Ou en est la méthanisation aujourd'hui en France ? Si la technologie parait s'être largement banalisée pour le traitement des effluents, il n'en va pas encore de même pour ce qui est des déchets solides. Revue de détail avec René Moletta, l'un des meilleurs spécialistes mondiaux du domaine, qui vient justement de créer une société de d'expertise et de conseil spécialisée dans ce secteur.
René Moletta : Non certainement pas, je n'arrête pas totalement mes activités dans ce domaine. Je vais me focaliser sur des sujets qui me tiennent particulièrement à coeur avec la liberté d'entreprendre des choses que je n'avais pas choisies d'aborder auparavant. Je passe la barrière de la recherche pour aller vers l'application industrielle. C'est une continuité dans ma démarche. Je créé une société qui travaillera dans le domaine de la méthanisation bien sûr.
E.I.N. : Quels seront les services et prestations proposées par cette nouvelle structure que vous avez créé ? A qui s'adresseront-ils ?René Moletta : Ce seront avant tout des prestations intellectuelles qui iront de la consultance, l'expertise, de la formation pour les décideurs, les techniciens, enfin ceux qui en auront besoin. A côté de cela, je vais amplifier mes activités d'information pour le public. C'est fondamental d'expliquer à nos concitoyens ce que c'est que la méthanisation et ce que l'on peut réellement en faire. Elle a une place importante à prendre dans le concept de développement durable. A côté de cela, je vais aussi travailler à l'application de deux projets qui me tiennent particulièrement à coeur, c'est la conduite optimale des digesteurs et la mise en place de petites unités de méthanisation en intégrant l'ensemble de la filière production et exploitation du biogaz. Quand je dis « petites » c'est de l'ordre de quelques dizaines à quelques centaines de mètre cube de biogaz par jour !
E.I.N : L'utilisation de la digestion anaérobie, comme outil de dépollution, présente de nombreux intérêts. Pourtant, son développement n?a pas toujours été à la hauteur de ce que l'on pouvait espérer. Quelles en sont, selon vous, les raisons ?René Moletta : Je crois que la digestion anaérobie s'est bien développée dans notre pays pour le traitement des effluents industriels et principalement dans les industries agroalimentaires. On traite sa pollution, on produit beaucoup d'énergie et très peu de boues. De plus on ne consomme pas l'énergie nécessaire pour transférer l'oxygène ! Que des avantages ! Donc c'est principalement comme outils de dépollution qu'elle a été utilisée. En France, c'est dans le traitement des matières solides que cela n'a pas suivi. Dans ce domaine, c'est principalement l'aspect économique, avec le prix de rachat de l'électricité dite « verte » qui est déterminant. Nous n'avons pas eu de politique ambitieuse dans ce domaine car probablement, nous avons l'énergie nucléaire ! Si on compare le cas de l'Allemagne avec ses milliers de digesteurs à la ferme et la France avec moins d'une dizaine, on voit l'impact d'une politique sur le développement de la filière. Tout a suivi, plus de financement pour la recherche, et les laboratoires publics français fermaient les uns après les autres sauf quelques-uns uns comme celui de l'INRA de Narbonne qui a travaillé en étroite collaboration avec les industriels. L?autre raison est le fait que les décideurs, les cabinets d'ingénieries n?étaient pas formés et ne connaissaient pas vraiment la digestion anaérobie, donc ils ne la proposaient pas à leur clientèle.
E.I.N : Quels sont, en termes techniques, financiers ou même sociétaux, les verrous qui doivent sauter pour que la technologie prenne véritablement son envol ?René Moletta : Pour les unités de méthanisation importantes ou moyennes, il n'y a pas, a proprement parler, de verrous technologiques. Cela marche ailleurs alors pourquoi pas chez nous ? Si problèmes il y a parfois, c'est rarement au niveau de la méthanisation mais plutôt des périphériques (prétraitement ou post traitement) Je crois que la principale des choses c'est de former les gens afin qu'ils proposent la digestion anaérobie à bon escient. Ce n'est pas la réponse à tout, devant un problème environnemental il y a toujours plusieurs solutions. La digestion anaérobie peut en être une (et c'est souvent le cas), mais elle doit être adaptée au problème posé. Les verrous économiques sont en train de sauter avec le prix de rachat préférentiel de « l'énergie verte » et on voit actuellement fleurir de nombreux projets en France ! Je crois aussi qu'il faut mettre en place des systèmes simples de conduite des procédés. La gestion d'un digesteur, comme toute mise en oeuvre microbienne à l'échelle industrielle, nécessite une acquisition de connaissances sur son procédé. Ces systèmes devront aider à la prise en main de l'unité de traitement et je crois que c'est actuellement techniquement possible avec des capteurs fiables !
E.I.N. : Ou en est vraiment aujourd'hui la méthanisation dans un pays comme la France ? Quelles sont ses perspectives de développement et quelles avancées en termes techniques, est-il raisonnable d'attendre dans les prochaines années ?René Moletta : Je pense que pour le traitement des effluents industriels, on a beaucoup avancé mais maintenant il faut s'attaquer aux petites sources de pollution et c'est déjà plus difficile, pas techniquement mais économiquement, les deux étant intimement liés. Faire simple c'est compliqué ! Il faut voir jusqu'ou la technique peut permettre d'aller dans cette voie. Il faut s'orienter vers la conception de digesteurs qui traitent intelligemment les liquides et les solides en même temps. C'est une condition fondamentale si on veut aller vers l'exploitation de petits gisements de matière organique. Pour le traitement des déchets, le relèvement du prix de « l'électricité verte », donne de sérieux espoirs de développement non seulement pour les déchets mais surtout dans le domaine agricole. En France, nous avons tout à faire dans ce domaine si on veut se comparer à nos voisins. Les agriculteurs sont en train de se transformer en producteur d'énergie. La France prend une direction un peu différente de celle de l'Allemagne car elle ne souhaite pas promouvoir la production de cultures énergétiques pour les mettre dans le méthaniseur. Quand on sait qu'en Allemagne 46 % de la matière sèche qui rentre dans un digesteur est une culture énergétique, avec une politique plus avantageuse de rachat de l'énergie que chez nous, on peut se demander comment nous allons faire pour rentabiliser ce type de production. Mais il faudra trouver la solution car la philosophie que nous avons me semble juste. Il ne faut pas transposer les problèmes ailleurs. La méthanisation devient un point de départ de nombreuses voies énergétiques nouvelles. On sait déjà utiliser le méthane du biogaz en carburant et faire tourner des moteurs, faire de la chaleur. De nouvelles filières d'exploitation du biogaz ont déjà vu le jour ; elles en sont au stade laboratoire ou pilote. Deux exemples, la méthanisation couplée aux boues activées peut former une pile et générer de l'électricité, l'autre, le méthane peut être transformé par des piles à combustibles. Je crois que les avancées techniques seront dues principalement à la mise en place de filières qui exploitent ensemble et aux mieux, la méthanisation avec les procédés physico-chimiques. La technologie n'est pas l'apanage d'un pays. Je crois que tous les pays sont concernés pour avancer dans ce domaine et la coopération au niveau international est un gage de succès comme cela a été fait pour la méthanisation jusqu'à présent.
E.I.N. : Pour vous qui travaillez dans ce domaine depuis plus de trente ans, quelle place pensez-vous que la méthanisation occupera, en France et l'étranger à un horizon de 20 à 25 ans ?René Moletta : Je pense que la méthanisation en France a un bel avenir devant elle, à condition que nous formions les gens. Il ne faudrait pas qu'elle ait toujours l'avenir devant elle et les agences, notamment l'ADEME jouent un rôle majeur pour animer ce développement. La méthanisation va continuer à se développer pour le traitement des effluents, en s'implantant sur des gisements de matière organique de plus en plus faibles. Elle va occuper des niches et servir de point de départ à la production d'énergies renouvelables par différentes technologies. Dans dix ou quinze ans, elle aura rassuré les gens qui en doutent encore, et on verra apparaître les filières nouvelles qui exploiteront le biogaz. L'atout de la méthanisation c'est quand même de pouvoir facilement transformer la matière organique variée en un produit de composition stable. Ce qui est sûr, c'est qu'elle va jouer un rôle important sur la mise en place de notre développement durable. Traiter la pollution en ne consommant pas d'énergie mais en la produisant, tout en gardant les éléments fertilisants de la matière et en produisant peu de boues, je n?ai rien trouvé de plus intelligent à faire en trente ans !
E.I.N. : Un séminaire international intitulé « la Digestion Anaérobie, une vieille histoire, pour aujourd'hui et pour demain » sera organisé en votre honneur les 10 et 11 décembre prochain à Narbonne. Qu'attendez-vous sur le fond de cette rencontre qui semble réunir beaucoup de spécialistes mondiaux de la question ?René Moletta : Je ne prends pas cela pour « un honneur » que je ne mérite d'ailleurs pas. J'ai fait mon travail comme tout le monde, mais j'ai eu la chance de le faire avec passion ! J'ai eu la chance de rencontrer des gens qui m'ont beaucoup appris, alors j'ai appris, et des gens qui ont aussi voulu construire, alors on a construit. Ce colloque international réunis tous mes amis des quatre coins du monde. C'est vrai ce sont tous des spécialistes mondiaux dans leurs sujets qui sont tous dans le domaine de l'anaérobie. C'est « un plateau » (si je puis m'exprimer ainsi) rare qui est proposé. Cette initiative, je la dois à mes collègues narbonnais, et c'est vraiment une belle image de ma vie qu'ils me renvoient. Ce sera un moment amical intense et j'ai encore du mal à réaliser. Que de chemin parcouru depuis le premier congrès de Cardiff qui s'appelait : « La digestion anaérobie une technologie en émergence » !
E.I.N. : Vous venez par ailleurs de publier aux Editions Tec et Doc un nouvel ouvrage, le 3ème je crois, intitulé « Traitement des déchets » en fédérant les compétences de nombreux spécialistes reconnus. Quel est l'objectif de cet ouvrage ?René Moletta : Cet ouvrage, comme les deux autres, a pour but d'apporter des informations aux étudiants, aux décideurs, aux ingénieurs, aux curieux, dans des domaines très variés du monde des déchets Beaucoup d'innovations sont des transferts de technologie due à l'imagination. En sortant de son monde on peut voir d'autres choses et pourquoi ne pas les transposer pour résoudre un problème particulier. Cela ne sert à rien de savoir si on ne le partage pas ! Il fait point sur les techniques, l'économie, mais aussi parle de la relation de l'homme avec les déchets. Je pense que la technologie devrait toujours avoir l'homme en arrière pensée.
E.I.N. : Revenons-en à la digestion anaérobie et aux trente années de recherches et de développement que vous y avez consacré. Avez-vous des regrets par rapport à des travaux que vous avez menés ou au contraire pas pu mener ?René Moletta : Quand on regrette, c'est bien souvent que l'on a fait une croix sur quelque chose qui nous semble important. Donc, je ne sais pas ce que c'est que des regrets. Par contre, je sais ce que je voudrais encore faire. Ce sera : La commande automatique des digesteurs et la mise en place de petites unités de méthanisation, pour les aspects techniques. Former des gens, informer le public, partager mon expertise pour l'aspect sociétal ? Développer la méthanisation dans le contexte montagnard' pour me faire plaisir.
Propos recueillis par Vincent Johanet