30 mai 2018Paru dans le N°412
à la page 92 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET
Dans la plupart des cas, les déserts n’ont pas toujours été des déserts… Tel n’est pas le cas du désert d’Atacama souvent considéré comme le plus aride du monde. De fait, certaines parties de cet immense chaudron n’ont jamais connu de pluie.
La géographie telle qu’on l’enseigne utilise souvent le cycle de l'eau et la température comme principales caractéristiques d'un climat. Le régime des précipitations couplé aux données thermiques permet ainsi aux élèves de déterminer l'existence de climats différents à l'échelle de la planète mais aussi d'aborder l'inégale répartition de l'eau sur la planète. C'est d’ailleurs souvent à ce moment-là que naît chez l'élève la confusion qui le conduit à amalgamer la notion de désert avec celle de pénurie d'eau, alors qu'un espace n'est désert que par l'absence ou la faible présence de l'homme. L'Antarctique et l'Arctique ne sont ainsi que d’immenses déserts froids où l'eau est omniprésente sous forme de glace.
L'Altiplano sud-américain, comparable en bien des points au haut plateau tibétain, s'étend sur 4 pays depuis l’extrême sud du Pérou, jusqu’à la Bolivie en passant par le nord du Chili et de l’Argentine. Dans cette dépression surélevée il y a plusieurs millions d’années à la suite de la surrection des Andes et de la subduction de la plaque Nazca se sont accumulés des sédiments marins et volcaniques. Elle a vu s'installer des lacs (le lac Titicaca au nord) et des étendues salées parfois immenses, les salars, les déserts de sel d'Atacama (Salar d'Uyuni, Salar d'Atacama). C’est là, dans un environnement totalement minéral que se combattent l'eau, le feu et la lave et qu’affleurent le lithium, l'iode, le salpêtre, le borax et le cuivre.
C’est la partie appelée Puna de Atacama qui abrite l’une des régions les plus arides du monde : le désert d'Atacama qui s'étend sur un millier de kilomètres jusqu'au Pérou et la Bolivie et culmine à près de 4.000 mètres de haut au pied des volcans Licancabur et Lascar. Ce climat hyper-aride est dû à la situation en altitude de cette région abritée derrière la Cordillère des Andes. Les pluies orographiques (descendantes) se sont déjà déversées complètement sur le flanc ouest de la Cordillère des Andes lorsqu’elles atteignent les hauteurs du désert d'Atacama. Entre 1964 et 2001, la pluviométrie annuelle moyenne enregistrée à la station météorologique de Quillagua n'a atteint que 0,5 mm.
On divise habituellement ce désert en trois bandes parallèles à la mer : le désert côtier, le désert absolu et le désert altiplanique. Chacune de ces zones se caractérise par un régime climatique particulier, le désert absolu n’ayant probablement jamais connu de pluies. Pour autant, et malgré son extrême aridité, le désert d’Atacama grouille de vie. Loin de ressembler aux autres déserts de la planète, il s’en distingue par bien des points.
Atacama : un désert plein de vie
Contrairement à d’autres déserts qui n’abritent que des populations nomades vivant dans le cadre d’une économie de subsistance, le désert d'Atacama a toujours été peuplé à certains endroits de populations sédentaires, notamment sur la bande côtière. C’est d’ailleurs sur ce mince cordon que se développa, au cours du premier millénaire, une civilisation très avancée, celle des Atacameños. Luttant contre l’aridité de la région, ceux-ci conçurent des systèmes d’irrigation permettant la culture en terrasses, principalement du haricot, du maïs et de la pomme de terre. Ils possédaient des troupeaux de lamas qu’ils utilisaient pour le transport, mais dont ils mangeaient aussi la viande et tissaient la laine. Ils vivaient dans des maisons de pierres, regroupées en petites citadelles. Les poteries qu’ils fabriquaient sont d’une grande finesse et témoignent d’un degré de civilisation avancé. Le commerce avec les autres tribus du nord fut l’un des facteurs importants du développement de la culture atacameña. Mais on ne sait que peu de choses sur leur langue, leurs croyances et leur mode de vie car à l’arrivée des Espagnols en 1536, la domination des Incas avait fait disparaître l’essentiel de leurs spécificités et leurs cultures. Ensuite, les Incas eux-mêmes ont peuplé ce gigantesque désert laissant derrière eux d’innombrables traces de leur vie dans cet univers minéral. Aujourd’hui, plus d’un million de personnes vivent dans quelques villes situées sur le littoral et à San Pedro de Atacama, une petite oasis plantée au cœur du désert. Les habitants, des Amérindiens pour la plupart, exploitent les nombreux sites miniers (sel, nitrates, cuivre, soufre), qui se trouvent dans la région. Car on trouve dans l'Atacama la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du monde ainsi qu'une réserve unique de nitrate naturel. Ici, la terre parle à livre ouvert de son histoire et de son évolution. Car l’Atacama est en son centre une terre aride où l’eau n’a pas coulé depuis au moins 25 millions d’années, soit bien davantage que dans le désert de Namibie, en Afrique, où que dans les vallées désertiques de l’Antarctique (environ 10 millions d’années). En certains endroits, les scientifiques ont découvert des sédiments qui étaient restés tels quels depuis presque 40 millions d’années ! Dans le lit d’une rivière, les sédiments n’avaient pas vu l’eau depuis 120.000 ans… Comment était la Terre il y a 100 millions d'années ? Pour le savoir, il suffit de flâner au milieu des fossiles et des roches sédimentées de l’Atacama.
Quasiment déserté par l’homme moderne, on pourrait s’imaginer que l’Atacama n’est qu’un espace sans vie… Il n’en est rien. Comme dans tout écosystème, le désert présente une biodiversité importante qu’il s’agisse d’espèces végétales ou animales (bactéries, invertébrés et vertébrés). L’Atacama ne fait pas exception. Une faune diverse s’est peu à peu adaptée à ce milieu hors normes : flamands roses, lamas, vigognes et autres animaux andins vivent dans cet univers hostile. Avec les Indiens Atacamenas, ils y côtoient désormais d’autres hommes, venus du monde entier ceux-là, pour scruter les étoiles et sonder l’univers.
Un eldorado pour les astrophysiciens
Si ce n’était le bleu d’un ciel d’une pureté et d’une intensité à couper le souffle, on se croirait sur une autre planète, Mars, peut-être. La nuit, le ciel y est si sombre que les étoiles les moins brillantes y sont parfois visibles à l’œil nu. La luminosité parfaite du ciel nocturne du désert d'Atacama explique la présence d’une bonne dizaine d’observatoires astronomiques dont le plus gros télescope du monde, le Very Large Telescope (ESO) sur le mont Paranal. L'absence de vapeur d'eau dans l'atmosphère, la raréfaction de l'air due à l’altitude, l'absence totale de lumière parasite, donnent au ciel de l'Atacama sa pureté, sa transparence exceptionnelle. L’atmosphère est si transparente qu'on y voit à plus de 220 kilomètres à la ronde.
Quant au paysage désertique, il a été utilisé pour tester les futurs véhicules lunaires puis martiens. Car la Nasa organise régulièrement des expéditions dans l'Atacama, analogue par bien des aspects aux environnements lunaires mais aussi martiens. La vallée de la Lune tient ainsi son nom de sa ressemblance avec le sol lunaire. Cette vallée offre un spectacle magique, mélangeant sable et terre, exhibant des roches aux formes improbables. Mais l’intérêt de la Nasa pour l’Atacama ne se limite pas à ce décor minéral. En étudiant en 2003 le désert d'Atacama, des chercheurs mexicains et américains ont découvert un endroit insolite, la zone de Yungay qu’ils ont résumé en cinq mots : la planète Mars sur Terre. Un endroit unique au monde. Coincée entre deux chaînes de montagne qui bloquent toutes les précipitations, cette vaste étendue caillouteuse de quelques milliers de km² représente, sur Terre, le désert ultime et un avant-goût des déserts célestes. Car malgré les mythes qui leur sont attachés, tous les déserts terrestres, en effet, grouillent de vie. Au cœur du Sahara, bactéries, lichens, herbacées, arbrisseaux, insectes, arthropodes, reptiles, oiseaux se sont adaptés à la chaleur et à la sécheresse. Même dans l'Atacama, le plus aride de tous les déserts, quelques rares espèces végétales et animales déploient des trésors d'imagination pour survivre. Seule la zone de Yungay est totalement vide. Ici, sur des milliers de km², pas un brin d'herbe, pas un insecte. Fascinés par les caractéristiques extraterrestres qu'offrent l'Atacama profond, les chercheurs ont exploré durant quatre ans cette zone de Yungay pour conclure finalement qu'ils avaient découvert le désert ultime.
Yungay est 50 fois plus aride que la Vallée de la Mort en Californie, 100 fois plus sec que le Grand Erg Oriental ou le Ténéré dans le Sahara central. Sur plusieurs milliers de km² l'aridité est absolue et la sécheresse du sol est littéralement martienne !
Ainsi, tandis que les Atacamenas continuent à vivre dans le dépouillement et à vénérer les montagnes, la communauté scientifique prépare sa conquête de l’univers et utilise les instruments les plus sophistiqués pour produire les images millimétriques et sub-millimétriques les plus claires depuis la Terre... Depuis 2007, soixante-six antennes paraboliques de 12 mètres de diamètre éparpillées sur 14 kilomètres dans le désert fonctionnent ensemble de façon à simuler un radiotélescope de 14 kilomètres de diamètre. Le projet ALMA (Atacama Large Millimeter Array) permet de voir encore plus loin, notamment dans les régions poussiéreuses où se forment les étoiles, faisant ainsi du désert de l’Atacama la porte des étoiles.
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