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Actualités internationales

Restructuration de Thames Water : enseignements techniques et implications pour la gestion des services publics en Europe

18 mars 2025 Paru dans le N°480 ( mots)

La validation judiciaire du plan de sauvetage de 3 milliards de livres de Thames Water éclaire les défis techniques et financiers des opérateurs historiques de l’eau. Entre hiérarchisation des créanciers, délais dans les projets environnementaux et modernisation différée des infrastructures, cette crise offre des clés de lecture pour les gestionnaires français confrontés à des enjeux similaires de vieillissement des réseaux et de pression régulatoire.

La Cour d’appel britannique a confirmé le 17 mars 2025 le plan de restructuration financière de Thames Water,principal opérateur du réseau d’eau anglais. Ce jugement, qui écarte temporairement le spectre d’une administration judiciaire (SAR), valide un mécanisme technique complexe : un prêt super-senior de 3 milliards de livres, structuré pour prioriser les créanciers de rang A tout en reportant l’équité entre parties prenantes à une restructuration globale prévue fin 2025. Une situation qui interroge les modèles de financement des infrastructures vieillissantes.

L’affaire Thames Water illustre les risques d’un sous-investissement chronique. Le report de projets environnementaux (dont la modernisation de stations d’épuration et la réduction des rejets) a conduit l’autorité de régulation Ofwat à ouvrir une enquête pour non-respect des engagements contractuels. Un cas d’école pour les gestionnaires hexagonaux, alors que la directive européenne sur les eaux résiduaires urbaines impose des investissements massifs (qui pourraient atteindre environ 3,8 milliards d'euros pour l'ensemble des États membres) d’ici 2027. La technicité des contrats de performance énergétique (EPC) évoqués par Thames pourrait inspirer d'autres acteurs pour externaliser la télégestion des fuites ou l’optimisation énergétique.

Sur le plan financier, le recours au cross-class cram down (pouvoir d’imposer un plan aux créanciers minoritaires) soulève des questions de gouvernance. Le tribunal a retenu l’alternative d’une administration spéciale comme « scénario pertinent », où les créanciers juniors (dont TWL, la maison mère) seraient sortis « hors de la monnaie ». Chris Weston, PDG de Thames Water, défend une « solution de marché » pour préserver les capacités d’investissement, avec un premier déblocage de 1,5 milliard de livres. Une approche à comparer avec le modèle français de délégation de service public, où la solvabilité des opérateurs dépend étroitement des révisions tarifaires de l’État.

L’imbrication des enjeux réglementaires et techniques apparaît dans le Water Industry Act 2024, qui impose à Thames Water un taux de recyclage des eaux usées defini d’ici 2035. Or, le retard pris sur les chantiers environnementaux programmés entre 2020-2025 montre l’asymétrie entre objectifs législatifs et contraintes opérationnelles – un débat familier en France depuis la loi Labbé. Parallèlement, l'entreprise a demandé à l'Office of Water Services (Ofwat) une augmentation des factures des clients au-delà des 35 % déjà approuvés pour la période 2025-2030, afin de soutenir les investissements nécessaires à l'amélioration des infrastructures. Cette demande intervient alors que Thames Water cherche à attirer de nouveaux investisseurs pour injecter entre 4 et 5 milliards de livres, les créanciers menaçant de se retirer sans concessions réglementaires

La suite technique se jouera fin 2025 avec le dépôt du plan de restructuration holistique, intégrant les normes sur la résilience climatique et la cybersécurité. Les experts pointent un risque de report des investissements dans les systèmes SCADA et les capteurs IoT, pourtant cruciaux face à l’accélération des sécheresses estivales. Un avertissement pour les gestionnaires français, où 50 % des réseaux ont été posés avant 1972.

En toile de fond, cette crise valide l’urgence des modèles hybrides associant financements privés et garanties publiques – une piste explorée par l’agence de l’eau Seine-Normandie pour ses appels à projets « Réseaux de demain ». Reste à transposer les innovations juridiques anglaises, comme les Restructuring Plans du Companies Act 2006, dans le cadre de la directive européenne sur les difficultés d’entreprise. La balle est désormais dans le camp des ingénieurs financiers et des régulateurs pour éviter un scénario à la Thames Water sur le Vieux Continent.