Le service public de l’assainissement francilien (SIAAP), via sa Direction du Développement et Prospective, a mis en œuvre un projet de recherche (2013-2015) visant à étudier l’efficacité de différentes technologies de traitement tertiaire vis-à-vis des micropolluants émergents encore présents dans les rejets de station d’épuration (STEP) malgré le traitement dans les filières conventionnelles. Dans le cadre de ce projet, un suivi important de la présence de 78 micropolluants émergents a été réalisé dans les eaux rejetées à la Seine par l’agglomération parisienne en collaboration avec les équipes du Laboratoire Eau, Environnement et Systèmes Urbains (LEESU) et de l’Institut des Sciences Analytiques (ISA) de Villeurbanne. Les différentes campagnes de mesure, effectuées sur deux STEP du SIAAP contribuant à hauteur de 70?% aux débits rejetés à la Seine par l’agglomération parisienne, ont permis de dresser une cartographie riche et détaillée des micropolluants encore présents dans les rejets des filières conventionnelles. La classification des composés montre que la plupart des polluants mesurés se trouve soit dans la catégorie correspondant à une fréquence de quantification inférieure à 50?% et une concentration inférieure à 100 ng/L, soit dans la catégorie correspondant à une fréquence de quantification supérieure à 50?% et une concentration supérieure à 100 ng/L. Les 23 composés qui composent ce dernier groupe sont donc présents de manière récurrente à des niveaux significatifs dans les rejets d’eau résiduaire urbaine traitée, ils sont par conséquent particulièrement intéressants à suivre dans le contexte du traitement tertiaire des eaux usées. Étant donné le nombre de campagnes et le nombre de composés, ces résultats constituent une base de données importante et intéressante pour appréhender la qualité des rejets de STEP en polluants émergents.
La Directive Cadre sur l’Eau (2000/60/CE) demande aux états membres de l’Union Européenne de restaurer le bon état écologique et chimique des eaux souterraines et superficielles. Pour atteindre ce bon état, des efforts importants sont consentis depuis de nombreuses années pour diminuer les rejets urbains de temps de pluie et pour accroître l’efficacité des filières de traitement des eaux usées par temps sec, notamment par l’intégration d’ouvrages de traitement biologique de l’azote. Ces améliorations ont conduit à une diminution sensible et quantifiable des flux de nutriments (carbone, azote et phosphore) et microorganismes (bactéries fécales) introduits dans le milieu naturel (Paffoni et Rousselot 2008 ; Gonçalves et al. 2009).
Ces actions d’aménagement et de modernisation des infrastructures permettent aussi de réduire les apports de micropolluants organiques et minéraux dans le milieu récepteur. En effet, les ouvrages de traitement physico-chimique et biologique des eaux usées permettent d’éliminer via différents processus (piégeage par sédimentation, biodégradation, volatilisation, etc.) une part significative des micropolluants présents dans les eaux résiduaires urbaines. En particulier, il a récemment été montré que les traitements conventionnels physico-chimiques ou biologiques éliminent efficacement les micropolluants hydrophobes, volatils et facilement biodégradables (Gilbert et al. 2011 ; Rocher et al. 2011 ; Ruel et al. 2012 ; Mailler et al. 2014). Néanmoins, en dépit des performances des filières de traitement conventionnelles, les eaux de rejet véhiculent encore des traces de micropolluants. En particulier, les résidus médicamenteux, les pesticides et les produits cosmétiques restent détectables dans les rejets de STEP (Miège et al. 2009 ; Deblonde et al. 2011 ; Verlicchi et al. 2012 ; Loos et al. 2013 ; Margot et al. 2013 ; Luo et al. 2014).
Dans ce contexte, le service public de l’assainissement francilien (SIAAP), via sa Direction du Développement et de la Prospective, a engagé un projet de recherche (2013-2015) visant (1) à quantifier les micropolluants émergents présents dans les rejets de STEP de l’agglomération parisienne et (2) à étudier l’efficacité de différentes technologies de traitement tertiaire vis-à-vis de ces micropolluants (oxydation catalytique et adsorption sur charbon actif).
Cet article vise à faire un bilan des résultats de ce programme de recherche en ce qui concerne les fréquences de quantification et les concentrations des micropolluants émergents dans les rejets des filières conventionnelles des STEP de l’agglomération parisienne. Ce travail est réalisé en étroite collaboration avec les équipes du Laboratoire Eau, Environnement et Systèmes Urbains (LEESU) dans le cadre du programme de recherche OPUR (Observatoire des Polluants URbains), et de l’Institut des Sciences Analytiques (ISA) du CNRS (UMR 5280, Villeurbanne). Les résultats relatifs à l’efficacité des traitements tertiaires en STEP ont quant à eux été publiés dans des revues nationales (Rocher et al. 2014) et internationales (Mailler et al. 2015 ; Mailler et al. 2016).
Matériels et méthodes
Rejets de STEP étudiés
Les eaux usées étudiées sont les eaux de rejet des usines du SIAAP de Seine Aval (Achères, 78) et Seine Centre (Colombes, 92). Les eaux de rejet de ces deux STEP représentent environ 70 % des volumes d’eaux usées traitées rejetées à la Seine par l’agglomération parisienne.
L’usine de Seine Aval reçoit par temps sec 1.700.000 m³ d’eaux usées par jour. L’eau subit tout d’abord un prétraitement par dégrillage, dessablage et déshuilage, puis un traitement primaire par décantation simple permettant l’élimination des matières en suspension. L’eau décantée alimente ensuite des bassins de boues activées forte charge permettant l’élimination du carbone. Après clarification des boues activées, l’eau subit par la suite une décantation physico-chimique lestée permettant l’élimination du phosphore. Enfin, un traitement biologique par biofiltration permet l’élimination de l’azote par nitrification et post-dénitrification. L’eau traitée est rejetée à la Seine. Par ailleurs, une petite partie des eaux ayant subi la décantation simple alimentait à l’époque de l’étude un pilote de traitement biologique à boues activées aération prolongée et déphosphatation biologique.
L’usine de Seine Centre reçoit par temps sec 240.000 m³ d’eaux usées par jour. L’eau subit tout d’abord un prétraitement par dégrillage, dessablage et déshuilage, puis un traitement primaire par décantation physico-chimique lamellaire. Par la suite, un traitement biologique par biofiltration en trois étages assure l’élimination du carbone et de l’azote. Le premier étage réalise l’élimination du carbone, le second étage permet la nitrification et le troisième étage la dénitrification. L’eau traitée est rejetée à la Seine.
Les effluents étudiés sont de trois types. Le premier effluent (effluent 1) correspond au rejet de l’usine de Seine Centre, le second effluent (effluent 2) correspond à l’effluent en sortie du pilote de traitement par boues activées aération prolongée à Seine Aval et le troisième effluent (effluent 3) correspond au rejet de l’usine Seine Aval.
Suivi des rejets de STEP
Stratégie et protocole d’échantillonnage
Une série de 32 campagnes d’échantillonnage a été réalisée sur l’effluent 1 (juin 2013 - avril 2015), 20 campagnes pour l’effluent 2 (juillet 2014 - avril 2015) et 16 campagnes pour l’effluent 3 (juin – octobre 2013). L’échantillonnage a été effectué à l’aide de préleveurs automatiques réfrigérés, équipés de tuyaux en Téflon®, et asservis au débit. Les échantillons moyens 24 h ont été collectés dans des flacons en verre de 20 L, préalablement lavés et grillés. Les échantillons ont été homogénéisés et conditionnés dans différents flacons en verre afin d’être expédiés aux différents laboratoires analytiques partenaires. Les échantillons ont été analysés sous 48 h après le début du prélèvement.
Composés recherchés et protocoles analytiques
Sur l’ensemble des échantillons (n=68, avec n pour le nombre de campagnes), les paramètres classiques de qualité des eaux ont été mesurés par le laboratoire d’analyse du SIAAP (accrédité COFRAC). La couleur de l’eau, le carbone organique dissous (COD), les demandes chimique (DCO) et biochimique en oxygène (DBO5), l’absorbance UV à 254 nm (UV-254), l’azote Kjeldahl total (NTK), les ions NH4+, NO2-, NO3-, PO43-, le phosphore total (Ptot) et les matières en suspension (MES) ont été systématiquement analysés. Enfin, l’azote global (NGL) a été calculé à l’aide des différentes composantes de la pollution azotée.
De plus, un total de 78 micropolluants émergents a été recherché dont un panel de 62 résidus pharmaceutiques et hormones (RPHs) (Tableau 1). Parmi ces substances, 55 ont été systématiquement recherchées lors de toutes les campagnes (n=68) : analgésiques, antibiotiques, bétabloquants, diurétiques, hormones, hypolipémiants, certaines substances psychoactives, certains pesticides et quelques autres substances telles que le bisphénol A, le PFOS et le PFOA. Étant donné les faibles concentrations en MES et la nature des molécules, les polluants n’ont été analysés que dans la phase dissoute des échantillons (filtration à 0,7 µm sur filtres GF/F Whatman® en fibres de verre) par l’Institut des Sciences Analytiques (ISA). Par ailleurs, un panel de 23 autres micropolluants organiques émergents a été recherché dans la fraction dissoute lors de certaines campagnes relatives à l’effluent 1. Il s’agit d’agents de contraste (N=5, avec N pour le nombre de molécules), d’édulcorants artificiels (N=4), de pesticides et biocides (N=6) et de substances psychoactives (N=2). L’ensemble de ces composés a été analysé par le laboratoire CARSO à l’exception de l’atrazine, diuron et isoproturon (ISA), et des édulcorants artificiels (TZW, Karlsruhe, Allemagne).
L’ensemble des composés recherchés par l’ISA a été analysé par LC-MS/MS (chromatographie liquide couplée à un spectromètre de masse en tandem) à l’exception des pesticides et biocides, analysés par GC-MS (chromatographie gazeuse couplée à un spectromètre de masse). Les méthodes d’extraction A, B et C développées par l’ISA ont été adaptées de (Vulliet et al. 2011) et (Barrek et al. 2009). La méthode analytique A (tableau 1) consiste en une extraction sur phase solide (SPE) sur cartouche Oasis HLB (Waters®) préalablement conditionnée avec du méthanol et de l’eau ultra pure. Après rinçage à l’eau ultra pure et séchage, la cartouche est éluée par du dichlorométhane puis l’échantillon est évaporé à sec avant d’être repris dans un mélange eau ultra pure/méthanol contenant 100 µg/L de phénacétine-13C, l’étalon interne d’injection. La méthode analytique B (Tableau 1) est identique à la méthode A à l’exception d’un ajout d’acide citrique à 5 mmol/L à l’échantillon avant extraction, et de l’élution qui se fait au méthanol. La méthode analytique C (Tableau 1) est identique à la méthode A à l’exception de l’élution qui se fait au méthanol et à l’éthylacétate.
Les analyses effectuées au TZW et à CARSO ont été réalisées via des prestations analytiques. Les composés recherchés par le TZW (édulcorants artificiels) ont été analysés par LC-MS/MS après une extraction en phase solide sur cartouche Bakerbond SDB1. Les composés recherchés par CARSO ont été analysés par LC-MS/MS, LC-FLD (chromatographie liquide couplée à un détecteur de fluorescence) ou GC-MS.
Résultats et discussion
Qualité globale des eaux de rejet de l’agglomération parisienne
Selon les STEP, le niveau de traitement induit une qualité de l’eau de rejet pouvant être fortement différente. De plus, il a été démontré qu’un grand nombre de micropolluants subissent un abattement dans les filières conventionnelles de traitement du fait de l’élimination des particules ou du traitement biologique (Mailler et al. 2014). La connaissance de la qualité globale des eaux étudiées au regard des polluants conventionnels (MES, carbone, azote, phosphore) est donc nécessaire à l’interprétation des concentrations en micropolluants retrouvées dans les eaux de rejet. Les résultats en paramètres globaux obtenus sur les trois effluents du SIAAP étudiés sont donc fournis sur la Figure 1, l’effluent 1 correspondant au rejet de l’usine de Seine Centre, l’effluent 2 à l’eau traitée par boues activées aération prolongée à Seine Aval et l’effluent 3 au rejet de l’usine Seine Aval. Les données sont représentées sous forme de boîtes à moustaches lorsque plus de 5 valeurs sont disponibles et sous forme de points dans le cas inverse. Les extrémités des moustaches sur la figure 1 correspondent aux minimum et maximum, les extrémités des boîtes aux premier et troisième quartile, et la barre verticale dans la boîte à la médiane. Les traits en pointillés rouges correspondent aux limites de quantification.
Globalement, les paramètres globaux de ces effluents témoignent du fort niveau de traitement des STEP étudiées pour les MES ou les nutriments, du fait des unités de décantation physico-chimique et de traitement biologique poussé de l’azote par biofiltration. Les paramètres globaux observés pour les trois effluents sont en particulier bien en dessous des valeurs limites de rejet définies par les arrêtés du 3 et 22 novembre 1994 (Boeglin 1998). Cela indique que les eaux étudiées ont subi des traitements poussés et efficaces, ayant pour résultat une bonne qualité d’eau dans le référentiel des eaux usées, ce qui doit être considéré dans l’analyse des concentrations en micropolluants retrouvées. La qualité globale de l’eau est légèrement meilleure que d’autres effluents à traitement biologique poussé par boues activées sur lesquels des empreintes de contamination en micropolluants émergents ont récemment été publiées en Suisse (Margot et al. 2013) ou en Espagne (Radjenovic et al. 2009) par exemple.
Les paramètres de qualité de ces trois effluents sont par ailleurs assez procches, notamment pour les PO43- et le Ptot (< 1 mgP/L), les MES (< 10 mg/L), le NTK (< 6 mgN/L) ou la DBO5 (< 10 mgO2/L). Pour les paramètres azotés, les trois effluents ont subi une nitrification poussée, se traduisant par des concentrations médianes en NH4+ comparables et très faibles (< 1 mgN/L). Les trois effluents possèdent également des concentrations en nitrites limitées (< 1 mgN/L), témoignant de bonnes conditions de dénitrification.
Ces résultats mettent néanmoins en évidence de légères différences de qualité générale entre les trois effluents, même si la qualité globale est équivalente. C’est le cas pour le carbone, avec l’effluent 2 qui a subi l’élimination du carbone la plus poussée (DCO, DBO5 et COD), pour le particulaire, avec l’effluent 3 qui a une concentration médiane en MES plus élevée que les deux autres, ou pour les NO3-, avec l’effluent 3 qui a des concentrations significativement plus faibles que les deux autres, laissant penser que la dénitrification y est plus complète.
Ainsi, malgré quelques différences légères de qualité s’expliquant par des différences de procédés de traitement, l’observation des paramètres globaux permet de mettre en évidence une qualité globale des trois effluents relativement similaire.
Concentrations en micropolluants émergents dans les rejets de STEP
Étant donné le niveau de qualité globalement similaire des trois effluents étudiés, les concentrations en micropolluants émergents ont été rassemblées sur la figure 2 qui synthétise les concentrations moyennes en polluants, avec les barres d’erreur représentant l’écart-type (calculé seulement pour les composés avec trois valeurs ou plus), en fonction de leur fréquence de quantification dans l’ensemble des campagnes menées sur les trois effluents. Il est important de rappeler que les agents de contraste, les édulcorants artificiels et certains pesticides et biocides (AMPA, benzotriazole, glyphosate, métaldéhyde, mécoprop, terbutryne), en italique sur la figure 2 n’ont été suivis que dans l’effluent 1 sur un nombre restreint de campagnes (N=4-7 campagnes).
Globalement, 51 micropolluants émergents ont été quantifiés dans les effluents de STEP de l’agglomération parisienne au cours des 68 campagnes, dont 32 résidus pharmaceutiques et hormones (RPHs). Parmi eux, 13 composés sont quantifiés très fréquemment (> 90%), dont 9 systématiquement (acésulfame, AMPA, benzotriazole, carbamazépine, iohéxol, iopromide, ofloxacine, saccharine, sucralose). Au contraire, 27 composés n’ont jamais été quantifiés (< LQ), dont 6 hormones (sur 10) et 14 antibiotiques (sur 31). Les composés jamais quantifiés sont identifiés dans le tableau 1 par un astérisque.
D’après la figure 2, 4 groupes de composés peuvent être définis au regard de leurs concentrations moyennes et fréquences de quantification dans les effluents de STEP : (1) les composés à fréquence de quantification (< 50%) et concentration (< 100 ng/L) modérées, (2) les composés à fréquence de quantification modérée (< 50%) et concentration élevée (> 100 ng/L), (3) les composés à fréquence de quantification élevée (> 50%) et concentration modérée (< 100 ng/L), et (4) les composés à fréquence de quantification (> 50%) et concentration (> 100 ng/L) élevées.
Cas des composés à fréquence de quantification et concentration modérées (groupe 1)
Le groupe 1, qui regroupe les composés dont la fréquence de quantification est inférieure à 50 % et la concentration moyenne inférieure à 100 ng/L, est composé de 17 polluants émergents. Parmi eux, on trouve 8 antibiotiques (éconazole, marbofloxacine, monensine, sulfadiazine, sulfadiméthoxine, sulfaméter, sulfathiazole et tétracycline), 4 hormones (androstènedione, 17-α- et 17-β-œstradiols et œstrone), 3 pesticides et biocides (isoproturon, métaldéhyde et terbutryne), le PFOA et le PFOS. Parmi ces derniers, l’isoproturon (32 ± 20 ng/L - 7 % ; moyenne ± écart-type - fréquence de quantification), le PFOS (32 ± 20 ng/L - 43 %) et le terbutryne (33 ± 10 ng/L - 44 %) font partie de la liste des composés prioritaires de la DCE alors que le 17-β-œstradiol (14 ± 4 ng/L - 6 %) et l’œstrone (10 ± 6 ng/L - 47 %) sont sur la liste de vigilance (2013/39/UE). L’éconazole, la monensine, le sulfaméter et le sulfathiazole sont mesurés à des concentrations toujours inférieures à 10 ng/L.
De faibles concentrations ont déjà été observées dans les effluents de STEP pour la majorité des composés de ce groupe, notamment les hormones (Miège et al. 2009 ; Margot et al. 2013), sulfadiazine, sulfadiméthoxine et sulfathiazole (Verlicchi et al. 2012), PFOA et PFOS (Ahrens et al. 2009 ; Bossi et al. 2008), isoproturon et terbutryne (Margot et al. 2013 ; Campo et al. 2013). Cependant, les concentrations obtenues dans les effluents du SIAAP pour la tétracycline sont sensiblement inférieures à ceux de la littérature où des concentrations nettement au-dessus de 100 ng/L ont été présentées (Deblonde et al. 2011 ; Miège et al. 2009 ; Verlicchi et al. 2012).
Les fréquences de quantification et concentrations modérées de ces composés signifient qu’ils sont (1) faiblement consommés ou utilisés par la population, et/ou (2) qu’ils sont plutôt bien éliminés par les traitements conventionnels. Indépendamment de toute considération de toxicité, ces composés n’apparaissent pas comme étant les plus sensibles et pertinents à suivre dans le cadre de l’évaluation des technologies de traitement tertiaire.
Cas des composés à fréquence de quantification modérée et concentration élevée (groupe 2)
Le groupe 2, qui regroupe les composés dont la fréquence de quantification est inférieure à 50 % et la concentration moyenne supérieure à 100 ng/L, est composé de 8 polluants émergents. Parmi eux on trouve 5 RPHs, incluant l’acétaminophène (3 622 ± 3 283 ng/L - 16 %), le bézafibrate (151 ± 193 ng/L - 32 %), le furosémide (481 ng/L - 3 %), l’ibuprofène (241 ± 409 ng/L - 35 %) et le naproxène (325 ± 128 ng/L - 19 %), ainsi que le bisphénol A (126 ± 117 ng/L - 44 %), le cyclamate (240 ng/L - 20 %) et l’acide iothalamique (1 200 ng/L - 10 %).
L’acétaminophène, l’ibuprofène et le naproxène sont connus pour être relativement bien biodégradés (> 70%) au cours du traitement biologique (Choubert et al. 2011 ; Deblonde et al. 2011 ; Margot et al. 2013). De plus, les trois effluents étudiés ont subi une nitrification poussée (cf. NH4+ - Figure 1) et cette étape du traitement est l’étape cruciale dans la biodégradation des micropolluants biodégradables (Carballa et al. 2011 ; Clara et al. 2005 ; Fernandez-Fontaina et al. 2012). Ainsi, malgré leur bonne élimination par les traitements conventionnels de STEP, ces trois composés sont parfois quantifiés dans les effluents, et ce à de hautes concentrations. Cela pourrait s’expliquer par des baisses ponctuelles des performances des traitements biologiques. Comme ces composés ont des concentrations dans les eaux brutes plutôt élevées (Miège et al. 2009 ; Deblonde et al. 2011), une légère baisse de performances expliquerait leur quantification à des concentrations importantes dans les rejets. Cela se traduit notamment par une concentration d’acétaminophène très variable, tantôt pas quantifié et tantôt quantifié à plusieurs µg/L, ce composé étant particulièrement sensible à la biodégradation et étant fortement consommé par la population.
Le bézafibrate et le bisphénol A sont moyennement (30-70 %) abattus au cours des traitements conventionnels (Choubert et al. 2011 ; Deblonde et al. 2011 ; Margot et al. 2013). Leur faible fréquence de quantification ne résulte donc pas seulement de leurs concentrations modérées dans les eaux brutes (Miège et al. 2009 ; Deblonde et al. 2011 ; Margot et al. 2013), mais également de l’abattement réalisé par la STEP.
En termes de données comparatives dans la littérature, les concentrations retrouvées pour les polluants de ce groupe sont toutes comparables à celles de la littérature à l’exception de l’acétaminophène pour qui les autres études rapportent des niveaux plus faibles (Miège et al. 2009 ; Deblonde et al. 2013 ; Luo et al. 2014 ; Margot et al. 2013).
Cas des composés à fréquence de quantification élevée et concentration modérée
Le groupe 3, qui regroupe les composés dont la fréquence de quantification est supérieure à 50 % et la concentration moyenne inférieure à 100 ng/L, est seulement composé de 3 polluants émergents : le lorazépam (22 ± 24 ng/L - 88 %), le glyphosate (84 ± 37 ng/L - 67 %) et le mécoprop (37 ± 19 ng/L - 67 %). Parmi eux, le glyphosate fait partie de la liste des polluants prioritaires de la DCE.
Pour le lorazépam, la quantité de données bibliographiques est très faible. Cependant, la seule étude disponible permettant une comparaison (Verlicchi et al. 2012) rapporte des concentrations nettement plus élevées, en moyenne 200 ng/L. Au contraire, les concentrations retrouvées en mécoprop sont très cohérentes avec les niveaux évoqués dans la littérature (Loos et al. 2013 ; Köck-Schulmeyer et al. 2013).
Ces composés, bien qu’ayant des concentrations moyennes modérées voire faibles (< 100 ng/L), sont quantifiés très fréquemment (67-88 %), ils sont par conséquent pertinents à suivre dans le cadre de l’évaluation des traitements tertiaires en STEP.
Cas des composés à fréquence de quantification et concentration élevées
Enfin, le groupe 4, qui regroupe les composés dont la fréquence de quantification est supérieure à 50 % et la concentration moyenne supérieure à 100 ng/L, est composé de 23 polluants émergents. Il regroupe 7 antibiotiques (ciprofloxacine, érythromycine, ofloxacine, norfloxacine, roxithromycine, sulfaméthoxazole et triméthoprime), 2 bêtabloquants (aténolol et propranolol), 2 anti-inflammatoires (diclofénac et kétoprofène), 3 substances psychoactives (carbamazépine, gabapentine et oxazépam), 3 pesticides et biocides (AMPA, benzotriazole et diuron), 3 édulcorants artificiels (acésulfame, saccharine et sucralose) et 3 agents de contraste (iohéxol, iopromide et iopamidol). Parmi eux, l’érythromycine et le diclofénac font partie de la liste de vigilance de la DCE. Le sulfaméthoxazole (826 ± 852 ng/L - 99 %), le diclofénac (778 ± 746 ng/L - 91 %), l’ofloxacine (729 ± 485 ng/L - 100 %), l’aténolol (389 ± 244 ng/L - 96 %), l’AMPA (710 ± 317 ng/L - 100 %), le benzotriazole (2 810 ± 481 ng/L - 100 %), l’acésulfame (5 030 ± 3 286 ng/L - 100 %), la saccharine (681 ± 672 ng/L - 100 %), la sucralose (7 780 ± 1 000 ng/L - 100 %), l’iohéxol (8 925 ± 4 840 ng/L - 100 %) et l’iopromide (5 193 ± 2 719 ng/L - 100 %) sont mesurés à des concentrations importantes et à des fréquences de quantification de plus de 90 %. Les autres composés sont tous mesurés à des concentrations moyennes comprises entre 100 et 2 400 ng/L. Par ailleurs, la forte fréquence de quantification et la concentration moyenne élevée du diuron malgré son interdiction partielle tend à démontrer l’utilisation de ce composé pour de nombreuses autres applications qu’en agriculture (peintures, revêtements, etc.).
Les concentrations observées pour les RPHs de ce groupe sont cohérentes avec la littérature, notamment pour l’aténolol, le diclofénac, la gabapentine ou le triméthoprime (Miège et al. 2009 ; Deblonde et al. 2011 ; Margot et al. 2013). Au contraire, les concentrations observées en sulfaméthoxazole et ofloxacine sont légèrement plus élevées que dans la littérature, alors que la carbamazépine et le kétoprofène apparaissent moins concentrés (Miège et al. 2009 ; Deblonde et al. 2011 ; Margot et al. 2013). De plus, le kétoprofène, l’oxazépam, l’ofloxacine et le propranolol sont quantifiés à des fréquences beaucoup plus élevées que dans l’étude de (Margot et al. 2013), qui avaient également réalisés un grand nombre de campagne sur un effluent de traitement à boues activées forte charge à Lausanne (Suisse). Ces différences peuvent probablement s’expliquer par les différences de pratiques entre pays et des filières de traitement des eaux différentes, au moins en partie. En ce qui concerne les agents de contraste, de fortes concentrations ont également été retrouvées dans d’autres études (Margot et al. 2013 ; Deblonde et al. 2011) tout comme pour les édulcorants artificiels (Loos et al. 2013 ; Buerge et al. 2009). Enfin, les concentrations retrouvées en benzotriazole sont tout à fait conformes aux résultats de la littérature scientifique (Loos et al. 2013 ; Ahrens et al. 2009) alors que le diuron est retrouvé à des niveaux plus forts dans l’agglomération parisienne que dans d’autres pays (Loos et al. 2013 ; Ahrens et al. 2009 ; Bossi et al. 2008).
Les fréquences de quantification et concentrations élevées de ces composés signifient qu’ils sont (1) fortement consommés ou utilisés par la population, et/ou (2) qu’ils sont plutôt mal éliminés par les traitements conventionnels. Indépendamment de toute considération de toxicité, ces composés apparaissent donc comme étant les plus sensibles et pertinents à suivre dans le cadre de l’évaluation des technologies de traitement tertiaire. De plus, leur élimination en STEP passe a priori par l’application de technologies tertiaires spécifiques.
Conclusions et perspectives
Le projet initié par le SIAAP en partenariat avec le LEESU et l’ISA visant à étudier l’efficacité de différentes technologies de traitement tertiaire en STEP a permis de mettre en évidence les polluants émergents présents dans les rejets des filières conventionnelles des STEP de l’agglomération parisienne. L’empreinte en micropolluants émergents, notamment les résidus pharmaceutiques et hormones (RPHs), a ainsi pu être dressée pour un grand nombre d’échantillons (n=68) prélevés sur trois effluents de deux STEP correspondant à 70 % des débits d’eaux usées traitées rejetés en Seine par l’agglomération parisienne. Celle-ci met en évidence quatre groupes de polluants en fonction de leurs fréquences de quantification dans les échantillons et de leurs concentrations moyennes. Il apparaît que la plupart des composés sont classés dans les groupes 1, correspondant à une fréquence de quantification inférieure à 50 % et une concentration inférieure à 100 ng/L, et 4, correspondant à une fréquence de quantification supérieure à 50 % et une concentration supérieure à 100 ng/L. En particulier, le groupe 4 regroupe 23 polluants, dont 17 RPHs, qui apparaissent comme étant les composés les plus pertinents à suivre dans l’optique de l’évaluation des performances épuratoires des procédés tertiaires, en dehors de toute considération réglementaire et de toxicité. Étant donné le nombre de polluants recherchés, le nombre d’échantillons analysés et les effluents étudiés, les résultats de ce travail contribueront à la meilleure connaissance de la contamination des rejets de STEP par les micropolluants et à l’identification des polluants les plus pertinents à suivre en cas de mise en place d’une filière tertiaire de traitement des eaux usées. Par ailleurs, la comparaison des résultats à d’autres études de la littérature scientifique et technique conforte les résultats obtenus puisque les concentrations observées sont dans la grande majorité des cas en adéquation.
Remerciements
Les auteurs remercient Céline Briand (SIAAP) ainsi que la cellule technique du LEESU et les équipes de l’ISA pour leur participation aux campagnes d’échantillonnage et aux analyses des échantillons.