Des chênes et des pins maritimes s’y trouvaient principalement. Des châtaigniers, des charmes, des hêtres, des bouleaux, des frênes, des oiseaux nicheurs, des amphibiens et des insectes l’habitent désormais, témoignant de la stratégie de gestion que l’ONF met en œuvre face au changement climatique. Nous sommes dans la forêt domaniale de Moulière, le plus grand espace forestier du département de la Vienne.
C ’est une histoire d’eau un peu
particulière que celle de cette
forêt mosaïque de plus de
8000 hectares située à 15 km de Poitiers.
La forêt domaniale de Moulière, puisque
c’est d’elle dont il est question, tire son
nom des pierres à moulin qui étaient
extraites de son sol argileux. Dans sa
partie nord, elle abrite un paysage de
landes à mares qui fait partie de la
réserver naturelle du Pinail, labellisée
RAMSAR depuis 2022.
La forêt de Moulière n’est pas seulement une ancienne forêt royale composée de peuplements de feuillus et de
résineux, de landes à bruyères et milieux
humides, mais l’illustration de la stratégie d’adaptation aux effets du changement climatique que l’ONF déploie
depuis 2018.
UNE DÉCENNIE MOUVEMENTÉE
En théorie, il pleut chaque année près de
450 milliards de m3
d’eau sur la France
métropolitaine, soit un peu plus de
800 litres par m2. Considérant qu’un
mètre cube de bois produit dans ses
forêts nécessite 150 mètres cube d’eau
transpirés par les arbres, la forêt française transpire près de 13 milliards de
m3
d’eau chaque année.
Dans la pratique, depuis 2018, les
forêts ont soif. L’une des conséquences
majeures du changement climatique est
selon le dernier bilan de l’IGN le phénomène lent de dépérissement de certains peuplements qui a entraîné une
division par deux du puits de carbone
forestier en 10 ans.
De fait, les sécheresses estivales et
hivernales aggravées par des températures élevées ont affecté plus de
300000 hectares de forêts publiques
dont 50000 hectares fortement détruits,
démontrant que sous l’effet du climat,
de l’augmentation de biomasse sèche ou
d’érosion sur les pentes, les questions
de sécurité et de risques se renforcent
en France.
«Si 2022 a été une mauvaise année pour
les forêts dans notre pays, il a été très
bien expliqué et démontré que ça n’était
pas une catastrophe mais que c’était
un état de risque qui s’était matérialisé
sous forme de catastrophe, du fait d’un
contexte météorologique dans le cadre
de l’évolution du changement climatique,
introduit Jean-Yves Caullet, président
du conseil d’administration de l’ONF
lors de la visite de presse consacrée à
la forêt mosaïque. C’est l’augmentation
de ce risque, sa montée vers le nord et sa
surrection plus fréquente qui occasionne
ainsi la catastrophe».
Due à l’Homme et face à la violence
du choc thermique anticipé à horizon
2100, la course à l’adaptation au changement climatique justifie qu’on fasse
revivre cet écosystème précieux par
une stratégie d’adaptation reposant sur
l’intervention humaine explique Valérie
Métrich-Hecquet, directrice générale de
l’Office. Et d’insister sur «une stratégie qui soit graduée, proportionnée au
risque, car on ne fait pas la même chose
au même endroit, et fondée sur la diversité, comme condition de la résilience».
Il faut dire qu’une enquête effectuée en
2019 auprès de 171 unités territoriales
a révélé que sur 9343 forêts étudiées,
45% d’entre elles étaient en situation
de dépérissement particulièrement sur
le Grand Est, la Bourgogne-Franche-Comté, le nord des Alpes, la Normandie
et la Picardie.
MOULIÈRE, GRAND INTÉRÊT
SCIENTIFIQUE ET ÉCOLOGIQUE
Si la forêt domaniale de Moulière intéresse les forestiers et les chercheurs,
c’est qu’elle constitue une base d’observation et de connaissance intéressante
à plus d’un titre. A travers 4 parcelles
représentatives de milieux forestiers,
elle est idéalement située pour étudier
les phénomènes liés à l’alternance des
essences. De plus, elle est révélatrice
des mesures de gestion visant à renforcer la vitalité de l’écosystème forestier.
Mais surtout, elle s’appuie sur l’outil de
compatibilité climatique ClimEssences,
développé par les équipes de chercheurs
de l’ONF et du Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui guide dans
le choix des espèces et la stratégie de
réponse graduée au risque à mettre en
œuvre, souligne Albert Maillet, directeur
forêts et risques naturels.
«Car, si on
est certain de la trajectoire climatique,
on n’en connait pas pour autant bien les
détails. Aussi on se projette dans des scénarios probables basés sur un réchauffement qui peut aller jusqu’à 4 °C d’ici 2100
pour disposer d’une palette de combinaisons essences/hétérogénéité des traitements sylvicoles. En croisant les 128
essences forestières recensées en France
aux quatre zones biogéographiques alpine, méditerranéenne, atlantique
et continentale-, l’outil ClimEssences
génère près de 4 millions de réponses,
ce qui nous permet d’affiner les diagnostics et les modes de gestion à privilégier dans l’espace et dans le temps ».
Face à cette tempête silencieuse, la
forêt française a de quoi résister, rassurent les spécialistes de l’ONF. Elle est
diversifiée en essences et hétérogène
en structure comparée à d’autres forêts
européennes.
LA PREUVE PAR 4
Sur la parcelle de futaie régulière
représentative de chênes, ici, un travail particulier a été mené par les techniciens de l’ONF autour de fruitiers
et surtout de hêtres (plantés en sous
étage) et de charmes dont la présence
a été privilégiée afin d’augmenter la
diversité dans le gainage des chênes
et la biodiversité associée. C’est en
effet sur cette parcelle de 12 hectares, dans le sud du bassin ligérien,
que l’on peut retrouver les plus beaux
peuplements de chênes d’Europe et du
monde. Inscrite dans les peuplements
classés pour la récolte des glands du
chêne sessile, le réseau national de
suivi RENECOFOR, étudie la réaction de l’écosystème de cette parcelle
depuis 25 ans.
Un peu plus loin, sur la parcelle de futaie
irrégulière composée d’une dizaine d’essences, le dépérissement des châtaigniers en lien avec l’analyse des zones
plus ou moins humides ou limoneuses,
a conduit à favoriser la diversité des
essences et la représentativité de toutes
les classes d’âge. On trouve donc au
sein de cette station de 8 hectares, des
chênes qui côtoient des pins maritime
et laricio, des châtaigniers, des alisiers
torminaux, des charmes, des hêtres, des
bouleaux, des frênes à des degrés de
maturité divers.
Sur la parcelle de 7 hectares qui abritait historiquement des pins sylvestres
et des chênes sessiles adultes, le choix
de la régénération par dosage lumineux
a été privilégié. En effet, du fait des été
plus chauds et secs, la proximité des
deux essences crée un conflit d’usage,
menant à une évapotranspiration plus
importante chez le pin sylvestre qui a
donc tendance à dépérir en présence
du chêne. Bénéficiant du plan France
Relance destiné au reboisement des
forêts françaises, ici l’ONF a misé sur
l’introduction du chêne sessile en provenance de Turquie et du chêne pubescent,
pour rendre la parcelle la plus résiliente
possible.
Dans un premier temps, pour
protéger les arbustes de la faune qui raffole des jeunes pousses notamment, des
gaines de protections ont été posées par
les techniciens de l’ONF, renchérissant
le prix des plans mécaniquement.
Au nord de la forêt de Moulière, la Petite
Forêt constitue probablement l’héritage de peuplements de pins maritimes semés dans les années 70 ans,
pour transformer 1000 ans d’extraction
de pierres meulières puis de surexploitation pour la fourniture de bois et de
pâturage. Ce paysage de landes est aussi
saturé en mares. «Ici, l’enjeu de restauration de la parcelle n’est pas sylvicole,
assure Magalie Crèvecoeur, responsable
environnement de l’agence Territoriale
Poitou-Charentes de l’ONF. Il est de restaurer 15 hectares de landes à mare et son
potentiel faunistique et floristique, ce qui
au regard des peuplements est un pari
assez risqué».
Sur 4 zones, la mission
drones qui a eu lieu en décembre 2021
a révélé plus de 600 mares. Le travail
intermittent pendant 18 mois qui a bénéficié du soutien du Plan France Relance
montre que l’on retrouve déjà dans cet
écrin d’eau des espèces protégées. A
l’échelle de la forêt, plus de 200 espèces
végétales, et près de 1200 espèces animales ont été dénombrées : busards
cendrés, busards Saint-Martin, engoulevents d’Europe, crapauds sonneurs à
ventre jaune, tritons crêtés, lucarnes
cerf-volant… Sans doute ce qui explique
que cette zone nord, soit labellisée
RAMSAR depuis 2022.
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