31 octobre 2022Paru dans le N°455
à la page 96 ( mots)
A l’heure où le simple fait d’obtenir de l’eau potable à volonté en actionnant un simple robinet relève de l’évidence, il n’est peut-être pas tout à fait inutile de se remémorer les gigantesques efforts qu’il a fallu consentir pour assurer un service de qualité à chaque citoyen…
C’est sous Louis XVI, en 1777, qu’intervient la première expérience de mise
en place d’un service de distribution
d’eau à domicile. L’idée en revient aux
Frères Périer qui fondent la Compagnie
des eaux de Paris pour distribuer aux
parisiens de l’eau en abondance comme
c’est alors le cas à Londres.
Elle consiste
à desservir, sur abonnements, les
immeubles et maisons particulières,
par des branchements sur l’eau de la
Seine, pompée au niveau de la plaine de
Chaillot. Ils souhaitaient aussi alimenter
des fontaines marchandes puis installer dans Paris des «pompes à feu» pour
combattre les incendies et nettoyer les
rues. En 1781, ils importent une machine
à vapeur pour pomper l’eau de la Seine et
mettent en place les premières pompes
à feu. Un après, la première pompe, mise
en service près du pont de l’Alma, entre
en fonctionnement.
Le réseau des Frères
Périer alimente le quartier de Chaillot
sur la rive droite et le quartier du «Gros
Caillou», proche de l’actuel quai d’Orsay, sur la rive gauche, avec respectivement 4.100 et 1.300 m3
d’eau par jour.
Mais le coût trop élevé de l’abonnement
freine le mouvement: il faut débourser
50 livres par an (100 livres la première
année) pour obtenir 274 litres d’eau
livrés tous les deux jours à heures fixes.
En 1782, la compagnie ne compte que
5 abonnés, chiffre qui se stabilisera à 47
en 1788. Victime de l’opposition des porteurs d’eau, de la présence des fontaines
publiques et de certains propriétaires,
effrayés par la perspective des fuites
entraînées par l’installation de tuyaux
sous pression dans leurs immeubles,
la compagnie, étranglée par les dettes,
est reprise en 1788 par une administration municipale, «administration royale
des eaux de Paris» sans avoir jamais
engrangé le moindre bénéfice.
Il faut attendre le milieu du 19ème siècle,
et la généralisation de la machine à
vapeur, pour que prenne à nouveau
corps la possibilité de réaliser un réseau
d’adduction sous pression desservant
les logements individuels.
DE LA FONTAINE AU RÉSEAU
Sous le second Empire, l’arrivée du
Baron Georges Eugène Haussmann à
la préfecture de Paris agit comme un
accélérateur. Le préfet Hausmann confie
en 1856 à l’ingénieur Eugène Belgrand,
la responsabilité du service des eaux et
des égouts de Paris.
La capitale se lance alors dans de gigantesques travaux: grâce à un système de
canalisations de distribution, chaque
immeuble et chaque maison de la capitale, bénéficie de l’eau courante. Méfiant
vis-à‑vis de la qualité de l’eau de la Seine
qui constitue alors la principale source
d’alimentation de la ville, Haussmann
cherche de nouvelles ressources, parfois lointaines. C’est le signal de départ
des grands travaux de dérivation de la
Dhuis (1865), de la Vanne (1875) puis de
l’Avre (1898). C’est aussi à Haussmann
et aux travaux de Belgrand que l’on
doit le réseau du «tout à l’égout» de
la capitale. Les eaux usées sont alors
rejetées dans la Seine, loin des points
de captage, à hauteur de Levallois-Perret et de Saint Denis.
Mais devant
les protestations des riverains situés en
aval, on instaurera en 1876 des champs
d’épandage pour filtrer ces eaux usées.
Globalement, la quantité d’eau mise à
disposition de la ville de Paris et de ses
habitants passe de 142.000 m3
en 1853
à 479.000 m3
en 1900. À la suite de ce succès, de nombreuses
villes examinent la possibilité de mettre
en place une alimentation en eau.
Mais ces systèmes d’adduction d’eau,
dévoreurs de capitaux, ne sont pas à
la portée de toutes les villes. Les pouvoirs publics de l’époque décident donc
d’instituer le système des concessions
à des sociétés privées.
C’est alors que
naissent les premières sociétés de distribution d’eau: la Compagnie Générale
des Eaux en 1853, la Lyonnaise des Eaux
en 1880 et la SAUR en 1933.
Au-delà de la distribution, l’amélioration
de la qualité sanitaire de l’eau devient un
objectif majeur.
Des systèmes de filtration lente sur sable sont mis en œuvre
à Paris, Marseille, Lyon et Toulouse. Ils
seront peu à peu complétés par des procédés de décantation et de coagulation,
ce qui va permettre d’améliorer sensiblement la qualité de l’eau distribuée.
Mais même si les épidémies reculent,
ces seuls traitements physiques ne suffisent pas à éliminer toutes les bactéries.
À partir de 1880, l’essor de la microbiologie ouvre une ère nouvelle dans l’approche de l’alimentation en eau potable.
La corrélation entre eau de mauvaise
qualité et épidémies, est matérialisée
par la fameuse phrase de Pasteur: «Nous
buvons 90% de nos maladies».
LES PROGRÈS
DE LA BACTÉRIOLOGIE
On se lance dans différents essais de
purification de l’eau à partir de produits chimiques tels que l’iode, l’acide
citrique, les permanganates pour tenter d’éliminer microbes et bactéries. En
1881, Koch démontre que l’hypochlorite
de sodium détruit le germe responsable
du choléra. Ce produit, dont l’utilisation
est relativement simple, peut aussi être
produit à faible coût. Il a également le gros avantage d’avoir un effet rémanent
dans les canalisations.
A la même époque, Marius-Paul Otto
met au point une autre technique pour
désinfecter l’eau et lance la première
entreprise spécialisée dans la fabrication d’équipements utilisant l’ozone, la
Compagnie des Eaux et de l’Ozone. En
1906, les villes de Nice, Chartres et Lille
seront les premières à l’utiliser.
La première chloration des eaux se fera
à Paris en 1911. Mais ce n’est qu’après
la Première Guerre mondiale, que le
recours au chlore et à ses dérivés se
développe véritablement, notamment
à Lyon, Reims ou encore Saint-Malo.
L’histoire de la distribution de l’eau va
dès lors s’accélérer, sous l’effet conjugué
de besoins toujours plus importants et,
surtout, des progrès de la chimie.
Les
enjeux sont nombreux: il faut dégager
des financements, maîtriser les techniques, mais aussi vaincre les réticences des populations vis-à‑vis d’une
eau traitée chimiquement.
Ces besoins
vont donner naissance à une industrie
que nos lecteurs connaissent bien, celle
du petit cycle de l’eau: capter, analyser,
stocker, compter, distribuer, puis traiter à nouveau avant le rejet au milieu
naturel. Elle est alors l’embryon de ce
qu’on appellera bien plus tard «l’école
française de l’eau».
Après la seconde guerre mondiale,
les développements, dans tous les
domaines, s’enchainent.
En matière de distribution cependant,
le mouvement est moins rapide que ce
que l’on imagine communément: en
1930, seulement 23% des communes
disposent d’un réseau de distribution
d’eau, et en 1945, 70% des communes
rurales ne sont pas encore desservies.
Il faut attendre la fin des années 1980
pour que la quasi-totalité des Français
bénéficient de l’eau courante à domicile.
Aujourd’hui, plus de 99% des français
ont de l’eau courante à domicile grâce
à un réseau constitué de près d'un million de km de canalisations d'eau potable
d’une valeur estimée à 300 milliards
d’euros.
L’assainissement, lui aussi, ne se développera que progressivement: les
stations d’épuration fleurissent dès
le début des années 1960, reflétant
les premières prises de conscience
environnementale…
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