Le grand rendez-vous des pays présents à la COP 26 à Glasgow était l’occasion pour le Partenariat Français pour l’Eau de poursuivre un plaidoyer sur l'eau, marqueur des changements climatiques, et de montrer que les acteurs de l'eau offrent de nombreuses solutions possibles aussi bien pour atténuer les rejets de GES que pour s'adapter aux conséquences des réchauffements. Las, le dossier eau reste absent des textes de négociations alors même que des inquiétudes plus fortes à chaque COP se manifestent sur les risques de catastrophes, notamment d'aggravation des sécheresses ou des inondations.
EIN : En tant que président du groupe de travail Eau et changements globaux et climatiques du PFE, vous avez assisté à la COP 26 qui se tenait à Glasgow en novembre dernier. Qu'attendiez-vous de ce rendez-vous pour le climat ?
Jean-Luc Redaud : Le Partenariat Français pour l’Eau est présent pour rappeler que l'eau est le principal marqueur des changements climatiques. Plate-forme multi-acteurs de l'eau, le PFE est présent avec ses partenaires d’autres pays, dans de nombreuses enceintes et événements internationaux comme les Forums Mondiaux de l’Eau, les débats sur les ODD ou la biodiversité, etc.
Il y avait une vingtaine de membres du PFE présents à Glasgow. Et un sentiment d’inquiétude général à l’issue du rapport du rapport du Groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ce rapport nous rappelle que nous avons pris du retard sur les engagements qui auraient dû être pris pour rester dans le cadre d'un réchauffement inférieur à 2°C tel que décidé dans l'Accord de Paris de 2015. Plus inquiétant pour notre secteur est la manifestation d’événements jugés irréversibles comme la fonte des glaces arctiques, la montée du niveau des mers et la multiplication des phénomènes de pluies violentes, source d'inondations comme nous les avons connues récemment en France et en Allemagne.
Alors que l’Accord de Paris, qui sert de base à l'action diplomatique en matière de préservation du climat, avait établi le principe d’un dispositif de suivi des engagements tous les cinq ans et d’un examen des progrès accomplis, cinq COP plus tard, le constat est clair : les objectifs affichés par les Etats pour limiter la hausse des GES ne permettront pas de limiter le hause de température à 1,5°C par rapport à la période préindustrielle d’ici la fin du siècle.
En soulevant l’espoir et en n’obligeant pas les pays membres à tenir les trajectoires annoncées, ces conférences favorisent l’exaspération d’un nombre croissant de citoyens et une radicalisation de la contestation.
Le Partenariat Français pour l’Eau attendait donc le relèvement des ambitions de réduction des gaz à effet de serre (GES) des 195 États signataires, un bilan d'application de l'accord de la COP21 de 2015 assorti de la définition d'un dispositif de suivi des engagements pris à Paris, ainsi que le renforcement d'engagements financiers en faveur des régions qui seront contraintes à des adaptations à la fois géographiquement isolées et politiquement marginalisées.
EIN : Quel rôle le Partenariat Français pour l’Eau s’était-il fixé à Glasgow ?
JL.R : Les premiers éléments du 6ème rapport du GIEC, paru en août 2021, confirment que nous sommes sur une trajectoire nous conduisant vers 2,7°C. Lorsque l’on sait que chaque degré supplémentaire d’accroissement des températures se traduit par une augmentation des transferts d'énergie et vapeurs d'eau considérables des océans et terres vers l'atmosphère, ce constat oblige à penser que les problèmes liés à l'eau doivent figurer en tête des objectifs de l’accord de Paris et de l’Agenda 2030.
Dans ce contexte, la mission du PFE est de convaincre que les objectifs
collectifs en faveur du climat dépendent avant tout de la capacité à intégrer l'eau
comme principal marqueur des changements climatiques, de montrer qu'il existe
de nombreuses solutions (le
dialogue, les méthodes de gouvernance, les solutions mixtes), qui pourraient être mises en œuvre et de mobiliser
sur les comportements vertueux des usagers.
Dans cette perspective, nous avons organisé une dizaine de side-events
dans
divers espaces (pavillons officiels de la France, de la Francophonie, etc.) soit seul, soit avec nos partenaires internationaux
(INSEE, GWP, UN Water, OIF…), sur le partage de bonnes pratiques.
Pour la première fois, la COP comprenait un Pavillon Eau, toujours avec une
programmation facilitant la compréhension et la vulgarisation des ODD à tous
les niveaux : citoyens, administrations, bailleurs de fonds, collectivités
territoriales, opérateurs, entreprises, ONGs, grand public, presse … Toutes ces
manifestations, qui ont été très suivies et eu beaucoup d’échos, soulignent à quel point devant
une telle situation, l’eau est centrale pour les populations. Le
défi s’il est technique, n’en reste pas moins humain, comme l'ont fait observer
plusieurs manifestations montrant les liens entre environnement, pauvreté et
genre.
EIN : Concrètement quelles solutions
avancez-vous dans votre plaidoyer pour Eau & Climat ?
Ainsi, nous avons développé deux carnets
de solutions" climato-sympathiques" qui reposent sur :
- La promotion des
solutions fondées sur la nature (SfN), qui permettraient souvent de trouver des
solutions moins agressives pour l’environnement et de réduire
l'empreinte carbone des services d'eau potable et d'assainissement. Cela passe
par des économies d'eau, la réutilisation des eaux usées traitées,
l’autoproduction d’énergie pour n’en citer que quelques-unes.
- L’attention sur les effets induits de nouvelles
sources énergétiques, sur les ressources en eau que sont les BECCS, préconisées
dans le dernier rapport du GIEC,
- Le besoin d'améliorer nos connaissances pour mieux agir collectivement. Cela concerne par exemple l’hydrométrie -qui permet d’évaluer les ressources en eau, de suivre les mesures et de produire des perspectives saisonnières. On constate dans beaucoup de pays une dégradation des donnés de terrain que les données satellites peuvent compenser partiellement ; sur la qualité des eaux, les connaissances restent aussi très faibles dans beaucoup de pays.
- La GIRE, chère à notre expérience française, qui est une co-construction des projets à l’échelle des bassins-versants, afin d’engager les territoires et leurs populations vers des mesures d’adaptation, voire d’atténuation de leurs activités.
EIN : Quelle lecture faites-vous des conclusions de cette COP ? Quelles répercussions sur le domaine de l’eau attendez-vous de la COP 27 qui se tiendra en Égypte l’année prochaine, et de la conférence des Nations Unies sur l’eau, qui aura lieu à New York en 2023 ?
JL.R : L'UE, minée par ses divisions, n'a pas été au rendez-vous de ce sommet mondial pour le climat, tel que beaucoup l'espéraient. L'absence des présidents de la Russie et de la Chine a été très remarquée. Cette COP a été marquée par de nombreuses promesses positives de coalition d’Etats : arrêts des programmes de déforestation, programme de réductions des rejets de méthane, affichage de calendrier de sortie du charbon et même des énergies fossiles carbonées.
Or, comme l'a souligné le secrétaire général des Nations-Unies, António Guterres, notre capacité à rendre compte d'un suivi des engagements est fondamental si l’on ne veut pas que le scepticisme rampant à Glasgow ne gagne. De ce point de vue, l'écart entre la dégradation de la situation climatique rapportée par les experts scientifiques du GIEC, les engagements répétés des chefs d'Etats depuis la signature de la Convention climat en 1992 et le constat des promesses non tenues est inquiétant.
Notre domaine de l'eau, et ses sujets souvent évoqués comme préoccupation sur le Pavillon eau, via des activités humaines menacées ou des contraintes écologiques, reste un dossier absent des textes de négociations.
Aussi trois points, pour le Partenariat Français
pour l’Eau paraissent importants d’ici à 2023, parmi lesquels, on retrouve :
- L’urgence de relever les ambitions climatiques pour rester sous la limite d’un réchauffement moyen de 2°C,
- L’obtention d'engagements financiers renforcés destinés au dossier de l'adaptation, qui vise directement le domaine de l’eau, en ciblant les pays les moins avancés et les plus menacés,
- La mise en place d’une vraie gouvernance de l’eau au plan mondial.
A la lumière de l’impact du changement climatique sur le secteur de l’eau, les interdépendances entre l’accès à l’eau potable, l’agriculture et l’alimentation, l’assainissement, le monde rural et le développement des villes, l’industrie et la biodiversité doivent être indubitablement solidement étudiées.
La production d’un rapport spécifique du GIEC « Eau et climat » constituerait sûrement un atout pour mieux juger des priorités à mettre en œuvre et pour répondre à l’Agenda 2030 fixé par l’Organisation des Nations unies (ONU), dont les états membres doivent impérativement se munir.
La conférence des Nations Unies sur l’eau, qui aura lieu à New York en 2023, constitue un objectif majeur : plusieurs événements vont nous y préparer, dont évidemment le Forum Mondial de l'Eau programmé pour mars 2022 à Dakar, à la participation duquel le PFE compte jouer un rôle très actif.
Propos recueillis par Pascale Meeschaert