Ah les nitrates ! Bientôt 50 ans qu'ils opposent, sous les yeux d'un Etat hésitant et finalement impuissant, d'un côté les défenseurs de l'environnement et de l'autre les lobbies agricoles.
En Bretagne, la région la plus affectée par le phénomène, la filière agricole ne représente que 7 % de la surface agricole française mais 50 % des élevages de porcs et de volailles et 30 % des élevages bovins.
Résultat ? Un taux moyen de nitrates dans l'eau qui s'élève, selon le percentile 90 moyen (l'indicateur retenu pour la caractérisation de l'état des masses d'eau en application de la DCE), à 36 mg/l, mais jusqu'à 80 mg/l dans certaines rivières, alors même que la norme de 50 mg/l est considérée par beaucoup comme trop élevée et que les rivières fournissent aux bretons 80 % de l'eau qu'ils consomment.
Dans cette région, la plupart des évaluations montrent une progression de la pollution par les nitrates. Plusieurs centaines de captages ont du être abandonnés ces dernières années et tous les départements bretons sont désormais touchés par les marées vertes dont le coût, toujours plus élevé, est évalué à plus d'un milliard d'euros sur ces 30 dernières années.
Pour tenter de renverser la vapeur, et surtout de satisfaire aux exigences de la directive européenne de 1991, quatre programmes d'actions représentant plusieurs milliards d'euros ont été engagés jusqu'à présent sans qu'aucune amélioration tendancielle ne puisse être observée, bien au contraire?
La France, traduite devant la Cour de justice de l'Union européenne dans le cadre de deux contentieux, l'un sur l'insuffisance de délimitation des zones vulnérables et l'autre sur l'insuffisance des programmes d'actions applicables dans ces zones, encourt désormais une amende de plusieurs centaines de milliers d'euros assortie d'une astreinte financière qui pourrait dépasser les 120.000 ? par jour..
C?est dans ce contexte que la 5ème révision des zones vulnérables, prélude à la mise en ?uvre d'un nouveau programme d'actions, s'est achevée à la fin du mois de décembre 2012. Elle a abouti au classement en zones vulnérables de 823 communes supplémentaires à l'échelle du pays.
Il n?en fallait pas plus pour que plusieurs organisations syndicales agricoles, en pleine campagne électorale pour les chambres d'agriculture, ne dénoncent rien moins, et en bloc, la mise en ?uvre de la directive nitrates, ce « monstre administratif » jugé tout à la fois « technocratique, incompréhensible et extrêmement coûteux ». Et d'en appeler, face au mille-feuilles règlementaire, au « bon sens paysan », seul à même de promouvoir une agriculture raisonnée?
Certes, il est bien légitime, pour une organisation professionnelle, de se placer dans une logique économique en reléguant les questions réglementaires, sanitaires et environnementales au second plan.
Mais est-il pertinent, alors même que tous les secteurs de l'économie, sans exception aucune, sont soumis à des normes environnementales drastiques, de continuer à refuser de prendre en compte la dimension environnementale de ses activités ?
Est-il raisonnable de revendiquer un régime dérogatoire alors que le coût de l'ensemble des pollutions d'origine agricole a été évalué en 2011 par le CGDD entre 1 et 1,5 milliard d'euros par an ? De se borner à tenter de gagner du temps en reportant toujours au lendemain des mesures que tout le monde sait inéluctables et qu'il faudra bien mettre en ?uvre sous l'?il vigilant et désormais contraignant de Bruxelles ?
La seule stratégie possible en matière de nitrates est bien connue. Elle a d'ailleurs été mise en ?uvre dans la plupart des communes qui ont réussi à être déclassées « zone vulnérable ». Elle consiste à placer tous les acteurs autour d'une table et à élaborer progressivement, en prenant en compte les contraintes locales, un nouveau modèle de développement intégrant l'ensemble des usagers à la solidarité de bassin.
Le reste n?est que chimère.