Fruits d’une politique interministérielle d’aménagement du territoire et de soutien à l’innovation, à la recherche et au développement, les pôles de compétitivité sont à l’heure du bilan. Il en existe trois dans le secteur de l’eau, chargés de mobiliser les facteurs clés de la compétitivité à commencer par l’innovation, en développant la croissance et l’emploi sur les marchés porteurs ainsi qu’à l’international. Premier bilan avec Sylvain Boucher, Président du pôle de compétitivité EAU de Montpellier.
Revue L’Eau, L’Industrie, les Nuisances : Comment se porte le Pôle
de l’eau de Montpellier ?
Sylvain Boucher : Le pôle EAU
de Montpellier a été créé il y a 6 ans. Beaucoup a été fait même s’il reste
beaucoup à faire. La première étape a consisté à mettre en relation les PME
avec les réseaux académiques pour qu’ils apprennent à se connaitre et dépassent
la simple relation client-fournisseur pour entrer dans une relation de
partenaires. Il a fallu inciter différents acteurs à se sentir collectivement
porteurs d’une filière économique en développant l’innovation collaborative qui
consiste à partir d’une idée pour bâtir et dérouler un projet sous l’égide d’un
pilote. Puis il a fallu mettre en place un accompagnement des entreprises à
l’international pour identifier les marchés et structurer les entreprises pour
qu’elles puissent y répondre.
Depuis sa création, le Pôle EAU de Montpellier a permis
de faire financer 36 projets ce qui correspond à 85 millions d’€ de
financements aux 2/3 privés. Il fédère aujourd’hui 150 acteurs qu’il accompagne
dans leur développement à l’export via des outils comme le réseau « France Water Team » ou des outils
de communication comme le salon HydroGaïa.
Revue E.I.N. : Justement, quel bilan tirez-vous de la dernière
édition du salon HydroGaïa ?
S.B. : Cette 6ème
édition confirme le salon comme événement majeur du secteur sur le plan national
et a connu une nette croissance des visiteurs internationaux. Le salon a
également permis de concrétiser plusieurs partenariats. Le Pôle de
compétitivité EAU et Swelia, membres fondateurs de "France Water Team", ont par exemple signé un protocole
d'accord de partenariat avec le cluster British
Water en présence d'Invest Sud de France et du UK Trade Investment,
développant ainsi les coopérations franco-britanniques. De même, une déclaration
d'intention a été signée entre le Pôle de compétitivité EAU et le Catalan Water Partnership, matérialisant
le rapprochement des deux clusters avant un partenariat plus formalisé dans le
cadre de l'euro-Région Pyrénées-Méditerranée.
Notre ambition ne s’arrête pas là, ce salon possède
un vrai potentiel de croissance.
Revue E.I.N. : A quoi pensez-vous ?
S.B. : Notre objectif est
d’accentuer l’envergure nationale du salon et de renforcer l’ouverture
internationale. Nous avons la chance, dans le domaine de l’eau, d’avoir
trois pôles de compétitivité. Le pôle EAU de Montpellier, bien armé en termes
de poids académique et de nombre d’entreprises, a été désigné, dès sa création,
comme chef de file. Il a été chargé, notamment, d’assurer la coordination des
trois pôles en vue de construire une filière française de l’eau à partir de ces
trois structures. Les démarches de mise en commun et le collectif ont beaucoup
progressé, à telle enseigne que les pôles DREAM et HYDREOS vont rejoindre le
réseau « France Water Team »
que nous avons créé il y a deux ans pour structurer la filière française de
l’eau.
Ce rôle d’animateur qui est le nôtre est en train
de devenir un rôle de fédérateur et, pourquoi pas, demain de construction
d’identité unique, ce qui permettra de mieux travailler à l’échelle du
territoire national.
Revue E.I.N. : Vous voulez dire un pôle
de compétitivité unique ?
S.B. : Oui ou, à l’image du pôle
MER, un pôle national avec trois antennes territoriales. Vue la réflexion
actuellement menée par le ministère de l’économie et la DGE au sujet des pôles,
on comprend bien que l’une des solutions permettant de rester pôle national labellisé
est de structurer une filière nationale : l’intégration des 3 pôles nous
fait figurer en budget dans le top 10 des pôles français avec plus de 250
projets labellisés dont la moitié a pu être co-financéé par les Pouvoirs Publics.
C’est ce que nous nous efforçons de faire en collaboration avec les deux autres
pôles. Le salon HydroGaïa en est l’un des outils importants.
Revue E.I.N. : Dans ce contexte, quelle
est la position de la Région Occitanie ?
S.B. : L’eau fait partie des axes
stratégiques de la nouvelle Région Occitanie. Mais la Région doit mener une
réflexion sur les stratégies qui permettraient de se positionner plus fortement
sur ce sujet. Deux orientations sont possibles. Soit le salon reste régional et
elle aide ces entreprises à travailler sur la région. Soit, elle épouse la
politique que nous lui proposons qui contribue à vouloir faire de l’Occitanie l’une
des régions qui comptent dans le monde sur le thème de l’eau. Cette dernière
ambition rejoint d’ailleurs l’un des thèmes traités à HydroGaia cette année qui
insistait sur le potentiel permettant de faire de Montpellier l’une des
capitales mondiales de l’eau.
Revue E.I.N. : Quel est l’intérêt de
s’inscrire dans la logique d’une filière nationale ?
S.B. : Les avantages sont
nombreux, aussi bien au plan international qu’au plan national. Le
pôle EAU, c’est aujourd’hui 150 adhérents. Si l’on considère « France Water Team » dans sa
conception actuelle, c’est-à-dire le pôle et les 4 clusters méridionaux associés,
c’est 300 entreprises… Et si l’on ajoute les pôles DREAM et HYDREOS, c’est plus
de 450 entreprises ! Au niveau international, quand vous faites face à des
partenaires potentiels, même constitués en clusters, vous êtes crédibles...
Au plan national, les avantages sont tout aussi
nombreux. On peut par exemple citer le projet de Pont-à-Mousson qui a souhaité
travailler sur un nouveau type de revêtement de canalisation. Pour mener à bien
son projet, l’entreprise a dû mobiliser sa branche canalisation située à Nancy,
une PME d’ingénierie chimique situé à Fos, et un laboratoire d’analyse localisé
à Toulouse. Ce groupement à trois appartenait à trois régions différentes… Il
n’a pas été possible de mettre d’accord les trois régions pour construire un co-financement,
chacune exigeant l’appartenance de deux acteurs à sa Région... Le projet n’a pu
aboutir que grâce à l’intervention de l’Etat, dont vous conviendrez que cela
n’est pas tout à fait son rôle.
Revue E.I.N. : Où se situent
aujourd’hui les opportunités en termes de développement ?
S.B. : La France a cet avantage
que ses entreprises travaillent sur le sujet depuis plus de 150 ans et ont
construit une école française de l’eau. Pour que l’économie de l’eau continue à
prospérer en France, hors quelques niches spécifiques permettant de répondre à
des évolutions réglementaires ponctuelles ou développer des économies d’échelle
permettant d’améliorer des dispositifs existants, il faudrait l’apparition de
nouvelles normes qui permettraient de franchir une nouvelle étape, notamment
dans le domaine de la réutilisation des eaux usées retraitées. Mais ces
évolutions sont peu probables actuellement. Les opportunités de développement se
situent donc à l’international. Les grands groupes ont un rôle à jouer et le
jouent. On peut par exemple citer Mixel qui a accompagné Veolia dans sa
croissance en Chine et qui dispose aujourd’hui de plusieurs filiales en Asie et
en Amérique du sud. Ce modèle peut se déployer mais il suppose de travailler
sur la structure des entreprises françaises. Car dans le domaine de l’eau, vous
avez quelques grands groupes, quelques ETI, mais une kyrielle de PME voire de
TPE qui restent parfois dans des situations de confort sur le marché
domestique, sans avoir conscience qu’à l’international, sur les mêmes marchés,
des concurrents se placent dans des logiques de croissance, avec la volonté de
se déployer. Notre rôle est de les aider à grandir pour qu’elles aient la
capacité de se défendre puis de se développer.
Revue E.I.N. : Vous êtes amenés à accompagner
de nombreux programmes de Recherche et Développement, quels sont les grands
enjeux du moment en termes de R&D ?
S.B. : Nous
avons effectivement labellisé de nombreux projets de R&D collaboratifs qui concernent
des enjeux diversifiés. Certains reposent sur des enjeux anciens mais qui
gagnent en importance comme par exemple les techniques membranaires avec le
développement de membranes tridimensionnelles. D’autres, au contraire,
découlent de développements technologiques plus récents comme par exemple le
projet Matrics, un système avancé d’information et de pilotage pour la gestion
des réseaux, porté par Veolia et IBM. La métrologie, avec notamment le
développement d’équipements compacts à faible coût et autonomes en énergie, est
également au centre de nombreux projets. On voit également émerger de nouveaux
outils permettant de participer à des arbitrages sur la gestion des masses
d’eau à l’image du projet Sirhyus qui vise à développer des services opérationnels
dédiés à la gestion des ressources par la valorisation des données
satellitaires. La réutilisation des eaux usées traitées, tout comme le
développement de process industriels économes en eau et capables de fonctionner
en circuit fermé, font aussi partie des sujets porteurs.
Propos
recueillis par Vincent Johanet