Dans son XVIème plan d’investissement, le Sedif vise deux grands objectifs : une satisfaction accrue de l’usager et le renouvellement progressif du réseau. Cette ambition, qui a joué un rôle clé dans le choix du futur mode de gestion, passe également par le choix des meilleures technologies disponibles. Si l'Osmose inverse basse pression (OIBP) permet de produire de l’eau pure, sans chlore et sans calcaire tout en modernisant les usines duSedif, l'IA est également susceptible d'inscrire le renouvellement des réseaux dans une politique patrimoniale optimisée sur le long terme. Résultat : le prochain concessionnaire réalisera près de 1,4 milliard d’investissement sur la période. Raymond Loiseleur, directeur général des services du Sedif, revient sur les enjeux de la prochaine délégation de service public.
L’eau, l’industrie, les nuisances : Le mode de délégation de service public par voie de concession a rencontré un succès certain lors du Comité le 27 mai, mais aurait-il été raisonnable d’en privilégier un autre ?
Raymond Loiseleur : Les deux années de travaux et de consultations pilotés et partagés en toute transparence par la Mission 2023 – mission indépendante chargée des études, de recherches, d’analyses et des comparaisons avec d’autres services de l’eau en France et dans le monde – ont permis aux élus franciliens de choisir le futur mode de gestion, qui entrera officiellement en vigueur au 1er janvier 2024 pour 12 ans.
La délégation de service public (concession) a été approuvée par près de 90 % des élus et le service global par 65 % des suffrages. Garant de la procédure suivie, le Président du Sedif, André Santini, a relevé que la feuille de route qu'il avait assignée dès le départ, avait été pleinement respectée : toutes les options ont été étudiées et mises sur la table, et les élus ont décidé en pleine connaissance de cause, démocratiquement et souverainement.
Selon des modalités et des clauses contractuelles novatrices et renouvelées, une nouvelle concession permettra au Sedif de poursuivre la consolidation de son rôle d’Autorité organisatrice du service public de l’eau.
Cette orientation stratégique a été saluée par les élus. En effet, la gouvernance du futur mode de gestion constitue un élément déterminant dans la transparence et le pilotage du service public, et devra s’accompagner d’un contrôle encore renforcé de l’opérateur privé, au bénéfice des usagers desservis.
EIN : Quels seront les périmètres de chacun des partenaires : Sedif et son délégataire ?
R.L : Le Sedif assure en sus de ses missions d’autorité organisatrice celle de maitre d’ouvrage public propriétaire de son outil industriel, usines de traitement, ouvrages, réseaux et systèmes de pilotage. Il a défini, dans le cadre du XVIème plan d’investissement, une vision à dix ans pour les années 2022 à 2031, les besoins d’investissement pour garantir un haut niveau de performance de son patrimoine, à la pointe de la technologie pour garantir un niveau de service d’excellence.
Ce sont près de 2,5 milliards d’investissements qui seront engagés. La part réalisée par le Sedif directement en maîtrise d’ouvrage publique, représentant près de 1,1 milliard, porte sur les opérations travaux neufs, de renouvellement et de sécurisation du réseau de transport et de distribution, de renouvellement d’unités fonctionnelles en usines de production ou d’ouvrages stations de pompages et réservoirs, de mise en sécurité.
Le concessionnaire réalisera lui près de 1,4 milliard dont 800 millions d’euros pour le projet de filières OIBP dans les usines principales à Choisy-le-Roi, Neuilly-sur-Marne et la transformation de la filière de nanofiltration en OIBP à Méry-sur-Oise intégrant les travaux liés à une alimentation en énergie haute tension sécurisée. Des travaux de renouvellement patrimonial et fonctionnel sur l’approvisionnement en lien direct avec l’exploitation des installations lui seront confiés pour près de 340 millions d’euros, et enfin 370 millions pour les ouvrages et installations du réseau de distribution dont 16 km de renouvellement lié aux opérations de voirie. La part réservée à la révolution digitale est importante près de 110 millions d’euros seront consacrés à la refonte des systèmes d’informatique industriel et d’exploitation et plus de 55 millions d’euros aux technologies du smart network pour aller vers un Smart Sedif.
EIN : Pouvez-vous nous expliquer le pourquoi et le comment du choix de l’Osmose inverse Basse Pression (OIBP) pour produire une eau pure, sans chlore et sans calcaire ?
R.L : L’OIBP est une technique de filtration membranaire ultra-performante, qui permet d’éliminer toutes les matières indésirables de l’eau potable. C’est la seule technique à ce jour permettant au Sedif d’aller vers une « eau pure, sans chlore et sans calcaire » pour la meilleure satisfaction des usagers.
L’objectif du Sedif est, dans un premier temps, de réduire au maximum les micropolluants. En effet, les activités humaines sont à l’origine de la contamination de l’air, des sols, des eaux de surface et des eaux souterraines, par des micropolluants, que ce soient des produits phytosanitaires, des polluants d’origine industrielle, des résidus médicamenteux, ou des micro plastiques. Et, lorsqu’un pesticide est interdit, un autre le remplace aussitôt. Face à la découverte permanente de nouveaux micropolluants dans les ressources et à l’évolution de la réglementation, le Sedif souhaite renforcer ses filières de traitement de manière à éliminer le plus possible tous types de micropolluants et de perturbateurs endocriniens.
Cette démarche vers une eau sans chlore, novatrice en France, est dans les habitudes culturelles de nos voisins néerlandais, allemands ou suisses. Dans ces pays, le savoir-faire des producteurs d’eau se fonde sur un traitement poussé, une amélioration des infrastructures et un contrôle soigneux des opérations de distribution.
Le Sedif souhaite aussi satisfaire davantage ses usagers en améliorant le goût de l’eau. Seuls 65% des usagers du Sedif boivent très régulièrement l’eau du robinet bien qu’elle soit de très grande qualité et respecte toutes les normes de potabilité. Et parmi les causes d’insatisfaction, le goût de chlore et le calcaire. Ce dernier présente des inconvénients pour l’usager : dépôts de tarte sur les surfaces, dans les chaudières et sur les résistances des équipements électroménagers, utilisation accrue de produits détergents, sécheresse de la peau, installation d’adoucisseur individuel…
La distribution d’une eau sans chlore et sans calcaire engendrera satisfaction et économies pour les foyers : une diminution de consommation des produits d’entretien, une diminution des consommations énergétiques dues aux dépôts de tarte sur les appareils électroménagers et une diminution de l’achat d’eau en bouteille par une confiance accrue dans l’eau du robinet, ce qui nécessitera bien sûr une communication ciblée sur la nouvelle qualité d’eau auprès des consommateurs.
Une étude économique sur le coût du calcaire pour l’usager du Sedif a mis en évidence un gain net de 100 euros par an et par foyer résultant de la différence entre les économies réalisables par les usagers et le surcoût du traitement membranaire par OIBP. Ainsi, à l’échelle du territoire qui représente plus de 4 millions d’usagers, le coût d’investissement et d’exploitation de ces techniques de pointe par OIBP, y compris coût énergétique, est compensé par les économies que les usagers pourront faire grâce à la distribution d’une eau adoucie.
EIN : Comment déployer l’OIBP ?
R.L : L’OIBP est donc une technique de filtration membranaire très performante consistant à pousser l’eau au travers d’une membrane percée de pores extrêmement fins. Les membranes d’osmose inverse laissent passer l’eau mais arrêtent presque toutes les autres molécules y compris les plus petites tels que les sels et sont utilisées en particulier en dessalement d’eau de mer.
Les membranes de nanofiltration, déjà utilisées sur l’usine de Méry-sur-Oise, ressemblent aux membranes d’osmose inverse, mais avec un pouvoir de coupure intermédiaire. Elles laissent passer plus de molécules qu’une membrane type OIBP (matière organique dissoute, micropolluants, sels de petite taille). La première et principale installation de nanofiltration en France est celle de Méry-sur-Oise, mise en route en 1999. Aujourd’hui, les membranes doivent être changées. C’est pourquoi lors de leur prochain renouvellement, vers 2024/2025, elles seront remplacées par des membranes d’OIBP, plus performantes.
Sur les usines de Choisy-le-Roi et Neuilly-sur-Marne, plus grosses usines d’eau potable en France, ce traitement devrait être mis en service vers 2030. L’usine d’Arvigny, située en Seine-et-Marne à Savigny-le-Temple, de taille plus modeste, devrait être équipée vers 2023, et serait alors la première installation d’OIBP du Sedif en service.
EIN : Comment pensez-vous convaincre les autorités sanitaires qu’on peut se passer de chlore pour désinfecter l’eau potable ?
R.L : Sur les filières de traitement des usines du Sedif, dites « multi-barrières », le chlore n’est qu’une des étapes de désinfection. Mais dans un premier temps, le projet est seulement de distribuer une eau sans résiduel de chlore. Et cela se fait déjà à l’étranger aux Pays-Bas des grandes villes comme Rotterdam ou Amsterdam mais aussi en France, comme à Grenoble, par exemple. Le Sedif conduit une réflexion pour s’assurer des conditions qui permettront d’abaisser le chlore résiduel tout en continuant à maîtriser le risque sanitaire.
Les mesures comprennent aussi bien un suivi de la qualité de l’eau que des mesures de gestion du réseau adaptées. Un retour au chlore restera possible si nécessaire. Dès que l’OIBP sera mise en service, les eaux distribuées seront surveillées pour vérifier que ces conditions sont réunies, et que la réduction voire la suppression du chlore peut se faire sans risque de reviviscence bactérienne. Un groupe d’expert a été constitué pour commencer à réfléchir à la question. Le programme de mesures sera bien évidemment présenté à l’Agence régionale de Santé d’Île-de-France et nous partagerons tous les résultats du suivi.
EIN : Comment projetez-vous de valider les scénarii complets d’industrialisation d’OIBP notamment dans le cadre du prochain appel d’offres ?
R.L : Le Sedif a entrepris dès 2015 les premières études pour implanter ces filières dans les usines en vue de définir la faisabilité de ces projets, les objectifs de traitement à atteindre et les pré dimensionnements d’installations pour définir les enveloppes de coûts prévisionnels. Les cahiers des charges établis vont permettre aux candidats opérateurs de répondre aux exigences du cahier des charges et remettre, comme lors de concours d’architecture ou de procédures de conception réalisation, des projets techniques qui seront analysés selon des critères classiques, appréciation de la valeur technique, des process industriels proposés, (hydraulique, génie civil, électricité, automatismes…), de l’ergonomie et des conditions de maintenance, d’architecture et d’insertion environnementale sans oublier les performances énergétiques ainsi que les coûts d’exploitation.
EIN : Quel bilan tirez-vous des deux années de travaux et de consultations de la Mission 2023 ?
R.L : Le bilan se caractérise par une période riche en réflexions menées de manière indépendante et transparente. En effet, tout était ouvert pour revisiter le service public de l’eau. Retenons que cette mission s’est faite en 3 étapes :
• Une phase d’observation du service sur le fonctionnement du service s’agissant notamment du périmètre du Sedif et de l’état des lieux du contrat. Des pistes d’évolutions en matière de contrôle de l’opérateur, du partage des résultats, de la refonte de la rémunération et du toilettage des indicateurs ont été identifiées.
• Une phase d’études et d’échanges pour passer en revue le large panel des modes de gestion, leurs caractéristiques propres et leur mise en œuvre dans un calendrier connu (mai 2021 à avril 2023) pour une exploitation du service au 1er janvier 2024.
• Une phase de partage en allant à la rencontre d’associations, en organisant la consultation de commissions thématique en matière de travaux, de finance, de système d’information, de tarification et de communication ; un pilotage des travaux par un groupe d’élus composé des tendances politiques représentatives a permis la poursuite des travaux préalablement à la tenue de 2 séminaires du comité en janvier et mars derniers.
EIN : Renouvellement des réseaux : qu'est-ce qui caractérise votre approche ? Avez-vous des échéances ? Comment s’interconnecter avec les réseaux voisins ?
R.L : La gestion patrimoniale des réseaux est en pleine mutation ! Les Assises de l’eau et le plan « France Relance » d’une part, les agences de l’eau d’autre part, consacrent le renouvellement des réseaux d’eau. Indépendamment des enveloppes allouées qui peuvent être discutées, c’est bien l’enjeu de mise en place d’une politique de renouvellement plus volontaire qui est primordial.
Dans le même temps, on assiste à l’émergence de techniques de pointe permettant la surveillance des réseaux (« smart network ») ou bien l’investigation et le diagnostic ponctuel des canalisations afin de mieux caractériser leur état de vétusté. Dans un autre domaine, l’utilisation des récentes techniques de data science (intelligence artificielle, machine learning), en mettant à profit l’énorme masse de données accumulées depuis une dizaine d’années, permet de mettre en place une gestion plus fine du réseau avec des actions ciblées, donc efficaces et de disposer d’une vision long terme des politiques patrimoniales possibles (jusqu’à 30 ans).
Pour le Sedif, qui dispose d’un patrimoine important (8 767 km au 31 décembre 2020), le renouvellement doit aussi être plus raisonné et plus pertinent. De manière concrète, la stratégie retenue pour les 10 prochaines années, dotée d’une enveloppe de près de 890 millions d’euros, se fonde d’une part, sur le déploiement massif de capteurs sur le réseau permettant une surveillance accrue et une intervention immédiate en cas de fuite ou de suspicion de dégradation et, d’autre part, sur des politiques de renouvellement différenciées en fonction de la nature des équipements.
D’abord, pour les conduites de gros diamètres principalement dédiées au transport, l’objectif est de travailler sur les tronçons dont la défaillance a été préalablement avérée à travers la surveillance active du réseau et la réalisation de diagnostics ponctuels des conduites. La politique curative est derrière nous depuis un long moment et il s’agit aujourd’hui de passer d’une politique préventive à une politique prédictive et les nouvelles technologies nous y aident.
Puis, concernant les réseaux de distribution, le Sedif stabilisera le rythme de renouvellement entre 0,8 % et 0,9% par an (tout type confondu : renouvellement patrimonial à hauteur de 44 km par an, accompagnement des opérations de voirie pour 16 km par an et travaux tiers), conformément aux recommandations des Assises de l’Eau et aux valeurs moyennes du renouvellement effectué par la plupart des collectivités urbaines.
Enfin, il est également prévu d’intensifier l’effort de renouvellement des branchements (30 000 sur 10 ans) orienté sur les matériaux les plus à risque (PEBD), ainsi que celui des organes de réseaux (dont les vannes) à l’âge avancé.
Le territoire du Sedif appartient à la zone interconnectée de la Région Île-de-France au sens du Plan régional d’alimentation en eau potable, des interconnexions existent déjà qui permettent des échanges d’eau et des secours mutuels. Le Sedif participe avec trois autres autorités organisatrices de la Région Île-de-France AQUAVESC, Sénéo et Ville de Paris/Eau de Paris, à un groupement de commande dont la première étape a été de définir le diagnostic de l’existant et les premières pistes pour une concertation régionale encore plus active. Parmi ces dernières une concertation sur les programmes de travaux des installations de production est initiée ainsi que la construction d’une modélisation commune et des tests des interconnexions existantes en vraie grandeur. Cette réflexion est appelée à se renforcer encore.
EIN : En quoi le développement urbain du Grand Paris modifie-t-il la physionomie et les missions du Sedif ? Comment pensez-vous avancer vers la coordination avec d’autres grandes unités de production franciliennes ?
R.L : Pour le Grand Paris, le Président André Santini milite depuis des années pour la réalisation d’un Ring de l’eau, à l’image du réseau de transport du Grand Paris Express en cours de réalisation, ou de la desserte en électricité de la région capitale.
Dans un contexte de changement climatique, d’inondations plus fréquentes, de sécheresses plus longues, il est primordial de mieux se coordonner pour se venir en aide si besoin. Une approche collective pour sécuriser la ressource et partager la production est à rechercher, au-delà des moyens de sécurisation propres à chacun.
Propos recueillis par Pascale Meeschaert