Rendez-vous incontournable de la communauté des chercheurs, ingénieurs, institutionnels et experts internationaux, la Société Hydrotechnique de France (SHF) consacre son prochain colloque au « Risque Ruissellement : diagnostic et solutions », en partenariat avec l’Association Nationale des Élus des Bassins (ANEB), le Ministère de la Transition écologique et le Grand Lyon. Ingénieur général des ponts des eaux et des forêts, Eric Gaume dirige le département « géotechnique, environnement, risques naturels et sciences de la Terre » de l’Université Gustave Eiffel. Ses travaux de recherche portent sur la connaissance et la prévision des crues, avec un intérêt particulier pour les crues soudaines en région méditerranéenne. Sous l’égide de la SHF, Eric Gaume préside le comité d’organisation du colloque qui se tiendra du 30 novembre au 2 décembre à Lyon. C’est à ce titre qu’il a accordé un entretien à L’eau, l’industrie, les nuisances.
L’eau, l’industrie, les nuisances : Vous êtes le pilote du colloque de la SHF consacré à un sujet qui occupe une place singulière dans la gestion des eaux pluviales : le risque de ruissellement. Dans le cadre de cet événement, chercheurs, ingénieurs de bureaux d’étude ou de services techniques de collectivités, institutionnels et experts internationaux interviendront successivement sous différents formats. Cela donne la mesure de l’ambition du colloque : un besoin de partage de connaissances sur ce sujet émergent. Car la gestion des eaux pluviales a longtemps négligé les risques d’inondation par ruissellement. Pour quelles raisons ?
Eric Gaume : Globalement, on a pris conscience ces dernières décennies que la problématique de l’inondation ne se résumait pas au débordement des cours d’eau principaux. Les pluies intenses provoquent aussi de très nombreux désordres liés aux ruissellements, dispersés et diffus sur les territoires, dont il faut aussi tenir compte.
Ce colloque est le fruit d’une réflexion commune avec la Direction générale de la prévention des risques (DGPR). Il vise à faire un point sur les connaissances acquises sur les phénomènes de ruissellements et à permettre un premier partage des expériences de gestion et de maîtrise des risques associés.
Le ministère de l’Ecologie avait demandé en janvier 2015 au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) de formuler des propositions pour améliorer la prise en compte des eaux pluviales en général. Le rapport du CGEDD publié en 2017, estimait que la maîtrise des risques d’inondation par ruissellements et par débordement était au cœur des enjeux et que les efforts devaient se concentrer sur ce sujet.
Il y avait donc un vrai besoin de créer un événement pour que les praticiens, ingénieurs de bureaux d’étude et chercheurs puissent échanger leurs connaissances et leurs retours d’expériences sur le sujet. Les connaissances scientifiques ont progressé ces dernières années, mais elles ne sont pas nécessairement bien partagées par les praticiens. A l’inverse, les scientifiques doivent s’appuyer sur des diagnostics de terrain pour pouvoir mieux orienter leurs travaux de recherche et leurs innovations.
Afin d’assurer ce lien entre les préoccupations des territoires, la recherche et l’innovation, le colloque « Risque Ruissellement : diagnostic et solutions » est organisé en collaboration avec l’ANEB. Cet événement permettra de poser toutes les questions que les politiques publiques posent dans le domaine de la gestion du risque de ruissellement sur le terrain. Et comme nous n’aurons pas épuisé le sujet, et que nous sommes au tout début de la réflexion, il est fort probable qu’il y ait une 2ème édition.
EIN: Changement climatique et risque de ruissellement : ces deux notions doivent-elles apprendre à vivre ensemble aujourd’hui ?
E.G: On peut penser que le changement climatique va augmenter la fréquence des phénomènes de ruissellement dommageables, mais aujourd’hui il n’y aucune certitude en la matière. Les études se multiplient, on a des résultats de plus en plus probants qui suggèrent qu’au moins dans certains territoires, la tendance serait à l’augmentation de l’intensité des pluies. Il y a donc des raisons de penser qu’à l’avenir, les inondations par ruissellement pourraient être plus fréquentes dans un climat qui évolue rapidement.
Pendant de nombreuses années, les politiques de prévention des inondations se sont focalisées sur les cours d’eaux principaux. 80% de la population exposée aux inondations est en effet localisée en bordure de ces cours d’eau. On constate cependant aujourd’hui qu’une proportion importante des indemnisations versées par les compagnies d’assurance au titre des catastrophes naturelles (environ 50 %) ne sont pas liées aux débordements de cours d’eau, mais aux ruissellements.
Les inondations par ruissellement ne sont donc pas un phénomène marginal. Ce constat impose leur prise en compte dans les politiques de prévention des risques.
EIN: Comment avez-vous ébauché le programme du colloque, équilibré les thèmes, déterminé les formats d’intervention ?
E.G: On est dans la philosophie des colloques organisés par la Société Hydrotechnique de France, qui est une société savante. Elle regroupe à la fois des chercheurs, des ingénieurs de bureaux d’études ou de services techniques de collectivité ou de l’Etat et des praticiens. Les activités de la SHF visent le partage des compétences et la transmission des connaissances scientifiques les plus à jour en recourant à la fois à des experts internationaux et à des savoir-faire de terrain. Avant toute chose, c’est un partage d’expertises et de connaissances qui est proposé dans les colloques de la SHF.
Le programme, tel que nous l’avons conçu, s’articule autour de trois thèmes centraux :
- Le premier porte sur l’état des connaissances sur les ruissellements et leurs impacts. Différentes sources possibles de données seront présentées. La diversité des cas de figure rencontrés dans les territoires sera illustrée. Un collègue italien, expert internationalement reconnu des crues soudaines dressera un panorama européen et international qui mettra en perspective la situation française.
- Le deuxième porte sur les outils de cartographie de l’aléa et des risques. Les outils dont on dispose aujourd’hui sont nombreux mais leurs fiabilités et leurs limites ne sont pas toujours bien définies. De nombreuses illustrations de cartes seront présentées, ainsi que des évaluations de ces cartes à partir de relevés de dommages et de sinistres relevés sur le terrain. Une place importante sera aussi réservée à l’utilisation de ces documents cartographiques dans le cadre de l’élaboration de politiques locales de prévention des risques.
- Le troisième thème est entièrement consacré aux retours d’expériences de terrain sur la mise en œuvre de mesures de réduction de l’aléa et de la vulnérabilité. Il abordera successivement à toutes les échelles (de la parcelle, à celle d’un lotissement, d’un bassin versant et d’un territoire), les différents aménagements proposés pour réduire et contrôler les ruissellements et protéger les bien exposés. Les nouveaux dispositifs d’avertissement tels que vigiCrues Flash et les avertissements pluie intenses à l’échelle communale (APIC) et leurs évolutions possibles à moyen terme seront aussi présentés.
EIN : Quels sont les temps forts du colloque ?
E.G : La situation sanitaire nous a contraint à repenser la configuration de ce colloque. Nous avons choisi de conserver une partie en présentiel à l’École Nationale Supérieure de Lyon, permettant aux personnes de se rencontrer et d’échanger de visu. Parallèlement, nous mettrons en ligne sur une plateforme dédiée l’ensemble des contenus sous format audiovisuel. Les participants pourront en amont poser leurs questions aux intervenants, networker sur la plateforme. Ils pourront également suivre les débats qui se dérouleront en direct à l’ENS.
Ainsi, mardi 1er décembre après-midi, des tables-rondes seront organisées en présence des représentants de la DGPR, de représentants de collectivités territoriales et de grands opérateurs comme la SNCF et la compagnie de réassurance CCR, permettra de faire un état des lieux des politiques publiques déployées, des évolutions souhaitées de ces politiques publiques dans le domaine de la gestion du risque de ruissellement.
Mercredi 2 décembre, des visites sur sites ayant fait l’objet d’aménagements visant à réduire l’impact des ruissellements et un atelier de présentation des outils seront organisés en partenariat avec le Congrès de l’ANEB.
EIN : Quel public visez-vous précisément ?
E.G : Le public sera à l’image des intervenants : on attend des scientifiques, des ingénieurs de bureaux d’études, et nous l’espérons beaucoup d’ingénieurs de services techniques, d’établissements publics des services de l’Etat. Les actes seront édités et les meilleurs articles, soit une quinzaine, seront publiés dans notre revue la Houille Blanche.
Nous voulons aussi séduire de nouveaux publics, par exemple les jeunes professionnels qui seront sans doute réceptifs à notre nouveau format.
Propos recueillis par Pascale Meeschaert
Pour plus d’informations :https://www.shf-hydro.org/manifestations/risque-ruissellement/