structures et le statut permettent de gérer cette action de solidarité. Le Fonds de solidarité logement (FSL) est une structure départementale qui existe dans 85 départements mais il est vrai que dans 23 départements, le FSL ne comporte pas de volet eau. Nous avons intégré cette difficulté d'autant que le gouvernement a confirmé que les FSL eau seraient généralisés pour rendre l'application de la loi plus facile. C?est aussi pour cette raison que l'Assemblée Nationale a amendé mon texte, initialement d'application immédiate pour le rendre applicable au 1er janvier 2012, ceci pour laisser le temps aux services d'eau ? délégations ou régies car il n?y a pas de distinction ? de conventionner avec les FSL nouvellement créés.
Revue E.I.N. : Le fait de recourir aux FSL ne risque-t-il pas de créer des disparités trop importantes d'un département à un autre ?
C.C. : Je ne le crois pas. Il y aura bien entendu des niveaux d'aides différents qui correspondent à des réalités locales différentes. Le prix de l'eau varie notablement d'un département à un autre en fonction de paramètres quantitatifs, qualitatifs, etc. C?est sur la base de ce niveau de prix, et en fonction des réalités sociales locales que le niveau d'aides doit être mis en place et modulé.
Il faut également savoir faire confiance à la responsabilité des services d'eau et des FSL qui vont prendre en compte la réalité des besoins sociaux que les maires vont leur signaler. Ils fixeront ensemble un certain nombre de règles d'attribution, puis signeront une convention adaptée aux contraintes locales d'où découlera tout naturellement une modulation départementale qui résultera d'une négociation entre les services d'eau et puis les FSL.
Revue E.I.N. : Vous ne craignez pas que le droit à une aide, puisque c'est de cela dont il s'agit finalement, ne soit pas seulement une apparence de droit ?
C.C. : Nous avons mis en place un dispositif volontaire et non pas obligatoire car nous avons considéré que le volontariat était la manière la plus efficace de promouvoir un dispositif de cette nature. Toute chose égale par ailleurs, c'est ce qui a fait le succès, au plan international, de la loi Santini-Oudin qui permet aux collectivités d'affecter jusqu'à 1% de leurs recettes aux actions de solidarité : beaucoup de bonnes volontés se sont manifestées et on s'aperçoit aujourd'hui que cette loi place les collectivités locales parmi les tous premiers donateurs dans le domaine de la solidarité vis-à-vis des pays les plus pauvres.
L?essentiel de la problématique que nous évoquons résulte d'un équilibre entre le prix de l'eau et les réalités sociologiques au sein d'un département. Il est donc important de laisser les élus locaux et notamment les maires, placés au c'ur du système, jouer leur rôle en favorisant le dialogue et le conventionnement plutôt que de chercher à imposer des mesures autoritaires et forcément arbitraires au regard de la diversité des réalités locales.
Revue E.I.N. : La loi ouvre la possibilité d'une contribution des services d'eau ou des délégataires mais ce n?est qu'une possibilité. Pensez-vous que leur générosité sera au rendez-vous demain alors que leur contribution actuelle qui prend la forme d'abandons de créances ne s'élève qu'à 3 millions d'euros sur un total de facturation avoisinant les 12 milliards d'euros ?
C.C. : Je le pense car derrière les délégataires, vous avez les délégants et derrière eux des élus. Et je ne connais pas d'élus qui renoncent spontanément à une aide proposée par l'Etat et le département. Le dispositif qui avait cours jusqu'à présent était opaque et difficile à mettre en ?uvre car trop lourd à gérer pour de trop petites sommes. Le SEDIF, premier syndicat d'eau d'Europe, ne contribuait qu'à hauteur de 37.000 euros par an alors que nous devrions pouvoir débloquer entre 1 et 2 millions d'euros chaque année ce prouve bien l'existence d'un problème?
En matière de délégation de services publics, ce dispositif devrait également devenir un élément important dans la renégociation des contrats. En la matière, le SEDIF a donné un bon exemple en introduisant dans son appel d'offres un volet social qui associe financièrement notre délégataire à l'effort consenti. Je pense que de proche en proche beaucoup de services d'eau vont s'emparer du dispositif car comme pour la loi Santini-Oudin à l'international, c'est une ponction indolore pour un résultat maximum.
Revue E.I.N. : Initialement, vous aviez proposé un dispositif d'aides à hauteur de 1% des recettes avant qu'il ne redescende à 0,5%...
C.C. : Oui, pour une raison simple : un autre dispositif dit « préventif » était également en gestation et Chantal Jouanno avait souhaité que l'on affecte 0,50 % pour le curatif et 0,50% pour le préventif. Ce dispositif ayant été jugé par la suite trop compliqué à mettre en ?uvre, il a été abandonné et seul le dispositif curatif a pu émerger. D?où l'article 2 de la loi selon lequel le gouvernement s'engage, dans un délai de 6 mois, à développer un système complet d'aide au paiement des factures d'eau intégrant un aspect préventif.
Revue E.I.N. : Vous êtes également premier Vice-président du SEDIF : comment le syndicat va-t-il exploiter les possibilités ouvertes par cette loi ?
C.C. : Comme vous le savez, le SEDIF subventionne depuis 1986 des organisations de solidarité internationale qui conduisent des projets d'alimentation en eau potable pour le compte de collectivités dans des pays en développement. La loi Santini-Oudin est venue conforter cette pratique pour laquelle le SEDIF était précurseur. En 2009, le montant des aides s'est élevé à 1,6 M?, soit moins de 0,4% des ressources du syndicat, ce qui représente une contribution moyenne inférieure à 1 ? par famille et par an. Depuis le 1er janvier 2011, il consacre 1% des recettes des ventes d'eau au programme « Eau Solidaire », un dispositif de solidarité innovant et unique en France à cette échelle, pour venir en aide aux usagers connaissant des difficultés d'ordre social ou financier pour le règlement de leur facture d'eau. Des « chèques d'accompagnement personnalisés » sont également confiés aux Centres Communaux d'Action Sociale, destinés à ces usagers en difficulté. Nous allons au cours de cette année affuter notre dispositif pour être pleinement opérationnel au 1er janvier 2012 et exploiter toutes les possibilités offertes par ce nouveau dispositif. Pour moins d'un euro par an et par famille nous donnons chaque année 1.500.000 euros aux pays en voie de développement. Pour moins d'un euro supplémentaire, nous pourrons contribuer à aider 100.000 familles à alléger leur facture d'eau.
Propos recueillis par Vincent Johanet