Selon une étude commandée par la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E), les régies et les délégations de service public (DSP), à conditions d'exploitation identiques, ont les mêmes bilans économiques. Mais, globalement, la DSP offrirait un bilan de performance technique supérieure.
« Plus c'est privé, plus c'est cher » : tel est l'argument fréquemment avancé par les partisans du retour de la gestion de l'eau au secteur public, qui avancent souvent le ratio de « 20 % » supérieur. La Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E) a voulu en avoir le c'ur net. Elle a commandé l'été dernier une étude comparative de la performance des deux modes de gestion de l'eau potable au Boston Consulting Group (BCG) de Paris.
Conclusion : « Oui, plus c'est privé, plus c'est cher, commente Marc Benayoun, vice-président du BCG. Mais il faut aussi préciser que plus les conditions d'exploitation sont complexes, plus les collectivités confient la gestion au privé. Les DSP traitent aujourd'hui deux fois moins d'eau brute de qualité (souterraine) que les régies. Seulement 23 % des m3 des délégations proviennent d'eaux souterraines contre 53 % pour les services de l'eau en régie. Elles gèrent aussi proportionnellement 2,5 fois plus de communes littorales que les régies (10 % contre 4 %). Dans ces communes, les installations doivent être surdimensionnées pour faire face aux surcroîts de population en période de pointe touristique. Au total, seuls 15 % des m3 d'eau des DSP font l'objet d'un traitement simple contre 37 % pour les régies. Et 50 % des m3 facturés des délégations exigent des traitements complexes, contre 38 % seulement pour les régies. »
Une différence de prix liée à la difficulté du service
Cette complexité serait ainsi le principal facteur d'écart entre la moyenne des prix facturés par les DSP et la celle des prix facturés par les régies. Plus la situation de l'eau est dégradée, plus les traitements sont complexes et lourds : « Ce n?est donc pas là une différence liée au mode de gestion, mais à la difficulté du service. »
D?ailleurs, selon l'étude, contrairement à ce qui est généralement cru, dans la majorité des cas de passage de DSP à régie, les prix augmentent ou sont maintenus. Le BCG a analysé les passages de services de gestion déléguée en régie de ces dernières années. Ce changement de mode de gestion est très rare : 1% des appels d'offres. Dans la majorité des cas, soit 19 sur 27, les tarifs de l'eau n?ont pas changé (12) ou ont augmenté (7) lors du passage en régie. Après le changement, les prix ont augmenté globalement de 3,8 % par an, « sensiblement au-dessus des évolutions nationales ». Dans 8 villes seulement, le prix de l'eau a baissé.
Les experts n?ont pas évoqué le mouvement inverse (régie vers DSP), les chiffres étant insignifiants sur cette période (5 à 6 exemples).
Par ailleurs, « pour avoir une idée plus juste des réalités des prix selon les modes de gestion, note Bernard Guirkinger, Président de la FP2E, il faut regarder le contexte. Pour une ville donnée, à conditions d'exploitation identiques, le montant de la facture est légèrement en faveur de la régie. Mais si l'on tient compte de la fiscalité, l'avantage économique revient à la DSP, qui offre un bilan positif pour le consommateur-contribuable et pour la collectivité dans son ensemble. En fait, à contexte identique, régies et délégations ont des coûts réels globalement équivalents. »
Si on se limite au seul prix apparent de la facture, la gestion déléguée semble plus chère que la régie de 5,5 % à 9,5 %. Mais, toujours à contexte d'exploitation identique, si l'on tient compte des taxes et redevances reversées par le délégataire et des charges de l'eau que les régies font parfois financer par la fiscalité et non par la facture, le coût global de la délégation se révèle inférieur à celui de la régie, de -3 % à -12 %.
Les parts fiscales sont constituées de la taxe professionnelle (environ la moitié), des impôts fonciers, de l'impôt sur les bénéfices, de la redevance pour occupation du domaine public, etc. De leur côté, les collectivités font supporter en moyenne 3,5 % du coût de l'eau par leur budget général : c'est autant de moins qui apparaît sur la facture de l'usager. De même, leur masse salariale est supérieure d'environ 2 % avec des charges sociales inférieures de 2 %, soir un différentiel de 4 % par rapport aux délégations. Enfin, leurs régimes de retraite sont subventionnés de l'ordre de quelques points.
La FP2E a annoncé son intention de travailler à l'avenir à l'objectivation de ces écarts.
Performances techniques : avantage à la délégation
Si l'on s'intéresse maintenant à la qualité de l'eau distribuée et à l'efficacité de la gestion patrimoniale, l'étude de BCG conclut à l'avantage de la délégation de service public. Par exemple, le taux de non-conformité bactériologique de l'eau, mesuré par les services des DDASS, est supérieur de 1,7 chez les régies (0,40 %) à celui noté dans les réseaux des DSP (0,24 %).
De même, l'indicateur des pertes d'eau sur le réseau est de 20 % supérieur chez les régies (22 %) à celui constaté dans les DSP (18 %). Le document du BCG note ainsi que les délégations préservent 3 000 litres d'eau de plus par kilomètre de canalisation et par jour que les régies.
Par ailleurs, l'information donnée tant à la collectivité qu'aux usagers est généralement mieux assurée en gestion délégué qu'en régie : toutes les DSP font l'objet d'un rapport au délégataire à la collectivité. Et les délégataires suivent au moins 24 indicateurs, contre 14 en moyenne dans les régies.
Pour enfoncer le clou, l'étude indique que les services d'eau des villes en délégation sont certifiés ISO 9001 dans plus de 90 % des cas, contre moins de 10 % des régies.
Cela dit, Bernard Guirkinger insiste sur l'intérêt pour les villes de pouvoir disposer ainsi de deux modes différents de gestion : « Cette complémentarité permet de satisfaire les besoins croissants de la population, dans une logique de contrôle public mais aussi d'efficacité grâce aux capacités d'expertise et d'innovation d'acteurs privés. Par l'émulation qu'elle crée, et grâce aux partages qui s'installent entre les sphères publique et privée, cette mixité de la gestion des services publics contribue grandement à l'améliorer. Grâce à la co-existence de ces deux modes, les collectivités locales peuvent décider du système pour elles le plus adéquat. La quasi-totalité d'entre elles, d'ailleurs, est aujourd'hui entourée de conseils experts extérieurs pour les aider dans leur choix. »