Pour atteindre l’objectif numéro six du Programme de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030, les investissements en capital dans les infrastructures d’eau et d’assainissement doivent atteindre 114 milliards de dollars, soit trois fois le niveau actuel, révèle le Rapport mondial de l’ONU sur la mise en valeur des ressources en eau. Le rapport annuel publié à l’occasion de la journée mondiale de l’eau, démontre qu’investir dans la gestion des ressources en eau et les services d'approvisionnement contribue à limiter fortement les émissions de CO2 et ainsi à réduire les risques climatiques dans le futur. Les auteurs appellent à un engagement plus concret des États pour relever ce défi.
Investir dans le traitement des eaux usées. C’est
l’un des messages primordiaux que le rapport mondial de l’ONU sur la mise en
valeur des ressources en eau, entend faire passer aux Etats et aux bailleurs de
fonds. Alors que le financement de la lutte contre le changement climatique a
augmenté ces dernières années passant de 360 milliards de dollars en 2012 à
plus de 500 milliards en 2017, seulement 11 milliards de dollars ont été
consacrés à la gestion de l’eau et des eaux usées pour l’adaptation au
changement climatique et 0.16 milliards de dollars à la gestion des eaux usées
pour l’atténuation au changement climatique en 2016, constate le rapport. « Cela
signifie concrètement que seulement 2.6 % du financement
de l’action climatique en 2016 a été perçu directement pour la gestion de l’eau, résume Richard Connor, rédacteur en
chef du rapport annuel ONU-Eau, publié le 22 mars à
l’occasion de la journée mondiale de l’eau. Alors que le traitement des eaux
usées exige une plus grande attention des sources traditionnelles de
financement et qu’il constitue un outil puissant de réduction des émissions de
gaz à effet de serre (GES) ».
Si depuis une décennie, la nécessité de lutter
contre les changements climatiques par une gestion plus rationnelle du cycle de
l'eau est bien reconnue par les Etats, le rapport des Nations Unies alerte sur
le fait qu’elle ne se traduit pas dans les faits. Les auteurs constatent une
« sur-simplification » de l’approche, qui à l’inverse doit obliger à développer
des projets précis dans les portefeuilles d’actions en faveur de la gestion des
ressources en eau et les services d'approvisionnement et une réelle synergie
entre politiques d’adaptation et d’atténuation au changement climatique.
Une telle détérioration de la situation risque
d’entraver l’Objectif numéro six du Programme de développement durable de l’ONU
à l’horizon 2030, qui vise à garantir l’accès à l’eau potable et à
l’assainissement pour tous d’ici dix ans. Alors que d’ores et déjà 2,2 milliards de personnes ne disposent pas d’un accès à
l’eau potable et que 4,2 milliards - soit plus de la moitié de la population
mondiale - sont privées de systèmes d’assainissement sûrs, le défi est
considérable.
Pour la Directrice générale de l'UNESCO, Audrey
Azoulay, « on aurait tort de ne voir la question de l’eau que sous
l’angle d’un problème ou d’une insuffisance. Une meilleure gestion de l’eau
peut appuyer les efforts visant à atténuer et à s’adapter aux effets des
changements climatiques ». Le Président d’ONU-Eau et du Fonds
international de développement agricole (FIDA), Gilbert Houngbo, estime pour sa
part que « si nous sommes vraiment déterminés à limiter l’augmentation
de la température mondiale à moins de deux degrés Celsius et à réaliser les
Objectifs de développement durable (ODD) pour 2030, nous devons agir
immédiatement. On dispose de solutions de gestion de l’eau et du climat mieux
coordonnées pour lesquelles chaque secteur de la société a son rôle à jouer. On
ne peut plus se permettre d’attendre ».
Changements climatiques : une menace sur la
disponibilité de l’eau
L'augmentation de la température de l'eau, la
diminution de l'oxygène dissous entraîneront la diminution de la capacité auto-épuratoire
des masses d'eau et affecteront ainsi la qualité de l’eau : risques accrus
de pollution de l'eau, contamination pathogène causés par les inondations ou
par des concentrations plus élevées de polluants pendant les périodes de
sécheresse. Outre l’impact sur la production alimentaire, les effets sur la
santé, aux pertes économiques et aux déplacements de population - risquent, par
conséquent, d’être considérables.
De nombreux écosystèmes, en particulier les forêts et les zones humides, sont également menacés, réduisant la biodiversité. L'approvisionnement en eau sera affecté, non seulement pour l'agriculture - qui absorbe 69% des prélèvements d’eau douce –, ainsi que pour l’industrie et la production d’énergie.
Une grande partie des effets des changements
climatiques sur la ressource en eau se manifestera dans les zones tropicales,
où se trouve la plupart des pays en développement, avec des conséquences
potentiellement apocalyptiques pour les petits États insulaires dont certains
seront probablement rayés de la carte. Les régions montagneuses et
septentrionales sont aussi particulièrement vulnérables aux changements
climatiques, alors que les glaciers et les neiges éternelles fondent presque
partout dans le monde. Les auteurs reconnaissent toutefois qu’un certain nombre
d’incertitudes demeurent, particulièrement à l’échelon local et s’agissant de
la variabilité de l’évolution des précipitations selon les saisons.
Face aux menaces, le rapport met en avant les deux
stratégies complémentaires à mettre en œuvre, l’adaptation et
l’atténuation :
- L'adaptation englobe
une combinaison d'options naturelles, techniques et technologiques, ainsi
que des mesures sociales et institutionnelles pour atténuer les dommages
et exploiter les quelques conséquences positives des changements
climatiques. Elle est susceptible d’avoir des retombées favorables très
rapides, principalement au niveau local.
- L'atténuation comprend les interventions humaines nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) tout en exploitant les puits de carbone afin de diminuer la quantité de CO2 et autres GES présente dans l’atmosphère. Elle concernera de vastes zones géographiques mais avec des effets dont la montée en puissance pourra s’étaler sur des décennies. Or, les possibilités d'atténuation en matière de gestion de l’eau restent notoirement méconnues.
Traiter plus et traiter mieux
Ainsi, le traitement des eaux usées contribue aux
changements climatiques dans la mesure où il est générateur de GES dans une
proportion estimée entre 3 et 7% des émissions. Ces dernières proviennent à la
fois de l’énergie nécessaire et des procédés biochimiques utilisés dans le
traitement des eaux usées. Mais, du fait de la décomposition de la matière
organique qu’elles contiennent, les eaux usées non traitées sont aussi une
importante source de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Le rapport
souligne que les eaux usées contiennent plus d’énergie que ce qui est
nécessaire à leur traitement, à condition, bien sûr, de savoir l’exploiter. Or,
on estime qu’entre 80 et 90% des eaux usées sont rejetées sans traitement à
travers le monde.
Concrètement, une gestion optimale de la ressource
en eau implique d’investir dans des techniques de traitement capables de tirer
le méthane de la matière organique et ainsi générer l’énergie nécessaire au
processus sous forme de biogaz, comme cela se fait déjà dans des pays en
pénurie d’eau comme la Jordanie, le Mexique, le Pérou ou la Thaïlande. Ces
techniques ont permis de réduire les émissions de milliers de tonnes de CO2
tout en réalisant des économies et en améliorant la qualité du service.
Le rapport cite également des actions innovantes en matière de gestion de l'eau telles que le captage du brouillard, ou, plus classiques mais tout aussi efficaces, la protection des zones humides, ou les techniques agricoles dites « de conservation ». Ces dernières permettent de préserver la structure des sols, la matière organique et l’humidité en dépit d’une moindre pluviométrie. De même, la « réutilisation » des eaux usées traitées pour l’irrigation ou l’industrie est une voie intéressante.
Intégrer systématiquement les mesures
d’adaptation et d'atténuation
Malheureusement, constatent les auteurs, si la
nécessité de lutter contre les changements climatiques par une meilleure
gestion du cycle de l'eau est bien reconnue, elle ne se traduit pas dans les
faits. « Le mot ’’eau’’ apparaît rarement dans les accords
internationaux sur le climat », relève Audrey Azoulay. Les
« contributions déterminées au niveau national », soumises par
les États dans le cadre de l'Accord de Paris, demeurent d’ordre général sans
proposer de plans spécifiques pour l'eau. Si une majorité de pays reconnaissent
l'eau dans leur « portefeuille d'actions », moins nombreux sont ceux
qui ont estimé les coûts de ces actions et moins nombreux encore ceux qui ont
mis en avant des projets précis. Quant aux synergies possibles entre les
mesures d'adaptation et d'atténuation, elles sont souvent négligées.
Il existe de plus en plus de possibilités
d'intégrer systématiquement la planification de l'adaptation et de
l'atténuation dans les investissements dans le domaine de l'eau, de manière à
rendre ces opérations plus attrayantes pour les bailleurs de fonds.
Un bon exemple à cet égard est donné par un projet
de fonds vert pour le climat au Sri Lanka qui vise à améliorer les systèmes
d'irrigation de communautés villageoises vulnérables et à encourager des
pratiques agricoles intelligentes face au climat dans trois bassins fluviaux. Il
offre à la fois des avantages d'adaptation au climat et d'atténuation, tout en
conservant l'eau et en protégeant les sources d'eau potable.
D’autres initiatives liées à l'eau et aux
changements climatiques génèrent également des avantages connexes, tels que la
création d'emplois, l'amélioration de la santé publique, la réduction de la
pauvreté, ou la promotion de l'égalité des sexes.
L'adoption de mesures intégrées d'adaptation et
d'atténuation est une proposition gagnant-gagnant, bénéfiques pour la gestion
durable des ressources en eau et pour le droit humain à l'eau potable et à
l'assainissement. Elles s'attaquent en outre directement aux causes et aux
conséquences des changements climatiques, y compris dans la réponse à apporter
face aux phénomènes météorologiques extrêmes.
Le rapport mondial sur les ressources en eau 2020
est téléchargeable à l’adresse : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000372941.locale=en