Dans moins de deux ans, de nombreuses collectivités territoriales seront obligées d’abandonner les tarifs dérogatoires de l’eau autorisés dans le cadre de l’expérimentation prévue par la loi « Brottes » si une nouvelle loi n’est pas adoptée pour mettre en place les tarifs sociaux de l’eau.
Bien
qu’il existe actuellement un consensus en faveur de ces tarifs, il faut néanmoins
rappeler qu’ils ont été rejetés par le Sénat en 2017 après avoir été approuvés
par l’Assemblée nationale. La discussion de nouvelles propositions législatives
sur ce sujet s’impose d’autant plus que la France s’est engagée à mettre en
œuvre l’objectif que l’eau soit d’un prix abordable pour tous et que le
Gouvernement s’est prononcé en faveur de la mise en place par les collectivités
de chèques eau.
Selon la loi en
vigueur, « Avant l'expiration de la durée fixée pour l'expérimentation (c’est
à dire avant avril 2021), et au vu de son évaluation, la loi détermine selon le
cas :
-
le maintien et la généralisation des mesures prises à titre expérimental ;
-
l'abandon de l'expérimentation » (Art. CGCT LO 1113-6).
Si une loi sur
ce sujet n’est pas adoptée avant avril 2021, les collectivités qui ont mis en
œuvre depuis plusieurs années des tarifs sociaux de l’eau devront abandonner
ces dispositions et revenir à la situation antérieure sans tarif sociaux. Pour
éviter cette situation et compte tenu de la durée du processus législatif, il
faudrait qu’un projet de loi soit présenté rapidement et probablement avant avril
2020.
Auparavant, il
serait très souhaitable que les collectivités et les milieux intéressés soient
consultés afin de définir le contenu de ce projet de loi, surtout si l’objectif
est que les collectivités bénéficient d’un maximum de libertés pour assurer la
gestion efficace de leurs services d’eau. Pour laisser un peu de temps pour
élaborer des solutions généralement acceptables, les débats devraient débuter dès
maintenant.
Le projet de loi
envisagé pourrait généraliser à toutes les collectivités territoriales certaines
mesures dérogatoires expérimentées au cours de ces dernières années. A titre
d’exemple, il pourrait autoriser toutes les collectivités qui le souhaitent à
instaurer des tarifs sociaux tenant
compte de la composition et des revenus du foyer. En particulier, il pourrait
prévoir la mise en place d’un système de chèques eau proche du système de chèques
énergie pour l’ensemble des collectivités volontaires comme proposé par le
Gouvernement. De plus, il pourrait soumettre ces systèmes à des règles ou
modalités de nature à préserver un minimum d’égalité dans l’accès à l’eau. Ainsi une collectivité pourrait choisir le
montant moyen des chèques eau qu’elle distribue mais ne pourrait pas modifier
les catégories de personnes aidées.
Le projet de loi
pourrait aussi autoriser les communes à prendre en charge dans leur budget
propre une partie des dépenses des services publics d’eau et d’assainissement destinées
à aider les plus démunis. Par exemple, les communes pourraient décider de couvrir
la part fixe de la facture d’eau des usagers démunis. Une autre solution serait
de fixer un plafond au montant des aides pour l’eau qui pourraient être imputées
au budget des communes. De même, le projet de loi pourrait plafonner le montant
des subventions pouvant être attribuées au FSL par les services publics d’eau
et d’assainissement.
Comme les
collectivités territoriales devront probablement financer les mesures de
tarification sociale de l’eau qu’elles choisiront de mettre en place, il paraît
essentiel qu’elles soient consultées sans retard sur les modalités de cette
tarification et sur l’étendue de leur contribution. La date butoir étant avril
2021, il faudrait entamer les débats sur les tarifs sociaux de l’eau dès
maintenant. La question est importante car elle introduit une nouvelle dépense
obligatoire dans un service d’intérêt local. Il ne faut toutefois pas en
exagérer la portée car l’incidence du tarif social de l’eau sera inférieure
dans la plupart des cas à 3% de la facture d’eau.
Selon le
Président Macron, la mise en place du chèque eau « vient à améliorer notre
dispositif existant » et constitue l’une des mesures qui doivent «
permettre de vivre dignement ». Si l’on n’y prend garde, il est probable
qu’aucun chèque eau ne sera distribué avant la fin du quinquennat.
Henri Smets,
Académie de
l’Eau,
France