Plus de quatre mois après la publication d’un décret et d’un arrêté très attendus venant changer la donne en matière de réutilisation des eaux pour les industriels, Julien Louchard, Directeur du Développement des Actions Partenariales et Commerciales de l’Office International de l’Eau, passe en revue les évolutions auxquelles s’attendre pour les professionnels du secteur, et évoque des exemples de projets rendus possibles par ces textes.
L’eau, l’industrie, les nuisances : Quels sont les enjeux du nouveau contexte législatif en matière de REUT pour les industriels ?
JL : Il convient tout d’abord de rappeler que l’industrie n’est ni le premier préleveur d’eau douce, ni le premier consommateur en France. Respectivement, il s’agit des secteurs de l’énergie (refroidissement des centrales principalement) et de l’agriculture et l'élevage (irrigation de cultures, abreuvement des animaux, etc.). Néanmoins, l’industrie est impactée à chaque restriction d’eau, en cas de sécheresse. Le cadre réglementaire a récemment évolué pour permettre le recours aux eaux non conventionnelles (ENC) : eaux de process, eaux usées traitées, eaux de pluie… Ce nouveau contexte ouvre le champ des possibles et donc un nombre grandissant d’études de faisabilité, avant un éventuel investissement dans des technologies de traitement avancées.
L’eau, l’industrie, les nuisances : Quelles sont les nouvelles pratiques et obligations encadrant les différents usages de la REUT dans ce secteur ? Quels types d’eaux sont potentiellement réutilisables et pour quels usages ?
JL : Pour les Installation classées pour la protection de l'environnement (ICPE) hors industrie agroalimentaire (IAA), le décret 2023-835 du 29 août 2023[1] fixe d’une part, les conditions d’utilisation des eaux usées traitées et des eaux de pluie pour l’ensemble des usages non domestiques, et d’autre part, la procédure d’autorisation pour l’utilisation des eaux usées traitées. Une foire aux questions permet notamment de répondre à certaines interrogations. [2]
Pour les ICPE IAA, après six années d’attente, le décret et l’arrêté sont sortis en juillet 2024. [3]
Le décret autorise sous conditions :
- Le recyclage des eaux issues des matières premières, telles que par exemple, l’eau contenue dans les betteraves qui est libérée dans la production de sucre, ou bien l’eau contenue dans le lait, générée lors de la production de poudre de lait, grâce à un procédé de déshydratation.
- Le recyclage en boucle courte des eaux de processus recyclées, comme celles issues des Nettoyages En Place (CIP en anglais) ou bien, l’eau du dernier rinçage, qui après traitement adapté, peut être recyclée.
- La réutilisation des eaux usées traitées souvent après traitements biologiques, de type boues activées.
L’arrêté fixe quant à lui les différents usages autorisés ainsi que, pour ces derniers, les exigences de qualité requises.
L’eau, l’industrie, les nuisances : De quelle manière l’OiEau accompagne-t-elle les industriels dans cette évolution des pratiques ?
JL : Les industriels peuvent se lancer dans des projets de recours en eaux non conventionnelles, mais se posent de nombreuses questions : Est-ce vraiment la solution pour être résilient face aux manques d’eau ? Dans quelle proportion est-il pertinent de réduire ses prélèvements en eau ? Ou encore quels coûts cela va-t-il engendrer ?
Pour aider les industriels à répondre à ces questions, l’OiEau les accompagne dans une démarche impartiale et désengagée d’intérêts liés aux positionnements d’équipementiers, de fournisseurs ou d’exploitants. Nos spécialistes apportent une expertise technique et proposent des solutions efficientes et pérennes, qu’ils savent partager de façon pédagogique, sur une grande variété de problématiques.
On peut citer par exemple, l’évaluation du risque de raréfaction de la ressource en eau douce dans le bassin de vie hydrographique de l’industriel (Explore 2[4]) pour permettre de fixer les objectifs ; ou bien la vérification de la mise en place des bonnes pratiques chez l’industriel, élément préalable à tout projet avancé de recours aux ENC, ou encore la formation des référents de l’ICPE afin qu’ils comprennent l’ensemble des enjeux (technique, réglementaire, environnementaux). Nous proposons également des études de faisabilité afin d’étudier les possibilités techniques, l’estimation du vrai prix de l’eau, les options de financement, l’établissement de taux de retour sur investissement en fonction des scénarios potentiels ; l’accompagnement à l’analyse des risques et de maîtrise des points critiques (en lien avec les normes HACCP par exemple) ; l’analyse de cycle de vie pour s’assurer que la solution envisagée est pertinente sur le volet énergie et bilan carbone.
Nous réalisons également des essais laboratoires et des pilotes et une assistance à maitrise d’ouvrage, pour la rédaction de cahiers des charges et le bon suivi des fournisseurs de solutions, candidats.
L’eau, l’industrie, les nuisances : Dans cette optique, quel est justement l’objectif du projet Life Zeus porté par l’OiEau ?
JL : Le projet Life Zeus (Zéro rejet liquide en IAA) est un projet cofinancé par l’Union européenne (Life) et les agences de l’Eau Loire Bretagne, Adour Garonne et Rhône Méditerranée-Corse. Initié par l’OiEau, il a pour objectif une baisse des prélèvements totaux d’eau de près de 70% de l'usine Monin de Bourges, qui produit des sirops, des purées de fruits et des concentrés pour les professionnels.
L’originalité du procédé Life Zeus repose sur le double objectif de réduire la consommation d’eau de l’usine et de valoriser les concentrés sucrés après traitement, via la méthanisation, auprès d’acteurs locaux.
L‘innovation est basée sur la combinaison de techniques réalisées en conditions réelles. Le démonstrateur Life Zeus, composé de deux prototypes de filtration membranaire, intégrés dans les installations de process sur les deux flux de l’usine Monin, permettra une baisse des prélèvements totaux d’eau de 68%. En effet, sur les 45 000 m3 d’eau de process rejetés par an, 100% des volumes seront à terme traités et réutilisés, c’est à dire 40 000 m3 réinjectés in-situ, et 5 000 m3 de concentrés sucrés valorisés.
Le procédé Life Zeus visant à zéro rejet a pour vocation d’être répliqué dans les industries agro-alimentaires en France et en Europe.
L’eau, l’industrie, les nuisances : Pour entreprendre un projet de REUT efficient et pérenne, quelles sont les premières actions à mener par les industriels ? (Accompagnement technique et financier proposé par les agences de l'eau, CCI, DREAL. Réalisation d'un bilan eau incluant une cartographie des eaux sur site, etc.)
JL : Avant de se lancer dans un projet REUT, nous considérons qu’il est indispensable d’appliquer les bonnes pratiques sur son site, pour réduire au maximum la quantité d’eau douce utilisée par quantité de produit fini.
L’OiEau préconise par ailleurs de mener une étude qui intégrera les possibilités d’aides auxquelles les entreprises peuvent recourir (Agence de l’eau, CCI, Région, Appel à projet, etc.) et réalisera des scenarios techniques et économiques prenant en compte le vrai prix de l’eau et les risques de restriction d’eau sur les différents territoires d’implantation. Elle analysera également les risques et les modalités de maîtrise de points critiques (HACCP) pour accompagner les acteurs concernés dans les meilleures techniques disponibles et dans les démarches administratives.