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Projet de dérivation interbassins : 30 millions de m³ transférés pour sécuriser la ressource en Charente

27 mars 2025 Paru dans le N°481 ( mots)
© Wikipedia

Face à l’intensification des épisodes de sécheresse et à la dégradation de la qualité des nappes, un projet inédit de transfert d’eau entre les bassins de la Dordogne, de la Vienne et de la Charente est à l’étude. Porté par plusieurs collectivités de Nouvelle-Aquitaine, ce dispositif, d’une ampleur sans précédent en France depuis les années 1960, pourrait mobiliser jusqu’à 30 millions de m³ d’eau.

Un projet de dérivation hydraulique entre trois bassins versants – Dordogne, Vienne et Charente – est actuellement à l’étude pour réalimenter les lacs de Haute-Charente et sécuriser l’approvisionnement en eau potable de plusieurs territoires du Sud-Ouest. L’initiative, révélée par La Tribune le 26 mars, marque un tournant dans la gestion interrégionale de la ressource. Financée par l’Agence de l’eau Adour-Garonne, l’étude d’opportunité vise à détourner 30 millions de mètres cubes d’eau par an, soit l’équivalent de la consommation annuelle en eau potable de 550 000 habitants.

À l’origine de cette mobilisation, un constat alarmant : la Charente est désormais en situation de tension chronique. Comme l’indique Nicolas Ilbert, directeur territorial de l’Agence de l’eau Adour-Garonne, « dans le Sud-Ouest, c'est le fleuve Charente qui cumule le plus de difficultés sur la ressource en eau ». Ce territoire, sans alimentation nivale et fortement modifié par les aménagements hydrauliques passés, voit ses capacités de rétention et d’infiltration fortement amoindries. L’agglomération de La Rochelle, confrontée à une contamination historique par un pesticide interdit depuis les années 1970, a dû se résoudre à capter et traiter l’eau de la Charente à plus de 60 kilomètres de distance.

Le projet interbassins, porté notamment par le département de la Corrèze, prévoit de capter des volumes excédentaires sur les bassins amont de la Dordogne et de la Vienne pour les transférer, via un système d’infrastructures hydrauliques à définir, vers les lacs de Haute-Charente. Ces lacs serviront de zones tampons avant redistribution vers les usages aval, en particulier la consommation humaine, l’irrigation agricole et les besoins écologiques, notamment à l’embouchure du fleuve où la conchyliculture dépend d’un apport suffisant en eau douce.

Trois scénarios techniques sont en cours d’analyse. Les deux premiers impliquent des prélèvements sur le bassin de la Dordogne, soit depuis la retenue de Bort-les-Orgues, soit depuis un ouvrage à construire sur le Chavanon. Dans les deux cas, l’eau serait transférée jusqu’à la Vienne, puis pompée à Exideuil-sur-Vienne pour rejoindre les lacs charentais via des canalisations sous pression d’environ 80 kilomètres. Un troisième scénario, mobilisant uniquement la Vienne via la construction d’une retenue sur le Nauzon, est également envisagé pour limiter les conflits d’usage et les besoins en compensation vis-à-vis d’EDF, exploitant d’installations hydroélectriques sur la Dordogne.

Les données disponibles indiquent que les besoins annuels sont de l’ordre de 28 millions de m³ pour l’alimentation en eau potable en Charente-Maritime et de 11 millions pour l’irrigation. À cela s’ajoutent les besoins amont dans le département de la Charente, notamment autour d’Angoulême. Dans un contexte de réchauffement climatique, les modélisations réalisées par les bureaux d’ingénierie, dont Rives & Eaux du Sud-Ouest en charge de l’étude actuelle, estiment que le déficit pourrait atteindre 40 à 50 millions de m³ d’ici 25 ans si aucune mesure structurante n’est engagée.

Parmi les solutions étudiées en parallèle du transfert interbassins figurent les actions dites « classiques » : agroécologie, économies d’eau, restauration des zones humides, substitution de prélèvements. Si elles sont prioritaires, leur mise en œuvre seule ne suffira pas à compenser les pertes attendues. Le projet de transfert apparaît donc comme un levier complémentaire majeur, bien que complexe à mettre en œuvre tant du point de vue hydraulique qu’en termes d’équilibre entre bassins.

À ce jour, aucun tracé précis ni infrastructure n’a été arrêté, mais les volumes évoqués et l’interconnexion de trois grands bassins positionnent ce projet comme l’un des plus ambitieux depuis le canal de Provence et le canal BRL réalisés dans les années 1960. Il nécessitera des installations de pompage de forte puissance, une gestion en temps réel des débits et une coordination étroite avec les exploitants existants, notamment en période de tension estivale.

Par ailleurs, la réglementation européenne sur la continuité écologique interdit toute création de nouvel ouvrage sur les cours d’eau de liste 1, dont la Charente fait partie, ce qui rend la stratégie de stockage déporté indispensable. Le projet soulève également des enjeux d’autorisation administrative sur les espèces protégées, déjà identifiés dans d'autres projets de stockage comme celui des mégabassines dans les Deux-Sèvres.

Sans être encore acté, ce projet illustre l’évolution de la planification hydrologique vers des approches plus systémiques, à l’échelle des bassins, dans un contexte de raréfaction croissante de la ressource.