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Actualités internationales

Traitement des eaux : la recherche française s'expérimente aussi en Chine

31 octobre 2014 Paru dans le N°375 ( mots)

Directeur de l'ingénierie chez Veolia Water Technologies Asie pour le secteur municipal, Xiaohua Chen est le témoin privilégié de l'évolution des différentes techniques de traitement des eaux en France, en Europe et en Asie depuis près de trois décennies. Après avoir suivi une solide formation universitaire à l'Université de Tianjin, l'homme se classe premier à un concours, ce qui lui ouvre le droit de poursuivre ses études en France. Apprentissage intensif du Français, études brillantes couronnées par l'obtention d'un doctorat qui lui permet, au passage, d'être l'un des élèves de son futur patron, Antoine Frérot, alors professeur à l'école nationale des Ponts et Chaussées. Trois années de stage au CRITER, ancêtre de la DRD du SIAAP, sous l'aile protectrice de Bernard Védry, lui permettent de développer une expertise dans le domaine des biomasses épuratrices, notamment des cultures fixées. Puis c'est le début d'un parcours professionnel qui le mènera successivement chez Valoria, Watertech Technology à l'île Saint-Martin, puis chez le traiteur d'eau Suisse Christ avant d'intégrer la direction ingénierie d'OTV en 1993, filiale de Veolia et enfin celle de Veolia Water Technologies Asie. Ce qui lui permet aujourd'hui d'expérimenter sur le terrain de nombreuses innovations du groupe. Entretien.

Revue L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances : Quelles sont vos fonctions précises chez Veolia ?

Xiaohua Chen : Je dirige le département de l'ingénierie chez Veolia Water Technologies Asie pour le municipal. Avec mon équipe composée d'une soixantaine de personnes, nous sommes chargés de gérer les appels d'offres pour toute l'Asie c'est-à-dire la Chine mais aussi, Hong-Kong, le Singapour, la Thaïlande, sans oublier les Philippines, le Vietnam, la Malaisie, etc... Nous travaillons sur des appels d'offres très divers qui concernent aussi bien les usines de production d'eau potable que les stations de traitement des eaux usées ou les unités de traitement des boues.

 

Revue E.I.N : Quelles sont les différentes étapes d'une réponse à un appel d'offres en Chine ? X.C : Le montage d'un projet se compose généralement de trois phases successives. La première consiste à mener, avec le concours des ingénieurs commerciaux, des investigations auprès des clients pour appréhender la problématique générale du dossier, prendre la mesure de toutes les contraintes du projet et commencer à élaborer différentes solutions techniques éventuellement assorties de variantes. La deuxième étape, lorsqu'un cahier des charges existe, consiste à élaborer une réponse technique détaillée et argumentée, composée de toutes les données techniques nécessaires à une bonne compréhension du projet. Elle comprend notamment des plans et des descriptifs détaillés et intègre également des éléments financiers qui vont servir de base pour élaborer le montage final du dossier. La troisième étape est celle de l'étude de base qui va beaucoup plus loin dans le détail. Ce sont les trois étapes indispensables pour monter un projet en Chine. Une fois le projet avalisé par les autorités locales, il ne reste plus qu'à mener qu'une classique étude de réalisation.

 

Revue E.I.N : Vous intervenez donc très en amont des projets'.

X.C : Oui, tout à fait, même si bien souvent le cahier des charges mentionne le procédé choisi par le client. C’est particulièrement vrai pour les affaires importantes sur lesquelles interviennent les « design institute », des bureaux d'études qui jouent le rôle de consultants et se chargent de monter les différents dossiers réclamés par les autorités chinoises.

 

Revue E.I.N : Quels sont les principaux projets auxquels vous avez participé ?

X.C: Ils sont nombreux. En Chine, Veolia Water Technologies Asie a conçu et réalisé, avec le concours de partenaires locaux, plus d'une centaine d'usines de production d'eau potable depuis 1997. J’ai eu la chance de participer à la réalisation de quelques projets significatifs en Chine : - L’usine d'eau potable numéro 6 de Chengdu de capacité 420 000 m3/j. C’est une première usine type BOT en Chine. Nous avons utilisé le procédé Multiflo et Filtraflo TGV permettant d'avoir une emprise au sol très réduite mais très performant en efficacité... - La Station d’épuration de Maidao dans la ville de Qingdao de capacité 140 000 m3/j, une usine qui a été construite pour les JO de Pékin en 2008. Là, nous avons introduit non seulement le procédé MultifloTM et Biostyr® pour la ligne eau mais aussi la digestion co-génération pour la filière boue. La production d'électricité couvre 65% du besoin énergétique de l'usine. - La réhabilitation de l'usine d'eau potable de Pékin numéro 9. L’usine fournissait le parc des JO de Pékin en eau potable. Nous avons introduit le procédé Actiflo® pour remplacer les décanteurs existants et portant la capacité du traitement de 500 000 m3/j au 680 000 m3/j. - Enfin, l'extension de l'usine d'eau potable de Linjiang, Shanghai. Cette usine a été inspirée celles de la banlieue de Paris avec un traitement poussé comme Actiflo®, FiltrafloTM TGV, Ozone et CAG. Elle devait fournir en eau potable au parc du World Expo 2010.

 

Revue E.I.N : Quels sont les spécificités du marché chinois dans le domaine de l'eau potable par exemple ?

X.C: Nous devons, en Chine, faire face à de gros volumes de traitement pour des chiffres d'affaires relativement faibles. Le prix d'un mètre cube d'eau potable à Pékin tourne autour de 5 yuans, c'est-à-dire entre 60 et 70 centimes d'euro. C’est un prix raisonnable au regard du revenu médian d'un ménage, en moyenne 5 fois moins élevé qu'en France. Pour parvenir à cet équilibre, nous avons le plus souvent recours à des filières classiques de type décantation-filtration-chloration, avec, lorsque c'est nécessaire, des traitements poussés incluant notamment une étape ozone-charbon actif ou une ultrafiltration. Mais nous savons adapter et optimiser ces techniques pour répondre au mieux aux spécificités de ces marchés. Nous avons par exemple développé des filtres bicouche de type Filtraflo TGV pour étoffer notre offre en systèmes de filtres ouverts gravitaires pour la production d'eau potable, en particulier pour le développement d'usines de production d'eau potable à grande capacité.

 

Revue E.I.N : Et dans le domaine des eaux usées ?

X.C: Pour faire face à une industrialisation et à une urbanisation rapide, la Chine a consenti ces 5 dernières années des efforts considérables en matière de traitement des eaux usées. Le taux de raccordement avoisine aujourd'hui les 85%. Pour aller encore plus loin, les autorités chinoises ont édicté de nouvelles normes de rejets, les classes 1a et 1b qui sont fonction de la capacité des milieux récepteurs à absorber la charge traitée. Je signale que la classe 1a est aussi, voire plus, contraignante que la norme européenne : 10 mg/l en DBO5, 50 mg/l de DCO, 10 mg/l en MES, 5 mg/l en NH4, 15 mg/l en N et 0,5 mg/l en phosphore total. Aujourd'hui, une bonne partie du marché tourne autour de cette mise aux normes qui nécessite des investissements considérables. Au plan technique, nous disposons d'une palette de solutions qui nous permet de faire face à tous les cas de figure. Mais l'effort qui a été consenti en matière de traitement des eaux usées ces dernières années a contribué à faire émerger d'autres problématiques comme celle du traitement des boues.

 

Revue E.I.N : Quels sont les termes du problème en matière de boues ?

X.C: Les volumes, déjà considérables, ne cessent de croître alors que les débouchés se réduisent. La mise en décharge n’est plus autorisée en deçà d'une siccité de 40 %. Les réponses à ce problème sont diverses. Le compostage, avantageux au plan financier, reste assez répandu. Les grands centres urbains optent plus souvent pour l'incinération, pratiquée par exemple à Shenzhen ou Chengdu. Mais elle est interdite à Pékin qui a choisi l'hydrolyse thermique. Bien que nous soyons en mesure de proposer différents procédés, nous pensons chez Veolia que l'hydrolyse thermique en continu couplée à une digestion anaérobie offre beaucoup d'avantages : de 25 à 35% de matières sèches en moins, de 30 à 50% de biogaz en plus, aucune nuisance olfactive, un digestat hygiénisé et stabilisé. Nous devons cependant veiller à adapter ce process aux caractéristiques des boues qui contiennent, en Chine, moins de matières volatiles, de 50 à 60%, contre 70% en Europe.

 

Revue E.I.N : Vous êtes le témoin privilégié de l'évolution des différentes techniques de traitement des eaux en Europe et en Asie depuis près de trois décennies. Quel regard portez-vous sur les progrès accomplis durant cette période ?

X.C: Les progrès sont colossaux dans tous les domaines. Les techniques de traitement, des plus rustiques aux plus poussées, ont toutes considérablement progressé pour s'adapter aux besoins qui sont immenses sur le marché asiatique. C’est vrai dans le domaine de l'eau potable, des eaux industrielles et plus encore dans le domaine des eaux usées dans lequel la logique même a changé : il ne s'agit plus seulement de dépolluer mais de valoriser les sous-produits contenus dans les eaux usées et les boues. Les procédés anaérobies, en récupérant l'énergie contenue dans les effluents et les boues, permettent de diminuer l'empreinte carbone des usines de traitement tout en progressant vers leur autonomie énergétique. Certains procédés, comme le procédé Struvia développé par Veolia, permettent de récupérer le phosphore, notamment les struvites et contribuent à transformer les eaux usées en un gisement considérable de matières premières secondaires. Quant aux boues, elles ne sont plus considérées comme un déchet mais comme une ressource potentiellement valorisable en énergie ou encore en bioplastiques. Une installation pilote de production de bio-polymères de type poly-hydroxy-alcanoate (PHA), qui repose sur des bactéries habituellement utilisées en traitement de pollutions carbonées fonctionne déjà à Bruxelles.

 

Revue E.I.N : Ces procédés innovants sont déjà implantés en Chine ?

X.C: Ils arrivent. D’importants programmes de recherches sont menés conjointement par des équipes communes de l'université Tsinghua à Pékin et de Veolia Environnement Recherche & Innovation en France avec l'appui des entités opérationnelles de Veolia en Asie. L’objectif est d'industrialiser ces procédés en mettant en place des pilotes de taille industrielle sur des sites opérés par Veolia en Chine. C’est une façon intéressante de valoriser la recherche et l'innovation pour développer des solutions technologiques adaptées aux problématiques environnementales de la Chine, et plus largement à celles de l'Asie qui se trouve confrontée à des phénomènes d'urbanisation rapide, de pollution importante des milieux aquatiques, des sols et de l'atmosphère.

 

Propos recueillis par Vincent Johanet