Une politique nationale volontariste, soucieuse d’agir sur un sujet complexe et probablement crucial en santé-environnement, mais freinée par une Union européenne déficiente sur le sujet. C’est, en substance, ce que révèle le rapport conjoint du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), publié au début du mois de février.
Ce
rapport de 144 pages, commandé par le gouvernement en août 2017, dresse le
bilan de la Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE) engagée
en 2014.
Il
montre que si la France joue un rôle de moteur en Europe sur la réglementation
de ces substances, les actions mises en place restent encore insuffisantes.
Dans
le domaine de la connaissance, il estime que les efforts de recherche sur les
substances suspectées d’interférer sur le système hormonal des êtres vivants restent
insuffisants. Le manque de financement en serait l’une des principales raisons.
De plus, la surveillance de la présence des perturbateurs endocriniens, présents
dans tous les compartiments de l’environnement, est hétérogène : « la
surveillance des sols est quasi inexistante, la surveillance de l’air est très
en retard comparée à la surveillance de l’eau, cadrée par une directive
européenne et financée par des fonds dédiés ».
C’est
que les recherches menées ces dernières années révèlent un sujet éminemment
complexe. La diversité des substances suspectées, les multiples voies de
contamination, leur omniprésence dans l’environnement, la remise en cause du
principe de base de la toxicologie selon lequel « la dose fait le poison », cumulée
avec les effets « cocktail » mal connus, remettent en question les
raisonnements classiques et rendent difficile, voire inopérante, la définition
de seuils de nocivité.
Par
ailleurs, le lien de causalité entre l’action d’un perturbateur endocrinien et
ses éventuels effets néfastes qui peuvent se révéler sur le long terme, jusqu’à
être transgénérationnels, restent souvent difficiles à établir.
« L’ensemble
de ces facteurs concourt à l’absence de définition juridique et aux difficultés
pour les instances de l’Union européenne de statuer sur ce point afin d’engager
les mesures adéquates de protection de la population et de l’environnement »
indique le rapport.
Car
si la stratégie nationale de la France pour limiter l’exposition aux
perturbateurs endocriniens est jugée limitée mais positive, l’action de
l’Europe, elle, est sévèrement critiquée. Les rapporteurs pointent le
« manque de cohérence » de l’Union et vont même jusqu’à s’interroger
sur la « crédibilité » de la Commission européenne sur le sujet…
De
fait, l’Union a beaucoup tardé à établir une définition officielle des
perturbateurs endocriniens, permettant de mieux encadrer leur utilisation, à
tel point que la Cour de Justice a condamné la Commission en décembre 2015 pour
avoir manqué à ses obligations dans ce dossier.
Le
13 décembre dernier, les Etats membres ont cependant adopté un texte
établissant les critères d’identification des perturbateurs endocriniens. Mais ce
texte doit encore être soumis à l’approbation du Conseil et du Parlement
européens. La Commission espère, dans le meilleur des cas, une application des
critères courant 2018. C’est bien long pour un dossier qui n’est pas seulement
crucial au plan sanitaire ou environnemental mais aussi politique. Car comme
l’indique le rapport, « Le différentiel entre la vitesse des avancées des
connaissances scientifiques et la capacité d’adaptation des règlements sur ce
type de sujets émergents est de nature à nuire à la crédibilité de l’action
communautaire (…). Or, les perturbateurs endocriniens s’inscrivent
parmi les situations à risque caractérisées par un manque de confiance dans
l’action publique ».
Vincent Johanet