03 mars 2023Paru dans le N°459
à la page 85 ( mots)
Comment obtenir de l’eau à partir de l’air ? La découverte
d’un réseau antique de canalisations prenant leur source à partir
de grands pierriers situés autour de l’ancienne cité de Théodosia,
en Crimée, a conduit plusieurs ingénieurs à reconstituer
un condensateur naturel, le puits aérien. Le principe est simple :
l’air chaud entre librement dans le puits en journée et s’y accumule ;
La nuit, l’air froid provoque la condensation de la vapeur d’eau qui
était contenue dans l’air chaud.
L a récupération des eaux de rosée
est une ressource bien modeste
mais qui peut s’avérer précieuse là
ou l’eau douce manque le plus. Beaucoup
de régions du monde souffrent d’importants stress hydriques alors même que
l’eau est présente dans l’atmosphère en
quantité considérable. On estime que
globalement, l’atmosphère contient plus
de 12.000 km3
d’eau douce, un chiffre à
peine inférieur aux ressources en eau
liquide renouvelables sur les terres
habitées. D’où les nombreuses tentatives visant à tenter d’exploiter ce possible apport. Tentatives retranscrites
dans plusieurs légendes ou récits dont
la véracité reste, bien souvent, à établir.
On sait pourtant aujourd’hui que l’homme
essaie d’exploiter cet apport potentiel
d’eau douce depuis longtemps. Dès le
moyen-âge, des étangs ont été construits
dans certaines régions d’’Angleterre pour
récupérer l’eau de rosée: des bassins
de quelques mètres cube dont le fond
était couvert d’une première couche de
paille sèche puis d’une couche d’argile.
L’ensemble était tassé puis couvert de
pierres. L’étang de rosée était alors prêt à
fonctionner. Chaque matin, les habitants
les vidaient et les trouvaient le lendemain
à nouveau rempli d’eau. Ces étangs de
rosée ne doivent pas être confondus avec
d’autres marres intentionnellement creusées au sommet d’une colline pour les
besoins du bétail et qui étaient alimentés par la pluie plutôt que par la rosée ou
la brume. On trouve d’ailleurs en France
des ouvrages similaires sur les Causses et
sur les points de passage des troupeaux.
Plus près de nous, un homme s’est
intéressé de près à la récupération des
eaux de rosée. Cet homme, c’est Achille
Knapen, un ingénieur Belge membre de
l’Académie des sciences de Belgique et
de la Société des ingénieurs civils de
France. Spécialiste renommé des questions d’hygrométrie, l’homme a révolutionné l’assainissement des bâtiments
sur la base d’une théorie simplissime:
au lieu de s’opposer à l’évacuation de
l’humidité naturelle contenue dans les
murs en s’échinant à les imperméabiliser comme il était alors d’usage de le
faire, il s’attacha au contraire à la faire
sortir. Achille Knapen conçut alors
une cartouche en terre cuite destinée
à être insérée dans l’épaisseur du mur
pour drainer et extraire l’humidité qu’il
contient. Le siphon Knapen venait de
naitre. Il permet, aujourd’hui encore,
d’assainir et finalement de sauver de
nombreux châteaux, abbayes et autres
bâtiments qui n’auraient pas survécu aux
méthodes de conservation de l’époque.
Mais bien qu’unanimement reconnu par
ses pairs pour ce succès, l’homme ne
s’arrête pas là. En janvier 1928 à Alger,
il émet une idée assez iconoclaste en
apparence qui consiste à mettre au point
un dispositif qui serait l’exact inverse du
siphon Knapen: un dispositif qui permettrait de capter l’humidité de l’air pour la
condenser et la ramener à l’état liquide.
L’idée du puits aérien venait de s’imposer.
Un puits aérien pour capter l’humidité de l’air
En 1928, l’idée, pour originale qu’elle
soit, n’est pas tout à fait nouvelle. Mais
la notoriété d’Achille Knapen lui redonne
du lustre. D’autant qu’il reçoit un soutien
de poids de la part d’un autre ingénieur
qui mène une expérience semblable.
Cet ingénieur, Léon Chaptal, construit
au début de l’année 1929 une pyramide tronquée haute de 2,50 mètres
et large de 3 mètres dans le quartier
du Petit Bard à Montpellier. L’ensemble,
constitué de pierres calcaires non marneuses, est recouvert par un revêtement
en béton dans lequel sont ménagés, à
la base et au sommet, des trous d’aération. Sa forme est légèrement inclinée vers le centre et de la partie la plus
basse part un conduit aboutissant à un
réservoir étanche creusé dans le sol.
Chaptal espère récupérer à l’aide de ce
condenseur l’eau de rosée au cours des
six mois les plus chauds de l’année, entre
mai et octobre.
En recherchant un dispositif susceptible
de récupérer l’eau de rosée, les deux
hommes ne partent pas tout à fait dans
l’inconnu. Ils s’appuient largement sur
les travaux menés en Crimée 20 ans
auparavant par un ingénieur russe du
nom Friedrich Zibold.
Friedrich Zibold effectue alors des travaux de terrassement autour de l’ancienne cité de Théodosia en Crimée,
devenue aujourd’hui Féodosiya (Ukraine),
quand il découvre sur les collines entourant la cité une douzaine de pierriers
coniques d’environ 500 m3
de volume
mesurant 25 mètres de long sur 20 de
large et 8 de hauteur. Certains d’entre
eux sont entourés de tuyaux en terre
cuite relayés par un réseau de canalisations menant à l’ancienne cité. Celle-ci
ne disposant d’aucune ressource en
eau ni souterraine ni superficielle,
Friedrich Zibold tire la conclusion que
ces ouvrages sont des condenseurs de
rosée qui servaient à alimenter en eau
potable l’ancienne Théodosia. Selon ses
calculs basés sur le nombre de fontaines
et la section des canalisations, chacun
de ces condenseurs devait fournir environ 55 m3
par jour d’eau potable à la
cité antique. Pour prouver ces dires,
l’homme se mit en tête de construire sur
le site même de Théodosia un condenseur conique de 20 m de diamètre à la
base, 8 mètres de diamètre au sommet
et de 6 m de haut. Le condenseur commença à fonctionner en 1913, et donna
jusqu’à 370 litres d’eau par jour. Mais
le résultat n’était pas à la hauteur des
attentes et le condenseur dû cesser
de fonctionner deux années plus tard
pour cause de fuites. Toujours est-il que
cette réalisation servit de base au projet d’Achille Knapen qui décida de bâtir
son propre puits aérien en France, à
Trans-en-Provence.
Le puits aérien de trans-en-provence
Initialement, Achille Knapen avait conçu
le projet de bâtir son puits aérien en
Algérie ou le climat se caractérise par
de grandes différences thermiques entre
le jour et la nuit et d’importantes variations hygrométriques nécessaires au
fonctionnement de son ouvrage.
Mais des difficultés d’ordre politique l’obligeront à choisir un autre emplacement.
Ce sera finalement à Trans-en-Provence
sur un terrain situé à 180 mètres d’altitude à l’abri du mistral mais exposé
aux vents marins. La construction commence en juillet 1930 et s’achève à la fin
de l’année 1931. Le puits aérien se présente sous la forme d’une construction
ovoïde constituée de plusieurs tonnes
de roches calcaires assemblées selon
la technique des pierres apparentes.
Une enveloppe extérieure d’un diamètre de 12 mètres, d’une hauteur de
13 mètres et d’une épaisseur à la base
de 2,5 mètres, percée de nombreuses
ouvertures abrite le puits proprement
dit. Celui-ci est construit en béton. Son
diamètre extérieur est de 3,20 mètres et
sa hauteur de 9 mètres. Sa face externe
est recouverte de 3.000 ardoises pour
augmenter la surface de condensation. L’axe du puits est occupé par un
tube métallique de 30 cm de diamètre.
Le principe de son fonctionnement
est des plus simples : la nuit, l’air froid
pénètre dans le tube métallique central et remonte dans le vide annulaire
entourant ce tube. Il circule le long de
la masse externe en béton et sort par
les orifices inférieurs de la cloche. Le
jour, l’air pénètre par les orifices supérieurs de l’enveloppe. Il arrive au contact
des ardoises de la masse interne à basse
température, se refroidit et dépose une
partie de son humidité. Les gouttelettes
formées tombent alors sur le plancher
et ruissellent vers une citerne enterrée.
Au Congrès des Ingénieurs Civils qui se
tient à Paris en septembre 1931, Achille
Knapen fait savoir que la construction
de son puits est à peu près terminée
mais qu’il faut attendre que les maçonneries échauffées par la carbonatation
des mortiers aient repris leur température normale. Il table sur une production
d’environ 30.000 litres par jour. Il n’obtiendra finalement qu’à peine 10 litres…
Ruiné, Knapen décède en 1941 laissant
son œuvre inachevée. Mais son puits,
toujours debout, peut encore être
observé aujourd’hui. Il a même été restauré après avoir servi de vespasienne
pendant quelques années…
Les résultats obtenus par la pyramide
tronquée de Chaptal ne sont guère
meilleurs : son installation ne recueillera qu’une centaine de litres en 1930,
année climatiquement favorable, mais
son rendement baissera de moitié les
années suivantes.
L’ouvrage sera finalement détruit en 1969, avant l’abandon
par l’INRA de la Station de physique et
de bioclimatologie agricoles de Bel-Air.
Quant au dispositif d’alimentation de
la cité antique de Théodosia par des
condenseurs de rosée, il s’avérera en
réalité qu’il ne s’agissait que de simples
nécropoles antiques…
Suite à ces échecs et du fait des deux
guerres mondiales, les recherches sur la
récupération des eaux de rosée seront
provisoirement mises entre parenthèses.
Jusqu’à ce que certains scientifiques,
observant de près le fonctionnement
de la nature, comprennent les causes
de l’échec de Zibold, Knapen et Chaptal.
Leurs condenseurs, de masse calorifique
trop importante, ne permettaient pas
un refroidissement suffisamment efficace. Et si Friedrich Zibold a obtenu
des résultats supérieurs à Knapen et
Chaptal, c’est tout simplement parce que
son condenseur était composé de galets
ronds, permettait ainsi un refroidissement rapide des couches externes et
que cet empilement n’autorisait que de
faibles contacts thermiques entre galets.
Aujourd’hui, nous savons que le condenseur de rosée idéal se trouve finalement à
l’exact opposé des théories du siècle dernier qui se fondaient sur des constructions massives. Pour fonctionner
correctement, le condenseur doit être
léger pour se refroidir rapidement la nuit,
à l’image de l’herbe que nous découvrons
couverte de rosée le matin…
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