C'est l'avantage des petites et moyennes entreprises par rapport aux structures de tailles plus importantes : être capable, en un temps très court et sans tabou aucun, de remettre à plat l'ensemble de son outil de production et de sa philosophie pour optimiser ses savoir-faire, développer ses capacités de recherche, et finalement recréer de la valeur ajoutée au bénéfice de ses salariés et de ses clients. Cette révolution, la société perpignanaise Tecnofil Industries l'a engagée ces dernières années avec le concours actif de l'Ecole des Mines d'Alès. Aujourd'hui, l'entreprise sort profondément transformée et renforcée par ce partenariat. Rencontre avec Yves Labbé, Président-directeur général de Tecnofil Industries.
Revue
L'Eau, L'Industrie, Les Nuisances : Quelles sont, en quelques mots, les
origines de Tecnofil Industries ?
Yves
Labbé : L'entreprise a été créée en 1986. Son activité,
alors centrée sur le marché des piscines publiques, était assez différente de
ce qu'elle est aujourd'hui puisqu'elle consistait à fabriquer des équipements
en lien avec ce marché tout en déployant une activité assez importante sur les
chantiers, jusqu'à leur achèvement. Je l'ai reprise en 1997 en réorientant ses
activités sur trois marchés : celui de l'eau potable qui représente aujourd'hui
de 40 à 45% de notre chiffre d'affaires, le marché des eaux industrielles de 15
à 20 % de notre CA, et les marchés de la fontainerie, des piscines publiques,
des parcs animaliers etc. qui représentent, selon les années, de 20 à 25 % de notre
chiffre d'affaires. Sur ces différents segments, nous concevons, développons et
fabriquons des équipements et matériels "sur-mesure" à destination
des exploitants tels que des décanteurs, des filtres à sable, CAG, des
dégrilleurs, des filtres multimédias, des flotteurs pour captages, des crépines
auto nettoyante, des skids (machines à laver complète) ?etc.
Revue
EIN : Qui sont vos clients ?
Y.L.: Nous travaillons
parfois avec le maitre d'ouvrage ou le client final mais plus fréquemment avec
les installateurs avec qui nous entretenons des relations privilégiées et qui
complètent bien nos savoir-faire et notre positionnement sur le marché. Ils
nous apportent de la proximité, des techniques de chantier que nous ne
maitrisons pas forcément et constituent un support important dans le cadre de
notre service après-vente. Quand un problème survient, ce sont eux qui nous
fournissent toutes les informations techniques dont nous avons besoin pour
intervenir rapidement et efficacement. Ils sont en quelque sorte nos représentants
sur chaque site. Au plan géographique, nous travaillons essentiellement sur la
France métropolitaine, dans les DOM-TOM, et plus occasionnellement sur le
continent Africain dans le cadre de notre appartenance au réseau Swelia.
Revue
EIN : Quels sont les moyens techniques dont vous disposez ?
Y.L.: Nous disposons,
en interne, d'une équipe d'ingénieurs capable de concevoir et de définir le
profil, le type et la taille d'un matériel ou d'un équipement, de définir les
procédés de fabrication requis et de réaliser en DAO/CAO une maquette en volume
après la validation des plans de fabrication par le client. En aval, nous
disposons sur 3.500 m² de trois ateliers spécialisés en tuyauterie plastique ou
inox, chaudronnerie, revêtements anticorrosion pour réaliser, avec un support
technique optimal, toute fabrication de matériel sur mesure. L?ensemble de cet
outil de production a récemment fait l'objet d'une remise à plat et d'une
modernisation très importante.
Revue
EIN : Quels étaient les objectifs de cette remise à plat ?
Y.L.: Après 30 années
d'activités, il était devenu nécessaire de faire évoluer les techniques
maitrisées par l'entreprise autant que son outil de production. Par ailleurs,
les matériaux anticorrosion que nous avions l'habitude de mettre en ?uvre,
essentiellement des résines époxy armées, des résines polyester ou vinylester,
ne correspondaient plus aux standards de qualité que nous souhaitions
promouvoir, pour des raisons de conformité aux ACS ou encore pour pouvoir
répondre à des demandes plus exigeantes de nos clients ? par exemple pour
s'adapter à des pH très bas ou au contraire très élevés ou encore à des eaux
acides à très hautes ou très basses températures. Nous nous sommes donc mis à
la recherche de nouveaux matériaux de protection contre la corrosion, notamment
des revêtements intérieurs conformes aux ACS - mais sans bisphénol A ni
solvants - ou encore des revêtements extérieurs sans solvants pouvant répondre
là aussi à des contraintes d'ambiances les plus exigeantes.
Revue
EIN : Comment avez-vous procédé ?
Y.L. : Nous avons noué
un partenariat avec l'Ecole des mines d'Alès qui permet chaque année à une
douzaine d'entreprises de se développer dans leur domaine en évoluant vers de
nouvelles techniques de production. Nous avons commencé par la recherche de nouveaux
revêtements anticorrosion, puis nous avons évolué vers le Lean Manufactury en
réfléchissant à nos façons de travailler dans les ateliers et plus en amont
encore, à la modernisation de nos lignes de fabrication et de nos bâtiments.
Car ses nouveaux matériaux, plus chers, sont aussi plus exigeants en termes de
mise en œuvre. Bien loin de la classique application manuelle au pinceau, ces
produits composites à base de résines s'appliquent généralement à une
température de 80°C avec des machines à haute pression (200 b) et requièrent un
savoir-faire pointu.
Revue
EIN : Ce partenariat a été fructueux ?
Y.L.: Très fructueux.
Il nous a permis de travailler pendant 4 années avec des élèves-ingénieurs
venus d'horizons très divers, ce qui a beaucoup apporté à l'entreprise. Cette
diversité de cultures, de regards et de savoir-faire, a amené beaucoup de
diversité et de fraicheur au sein de nos équipes et ça a été bien plus
enrichissant que si nous avions travaillé avec un seul et même ingénieur durant
4 ans. Ce partenariat a permis de faire considérablement évoluer l'outil de
production et d'initier un programme d'investissements de près de 1,3 millions
d'euros pour acquérir de nouveaux équipements tels que des engins de levage,
des nacelles, une cabine de décapage à grenaille inox, un marbre motorisé
rotatif, des machines de projection de résines sans solvant etc. Des
équipements qui, pris isolément, n’ont rien de révolutionnaires, mais qui nous
ont permis de revoir notre façon de fabriquer en améliorant substantiellement
notre productivité, tout en intégrant le nouveau concept de pénibilité.
Revue
EIN : Quel est le bilan que vous en tirez aujourd'hui ?
Y.L.: Les études
réalisées par les élèves de l'Ecole des Mines d'Alès sur nos process de
production avaient conclu à une perte de temps de l'ordre de 25 %. En
réorganisant notre outil de production et en réduisant les heures
supplémentaires, nous pensons augmenter notre productivité d'environ 20 %. Nous
avons également profité du concours des élèves de l'école des mines d'Alès pour
concevoir et fabriquer des équipements destinés à notre propre outil de
production. Par exemple, un marbre rotatif qui permet à l'opérateur, sur un
équipement de type filtre qui peut faire jusqu'à 6 m de hauteur, de ne plus
tourner autour de lui : c'est désormais la cuve qui tourne autour de
l'opérateur. Nous avons également fabriqué des wagonnets capables de
transporter les matériels d'un atelier à l'autre, tout en automatisant le
chargement et le déchargement. Ces outils, que l'on a fabriqués faute de les
trouver sur le marché, nous permettent de gagner en productivité, en sécurité,
mais aussi en souplesse.
Revue
EIN : Au delà de ces gains de productivité que vous décrivez, ces modifications
vous ouvrent-t-elles de nouveaux marchés ?
Y.L.: Oui, ce nouvel
outil de production nous permet de fabriquer des matériels plus importants et
plus lourds. Auparavant, nous devions parfois renoncer à certains marchés du
fait de problèmes de tailles. Pour vous donner un exemple, jusqu'à très
récemment, nous avions des cabines de grenaillage de 4 m de large, 4 m de haut
et de 8 m de long. Ce qui veut dire que le grenaillage d'un décanteur de 100
m3/h par exemple, nécessitait plusieurs étapes. Aujourd'hui, grâce à une cabine
de 15 m de longueur, ce grenaillage se fait en une seule fois, ce qui permet
d'envisager la fabrication d'équipements plus importants. De même, en
chaudronnerie ou en revêtements, ou nous pouvons désormais envisager d'aller
bien plus loin qu'auparavant et fabriquer des filtres verticaux de plus gros
diamètres (jusqu'à 4 m soit, en eau potable, 200 m3/h), des filtres horizontaux
plus long (jusqu'à 14 m soit, en eau potable, 500 m3/h), des décanteurs en eau
potable jusqu'à 150 m3/h ou encore des châssis skids.
Revue
EIN : Mais l'augmentation des capacités de production va généralement de pair
avec un développement de l'aspect commercial
Y.L.: Absolument. Nous
allons assurer ce développement en renforçant nos liens avec nos clients, en
optimisant notre communication, et en développant notre site internet sur
lequel nos clients pourront faire, par eux-mêmes, des pré-devis dès la fin de
cette année. Je pense que nous avons un potentiel de développement commercial
assez important car jusqu'à présent, notre problématique n’était pas tant
d'être consultés que d'être capables de répondre en temps et en heure. Ce
problème devrait être prochainement résolu grâce aux gains de productivité que j’évoquais
tout à l'heure.
Revue
EIN : Cette optimisation aura-t-elle des incidences sur votre politique
commerciale ?
Y.L.: Elle va
contribuer à rendre nos prix plus attractifs. Nous sommes en effet souvent
concurrencés par des fabricants espagnols et portugais qui pratiquent parfois
des prix très bas, au détriment, trop souvent, de la qualité. Nous avions
jusqu'à présent des arguments qualitatifs mais pas tarifaires. Nous allons
désormais pouvoir associer l'aspect qualitatif de nos équipements à des prix
plus étudiés, même si l'objectif n’est pas d'évoluer vers des équipements low
cost.
Revue
EIN : Et en matière d'innovation ?
Y.L.: La vocation de Tecnofil Industries , c'est de mettre en œuvre des solutions qui permettent
de simplifier la vie des exploitants. Nous avons ainsi développé une machine
qui permet d'injecter la diatomée dans les filtres de piscines, ou de la chaux
dans les filières EP & EI dans les règles de l'art, et sans que les
opérateurs ne soient agressés par ces poussières très fines. Cet équipement
sera commercialisé dès la fin de l'été. Dans le même esprit, nous avons
développé une pompe à sable pour réceptionner du sable en big-bag plus
rapidement, et une machine permettant de mettre en place le sable ou tout
autres média filtrant granulaire dans les filtres de manière simplifiée en
réduisant considérablement la pénibilité. Ces équipements contribuent à
simplifier et à sécuriser l'exploitation. Nous sommes déjà acteur dans la
fabrication des bâches de stockage parallélépipédiques pré fabriquées puis
assemblées sur site. Nous étudions le développement de cette activité avec
l'utilisation de matériaux plastiques alvéolaire réduisant les coûts et les
structures. C’est aussi l'un des gros avantages de l'optimisation de notre
outil de production : gagner du temps au quotidien pour faire plus de
développement et ouvrir de nouvelles perspectives et réduire la pénibilité.
Propos
recueillis par Vincent Johanet