Lors du traitement des eaux usées, l’élimination des micropolluants est incomplète ; certains restent présents dans les eaux rejetées dans l’environnement. Des chercheurs d’Inrae, en collaboration avec le Synteau (Syndicat national des entreprises de traitement de l’eau), membre de l’Union des Industries de l’Eau, ont évalué, pour la première fois à l’échelle de la France, l’impact potentiel d’une centaine de micropolluants sur la santé humaine et les milieux aquatiques. Leurs résultats, publiés dans Water Research, montrent que les micropolluants ont un impact potentiel significatif, en particulier certains pesticides, certains hydrocarbures, certains résidus de médicaments, certaines hormones et des métaux comme le cuivre, le zinc ou l’aluminium. Il est ainsi important de mettre en place des actions de réduction à la source et de traitement de ces substances.
Après traitement, certaines substances qui entrent dans la composition de produits d’usage domestique, médical, industriel ou agricole, restent en effet présents dans les eaux rejetées dans l’environnement ou par déversement des eaux pluviales. Or, il existe désormais de nombreux éléments pour admettre la présence d’effets néfastes des micropolluants émis par les activités humaines sur les écosystèmes aquatiques, voire sur la santé humaine [1][2].
Une très grande diversité de micropolluants, toujours plus nombreux
Pour leur étude, les chercheurs ont utilisé la méthode d’analyse du cycle de vie (ACV) avec le modèle USEtox®[3] qui fait consensus au sein de la communauté scientifique pour évaluer les impacts potentiels des micropolluants. Ces impacts sont calculés à partir des flux vers l'environnement déterminés grâce aux données de la littérature scientifique et des rapport nationaux de surveillance des effluents de station d’épuration.
286 micropolluants ont initialement été sélectionnés pour l’analyse en se basant d’une part sur ceux classés prioritaires dans le cadre de la législation européenne [4] (41 molécules) pour la surveillance des micropolluants dans les milieux aquatiques, et d’autre part sur des études alertant sur le danger de substances émergentes comme certains produits pharmaceutiques (projet AMPERES [5]). Cependant, malgré ces bases de données collectées depuis plus de 10 ans, les impacts potentiels d’un tiers seulement de ces substances ont pu être évalués du fait du très grand nombre de substances concernées, et de l’absence de donnée pour évaluer leurs quantités et leurs impacts sur le milieu aquatique et la santé humaine.
Il apparait ainsi qu’il n’est pas possible d’évaluer de façon exhaustive les impacts potentiels de l’ensemble des micropolluants qui peuvent se retrouver dans les eaux usées, toujours plus nombreux chaque année avec la mise sur le marché de nouvelles substances. On dénombrait ainsi plus de 20 000 substances sur le site de l’Agence européenne des produits chimiques au 31 mai 2018.
Des impacts potentiels significatifs sur les milieux aquatiques : l’étude révèle qu’une espèce disparaît tous les 10 ans
Un impact significatif des micropolluants organiques sur le milieu aquatique a été mis en évidence dans cette étude. En effet, le nombre moyen d’espèces aquatiques potentiellement disparues du fait des 88 substances organiques ayant pu être caractérisées, a été évalué à une espèce disparue des milieux aquatiques à chaque décennie. De nombreuses substances organiques participent à cet impact, dont les plus significatives sont par exemple la cyperméthrine (un pesticide), un PCB, un type d’œstrogène (une hormone), ou encore l’amoxicilline (un antibiotique).
Ce chiffre montre donc un impact potentiel significatif de ces substances, même si seulement un tiers des micropolluants identifiés a pu être évalué. L’impact des substances organiques sur la santé humaine est quant à lui plus difficile à évaluer précisément. Les chercheurs ont calculé une valeur d’impact relativement faible, qui est liée à une faible exposition directe aux molécules (particulièrement grâce aux traitements effectués pour rendre l’eau potable) et à l’absence actuelle d’études et de données chiffrées montrant le lien entre les micropolluants présents dans les rejets des stations d’épuration et la santé humaine. Il existe toutefois des suspicions sur les effets à long terme de ces molécules compte tenu des différentes sources d’exposition tout au long de la vie ou de certains phénomènes, tel l’antibiorésistance (pouvant réduire l’efficacité de certains antibiotiques actuels).
Cette étude s’est également intéressée aux micropolluants inorganiques (les métaux), dont l’impact sur les milieux aquatiques et la santé humaine a pu être évalué avec des valeurs relativement fortes, en particulier l’arsenic et le zinc sur la santé humaine, ou l’aluminium et le fer sur les milieux aquatiques. Néanmoins, ces éléments étant naturellement présents dans l’environnement, il reste difficile de faire la part entre leur origine naturelle et leur origine humaine pour l'évaluation des impacts potentiels des effluents de station d’épuration. De plus, la modélisation de l’impact toxique de ces substances est aujourd’hui encore discutée dans la communauté scientifique ACV car leur caractérisation est rendue difficile par leur durée de vie quasi-infinie.
En France, la stratégie pour réduire les micropolluants dans l’environnement se base pour le moment principalement sur des réductions, voire des interdictions d’usage en amont des stations d’épuration, du fait de leur toxicité. Cependant, cette étude montre que certaines substances réglementées, voire interdites, comme les PCB, se retrouvent encore dans les effluents de station d’épuration du fait de leur très longue persistance. Cette persistance dans le milieu, ainsi que le très grand nombre de substances impliquées, posent la question de l’opportunité de traitements dédiés dans les stations d’épuration en complément des actions de réduction à la source. Ces traitements, dont l’efficacité et le coût sont à bien prendre en compte, pourraient permettre en effet de réduire la quantité de micropolluants présents dans nos eaux usées et aujourd’hui directement rejetés au milieu naturel.
[1] Kidd et al., 2007, Collapse of a fish population after exposure to a synthetic estrogen. Proceeding of the National Academy of Science of the United States, 104(21), 8897–8901
[2] Brodin et al, 2014, Ecological effects of pharmaceuticals in aquatic systems – impacts through behavioural alterations. Philosophical Transactions of the Royal Society of London B: Biological Sciences, 369(1656), 20130580.
[3] USEtox® est un modèle qui fait consensus au sein de la communauté scientifique pour évaluer l’impact des produits chimiques sur la santé humaine et l’environnement. Il est issu des travaux d’une équipe de chercheur à l’internationale réunie sous l’égide de l’initiative pour le cycle de vie du PNUE (Programme des Nations unies pour l'environnement) et de la SETAC (« Society of Environmental Toxicology and Chemistry »).
[4] La Directive-cadre sur l’eau (DCE) adoptée en 2000 par l’Union Européenne vise à prévenir et réduire la pollution de l'eau, promouvoir son utilisation durable, protéger l'environnement, améliorer l'état des écosystèmes aquatiques (zones humides) et atténuer les effets des inondations et des sécheresses. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Al28002b
[5] Martin-Ruel, S.,
Choubert, J.M., Budzinski, H., Miège, C., Esperanza, M., Coquery, M., 2012.
Occurrence and fate of relevant substances in wastewater treatment plants
regarding Water Framework Directive and future legislation. Water Sci.
Technol.. 65, 1179-1189.