Créée en 2005, Orège a conçu et développé une solution de traitement innovante des boues urbaines et industrielles reposant sur un traitement triphasique de séparation solide/liquide/gaz. Après une validation technique et commerciale moins rapide qu'espérée en France, cette jeune pousse a choisi de se tourner vers le marché américain pour déployer l'une des rares technologies de rupture intervenue dans le domaine des boues ces dernières années. Après la signature d'un premier contrat au début de cette année avec CH2M, société américaine d'ingénierie de renommée internationale, figurant parmi les 3 premières les plus en pointe pour la validation et l'adoption de technologies innovantes dans le domaine de l'eau, de l'environnement ou de l'énergie, Orège enchaine les succès obtenant sur ce marché la reconnaissance tant attendue. Pour pousser son avantage, l'entreprise travaille sur plusieurs déclinaisons de solutions permettant d'élargir et d'optimiser la technologie SLG. Rencontre avec Pascal Gendrot, Directeur Général d'Orège.
Revue
L'Eau, L'Industrie, Les Nuisances : Vous avez enregistré un premier succès aux
Etats-Unis en signant un contrat de vente avec CH2M pour une solution SLG (40
m³/h). Ce succès semble valider votre stratégie de développement sur le
continent nord-américain. Qu'en est-il exactement ?
Pascal
Gendrot: Effectivement, ce contrat est l'aboutissement d'une
démarche technico-commerciale initiée au printemps 2015 avec la création de
Orège North America. Basée à Atlanta et constituée aujourd'hui d'une équipe
d'une dizaine de collaborateurs, cette équipe a pour mission de mettre en œuvre
le déploiement commercial de la technologie SLG sur le territoire
nord-américain et d'établir des partenariats industriels. La création d'Orège
North America est le fruit d'une décision stratégique qui s'est opérée sur
plusieurs mois, entre fin 2014 et mi 2015. Ce choix de privilégier
l'international était conforme à ce que nous souhaitions depuis plusieurs
années.
Revue
E.I.N. : Mais s'implanter sur le continent nord américain suppose un important
travail de préparation, il faut trouver des relais locaux, nouer de nombreux
contacts, etc
P.G.: Après 1 an
d'études en 2014, la phase active nous a pris 9 mois entre le printemps et la
fin 2015. Durant cette période, nous nous sommes attachés à structurer nos
premiers contacts. Nous avons rencontré de nombreux partenaires potentiels,
notamment les plus grosses sociétés d'ingénierie conseil qui jouent un rôle clé
aux Etats-Unis en étant tout à la fois décideurs dans la
conception-construction, prescripteurs et exploitants. Au cours d'un voyage
initiatique qui s'est déroulé au printemps 2015, nous avons enchaîné de
nombreux rendez-vous avec des sociétés d'ingénierie-conseil, mais aussi des
industriels aux profils très différents et implantés sur quatre zones
géographiques : la région Nord-Est et New-York, la région des Grands
Lacs/Ontario, la Californie, la Floride/Géorgie. Nous avons senti d'emblée un
intérêt très fort pour la technologie SLG. Conformément à nos espérances, le
sens du défi américain, leur pragmatisme culturel, et leur appétit pour de
nouvelles technologies, s'est traduit avant même notre retour en France par des
demandes de rendez-vous complémentaires, et des propositions émanant de
sociétés d'ingénieurs-conseils en vue d'implanter la technologie SLG sur des
stations d'épuration.
Revue
E.I.N. : Tout a donc été très vite ?
P.G.: Très, alors même
que l'on nous avait prédit 3 ans avant de vendre la première unité. Nous avons
donc décidé d'entrer immédiatement en négociation pour installer d'emblée des
solutions SLG avec 4 partenaires industriels distincts dans des régions
différentes selon des configurations d'équipements variées, l'idée étant à
chaque fois de privilégier les grands comptes pour valider la technologie. Nous
avons choisi la Floride, une région très dense, caractérisée par une forte
production de boues, une saisonnalité importante et des conditions d'épandage
contraignantes et onéreuses, la région de New-York du fait de la densité de sa
population et de ses boues dont le traitement final revient très cher car elles
sont évacuées par convoi de camions vers des centres d'incinération souvent
loin de leur lieu de production, la Californie, sujette à des problématiques de
ressources en eau, et puis la région des Grands Lacs/Ontario. Trois contrats
furent signés à l'été 2015 pour un premier déploiement dés fin 2015 et deux
autres courant du premier semestre 2016.
Revue
E.I.N. : Etiez-vous prêts à déployer ces unités ?
P.G.: Nous avons dû
adapter la technologie SLG aux normes américaines ASME et UL, différentes des
normes européennes, notamment en matière électrique et de réacteurs sous
pression. Cela a nécessité un gros travail de spécifications techniques selon
les standards américains, de reconfiguration des armoires électriques, des
automates, de reconfiguration des skids SLG qui a pris presque 7 mois. Il a
également fallu mener un travail de réflexion sur un business model adapté au
pragmatisme du marché nord-américain.
Revue
E.I.N. : Quel est le business model que vous avez privilégié ?
P.G.: Nos contrats ont
été signés sur la base d'une pré-vente. Ce sont des contrats de vente
conditionnés par l'obtention de résultats prédéterminés. Ce business model est
extrêmement audacieux pour une technologie innovante non connue sur le
continent américain. Le premier contrat spécifiait ainsi trois 3 critères que
nous devions atteindre ou dépasser : le SLG devait générer 2 % de siccité
supplémentaire et 20 % d'augmentation du débit passant à partir d'une
combinaison SLG et BFP (table d'égouttage et un filtre à bande), tout ceci avec
un retour sur investissement inférieur à 4 ans. Si ces 3 critères étaient
respectés, la vente devenait automatique. C’est très différent de ce qui se
passe en France ou chaque contrat passe par une validation préalable d'experts
R&D, les processus sont bien plus longs.
Revue
E.I.N. : Comment s'est déroulée cette première installation ?
P.G.: Nous avons
travaillé sur l'une des stations d'épuration jugée parmi les plus difficiles
des Etats-Unis avec les boues les plus complexes qui soient, mélange de boues
urbaines et industrielles : odorantes, très fluctuantes, collantes, contenant
des graisses, des tensio-actifs, etc. Malgré cela, et après la phase
d'installation qui a duré moins de 10 jours, nous avons obtenu des résultats
largement supérieurs aux attentes. La siccité a augmenté de 3,5 à 4 points, le
débit passant s'est stabilisé à + 40 %, et le retour sur investissement devrait
être inférieur à 1,6 ans. La consommation de polymère a également diminué de
25% et les exploitants ont noté une nette diminution des nuisances olfactives.
Les experts de CH2M ont validé tous les critères alors même que nous n’étions
pas installés depuis un mois. Ça a été la reconnaissance la plus extraordinaire
que l'on puisse attendre. Cette unité SLG est en train d'être reconfigurée en
version industrielle définitive et sert également de plateforme de
démonstration.
Revue
E.I.N. : Comment avez-vous géré ce premier succès ?
P.G.: Nous avons choisi de continuer
à nous concentrer sur ces 4 grandes régions initiales que sont la
Floride/Géorgie, la Californie, la région des Grands Lacs/Ontario et le
Nord-Est/New-York en y ajoutant toutefois le Texas, un Etat sujet à de nombreuses
problématiques de boues. Mais au-delà de la validation technique puis
commerciale enregistrée par la technologie SLG aux Etats-Unis, nous avons
également entrepris de travailler sur plusieurs déclinaisons de solutions
reposant sur cette technologie.
Revue
E.I.N. : De quoi s'agit-il exactement ?
P.G.: Il s'agit d'un
important travail de développement qui concerne plusieurs configurations
distinctes permettant d'optimiser la solution SLG associée aux techniques déjà
mises en œuvre. Ainsi, pour favoriser et prolonger l'effet de conditionnement
de la boue par le SLG, nous travaillons avec un partenaire Français, sur la
conception d'une table d'égouttage et d'un filtre à bandes plus adaptés aux
boues issues de la réaction SLG, notamment pour aider à une meilleure
répartition des boues sur toute la largeur de la table ou de la toile de
manière à faciliter le drainage. Nous travaillons également sur la combinaison
SLG-centrifugeuse, plus complexe, la centrifugeuse n’étant pas l'outil de
déshydratation le plus naturel pour préserver l'effet du SLG sur la boue. La
centrifugation a en effet tendance à affecter le principe de la microporosité
de la boue en la plaquant dans le bol, du fait de la force centrifuge. Nous
travaillons donc sur différents paramètres tels que le dégazage, la vitesse
relative et le couple de la centrifugeuse, pour adapter au mieux la
centrifugation aux spécificités de la boue en sortie de SLG.
Revue
E.I.N. : Vous cherchez à optimiser la conception des outils existants pour
maximiser les effets de la technologie SLG sur la boue ?
P.G.: Exactement. Dans
le même esprit, nous développons une solution SLG mobile
d'épaississement-déshydratation, totalement autonome, plug & play,
susceptible d'être installée en quelques minutes, pour épaissir des boues
liquides et pouvoir passer d'une petite station d'épuration à une autre. Ces
solutions mobiles constituent une alternative intéressante aux transports de
boues liquides et ont vocation à s'adresser aux stations sur lesquelles il n’existe
pas d'outil fixe d'épaississement ou de déshydratation, typiquement les
stations d'épuration de moins de 10.000 EH en France, en Angleterre et aux
Etats-Unis.
Revue
E.I.N. : La mobilité représente un marché important ?
P.G.: Oui, en
Grande-Bretagne, par exemple, on recense de milliers de stations d'épuration de
petites tailles associées à des centres de déshydratation partagés. C’est
également le cas en France, dans certaines régions comme la Bretagne. Au
Royaume-Uni, nous travaillons en ce moment avec Anglian Water pour figer les
derniers paramètres de la solution qui devrait être prochainement déployée chez
eux. La solution se tracte facilement, et permet de prendre en charge des boues
à 10 g/l puis les épaissir à 60 g/l grâce au SLG couplé à notre outil
propriétaire de séparation, le Flosep. Le quatrième développement sur lequel
nous réalisons des essais de validation concerne l'impact du SLG sur la
digestion anaérobie. Nous avons travaillé 6 semaines sur une station d'épuration
en France pour appréhender l'impact du SLG sur les paramètres de digestion,
notamment la réduction des AGV et la minéralisation des boues, en vue notamment
d'augmenter la production de biogaz. Même si nous n’en sommes encore qu'au
stade du développement, le gain pourrait être selon nous assez important. Nous
démarrons actuellement des essais avec un partenaire de premier plan en
Allemagne pour valider cette dernière solution au travers de divers
positionnements.
Revue
E.I.N. : D’autres développements en cours ?
P.G.: Nous travaillons
également sur des textures de boues particulières, notamment des boues
d'origine industrielle nécessitant une application séparative. Typiquement, les
huiles, les hydrocarbures ou les graisses, ou encore les fibres dans certaines
applications comme la pâte à papier. Ces boues génèrent des coûts d'élimination
plus élevés que les boues urbaines. Nous avons d'ores et déjà annoncé une
première référence dans le domaine de la chimie à Berre, sur le site de
LyondellBasel en partenariat avec le Groupe Ortec. Enfin, le dernier axe de
développement consiste à positionner le SLG sur de grosses filières
d'épaississement en amont des filières traditionnelles tels que les
épaississeurs statiques existants pour optimiser l'épaississement.
Revue
E.I.N. : Au plan commercial, quelles sont vos perspectives pour les mois à
venir ?
P.G.: Nous allons
continuer, au cours de l'année 2016, à nous développer aux Etats-Unis, en
Grande-Bretagne, en Allemagne et en France. A partir de 2017, nous renforcerons
nos équipes outre-Atlantique et nous implanterons des équipes locales de 3 à 5
personnes en Grande-Bretagne et en Allemagne qui travailleront étroitement avec
la France.
Propos
recueillis par Vincent Johanet